LA MODE EST AU BILAN DE FERTILITÉ. PLUSIEURS CENTRES (DONT CELUI OÙ JE TRAVAILLE…) PROPOSENT AUX FEMMES DES BILANS DE FERTILITÉ EN DEHORS DE TOUT PROJET DE GROSSESSE. L’IDÉE EN EST SIMPLE, ÉVALUER LA RÉSERVE OVARIENNE ET DONNER À LA FEMME DES CONSEILS QUANT À LA « GESTION » DE SA VIE REPRODUCTIVE. LES AMBITIONS DE CES PROJETS SONT DE POUVOIR PRÉDIRE LA FERTILITÉ, CONSEILLER UNE ÉVENTUELLE PRÉSERVATION DE LA FERTILITÉ ET PEUT ÊTRE ESTIMER L’ÂGE DE LA MÉNOPAUSE.
Il est évident que disposer d’un tel outil serait d’une grande utilité à une époque où le désir d’enfants tant à se décaler vers un âge où la fertilité des femmes diminue.
L’âge de la première grossesse est passé de 26 ans et demi en 1970 à 31 ans en 2021. Dans les grandes villes, cet âge est encore plus élevé et atteint presque 33 ans à Paris. En 2004, 28 600 naissances ont eu lieu chez des femmes âgées de plus de 40 ans soit 4 fois plus qu’en 1980. Ce décalage aboutit inéluctablement à une augmentation de l’infertilité liée à l’âge.
Ce phénomène est majoré par le nombre de divorce qui aboutit à de nouvelles unions avec de nouveaux projets de maternité à un âge évidemment plus avancé. De ce fait, le désir de grossesse est plus tardif et les couples qui n’arrivent pas à avoir une grossesse spontanée consultent pour infertilité plus tardivement.
En 2020, 30% des femmes ayant eu recours à la FIV avaient plus de 38 ans ! Les médecins de l’infertilité continuent d’avoir l’impression que beaucoup de femmes ne sont pas au courant de la réalité physiologique de la baisse de la fertilité avec l’âge. Qui plus est, la médiatisation de célébrités « âgées » ayant réussi à avoir un enfant à 45 ans ou plus, donne la fausse impression que l’AMP résout toutes les diffi cultés. Seule petite omission de ces grossesses « miracles », le recours au don d’ovocyte est rarement mentionné.
Parallèlement les discours recommandant aux femmes de « ne pas attendre trop longtemps pour faire un enfant », titre du livre que j’ai publié en 2008, est mal vécu. En effet certaines femmes ressentent cette injonction comme rétrograde. Ce genre de discours voudrait renvoyer les femmes à une position ancienne où on les pousserait à considérer comme prioritaire leur fonction reproductive.
Ceci n’est évidemment pas du tout le but de ces alertes à la baisse de la fertilité liée à l’âge. Le but est tout simplement d’informer les femmes sur les données physiologiques, mais surtout de dire clairement que l’AMP ne permet pas de combattre le vieillissement ovarien. Les faits rien que les faits !
La fécondabilité, soit la probabilité de concevoir par cycle, baisse avec l’âge : de 25% par cycle si la femme a 25 ans, on passe à 12% si elle a 35 ans et seulement 6% à 42 ans. Avec l’eff et cumulatif des cycles, 60% des couples dont la femme est âgée de 25 ans auront conçu au bout de 6 mois, 80% au bout d’un an et 90% au bout de 2 ans. Ces chiff res sont à diviser par deux pour un âge féminin de 35 ans et par 4 à 42 ans. De surcroît, à 42 ans, seuls 12% des couples auront un enfant dans les deux ans.
Et l’AMP n’y peut rien. En 2018, le taux moyen d’accouchement par ponction en France était de 26,7 % avant 30 ans, mais seulement de 15 % à 38 ans et de 8 % à 40 ans.
Enfin un dernier paramètre à prendre en compte est l’importante variation de la réserve ovarienne en fonction de l’âge (Broekmans et al, 2009). A l’extrême de la vie reproductive, l’âge de la ménopause varie physiologiquement entre 40 et 60 ans. L’infertilité pourrait suivre la même courbe mais 10 à 15 ans plus tôt. Des femmes sont en insuffisance ovarienne majeure dès 35 ans et d’autres ont des grossesses spontanées à 45 ans. Ces dernières étant bien sûr rares.
De l’ensemble de ces données, une conclusion s’impose, informer les femmes sur leur fertilité, tenter de prédire l’âge où elles auront des difficultés à faire des enfants et éventuellement leur proposer de préserver leur fertilité pour assurer leur futur reproductif est séduisant.
Pour évaluer la fertilité, le bilan proposé repose sur les examens réalisés en routine chez les couples infertiles se présentant dans les centres d’infertilité. Il serait alors possible d’évaluer les chances de grossesse et de prédire leurs évolutions. Pour préserver leur fertilité, la récente autorisation de la congélation d’ovocyte sociétale est souvent présentée comme une panacée.
Tout cela parait bien attrayant, mais trois questions majeures se posent :
– Les tests de réserve ovarienne utilisés pour les patientes infertiles sont-ils applicables aux femmes « tout venant » ?
– La préservation de fertilité est-elle vraiment la solution miracle au décalage de l’âge de la maternité ?
– La réalisation de cette évaluation de fertilité permet-elle une prise en charge adaptée ?
La mesure de l’AMH est un très bon marqueur de la réponse ovarienne en stimulation ovarienne mais sa valeur pronostique des taux de succès en FIV reste discutée en particulier chez la femme jeune. Il est diffi cile de récuser une prise en charge sur un taux d’AMH car des grossesses sont obtenues même avec des valeurs très basses (Reichman et al, 2014).
Si la valeur des taux d’AMH pour prédire les taux de grossesse en FIV est controversée, la mesure d’AMH pour prédire la fertilité spontanée fait pour le moins débat (Jamin, 2019). Un taux d’AMH bas est un bon refl et de la quantité de follicules du cycle concerné, mais ne préjuge pas de la qualité ovocytaire. Il existe de nombreux cas de patientes ayant des AMH basses et qui ont eu une grossesse spontanée. La détection d’une AMH basse et/ou d’un compte de follicules antraux abaissé chez une femme jeune (< 38 ans), n’ayant pas de projet d’enfant à cours terme, induit aujourd’hui un discours alarmiste discutable. Ces femmes se voient souvent proposer une FIV « en urgence » ou une congélation ovocytaire. Cependant dans plusieurs études prospectives de cohortes, les tests de réserve ovarienne se sont révélés des mauvais prédicteurs de la fertilité spontanée en prenant comme critères la fécondabilité et les taux cumulés de grossesses. (Steiner et al 2017 ; Ripley et al,2015). Les patientes ayant des taux d’AMH normaux pourront être rassurées, mais il ne sera pas vraiment possible de leur donner un délai pendant lequel les paramètres ovariens resteront favorables. Il s’agit donc d’une évaluation à l’instant. Mais décrire précisément l’avenir reproductif n’est pas possible. A contrario, les patientes avec des valeurs basses seront inquiétées alors que leur fertilité spontanée peut être bonne et la dégradation majeure de la fonction ovarienne ne peut pas être véritablement estimée.
Concernant la prédiction de l’âge de la ménopause, plusieurs articles considèrent que cet âge ne peut être prédit précisément par les marqueurs de la réserve ovarienne car ces paramètres ne peuvent avoir une précision suffi santé et que des facteurs extérieurs peuvent affecter l’âge de survenue de la ménopause (De Kat et al, 2021).
Enfin, concernant l’indication de préservation ovocytaire, l’utilité des marqueurs de réserve ovarienne peut être également discutable. En effet, si la réserve est dégradée, l’utilité de préserver les ovocytes pose problème. En effet on estime qu’il faut entre 15 et 20 ovocytes congelés pour donner environ 70% de chance d’avoir un enfant. Si la femme a un faible nombre d’ovocytes il faudrait alors faire ce que l’on appelle du cumul ovocytaire. Plusieurs stimulations d’affilée pour atteindre le nombre d’ovocyte total voulu. Cependant les données manquent pour affirmer que 4 stimulations qui donnent 5 ovocytes chacune, donnent des chances comparables à une stimulation qui en donne 20.
Cette préservation ovocytaire en cas de réserve ovarienne altérée manque de validation scientifique. Et il y a encore moins de données sur les réutilisations d’ovocytes qui semblent se faire rarement.
En fait il est probable que l’âge est un meilleur critère pour indiquer ou déconseiller la préservation ovocytaire. Si cette préservation est souhaitée par la patiente et possible, l’évaluation de la réserve ovarienne aidera au choix du protocole de stimulation et à la dose de gonadotrophine.
Si la réserve est très mauvaise, il faudra savoir informer la femme que l’utilité de la préservation est discutable.
De plus la France a un problème spécifique lié au fait que seuls les centres publics (sauf exception) peuvent à ce jour faire des préservations et qu’ils semblent débordés par les demandes. La patiente se retrouvera donc avec des délais d’attentes longs (environ 1 an et demi dans certains centres parisiens !) si elle veut le faire en France et gratuitement. Si le délai est trop long et lui fait perdre des chances, elle devra aller à l’étranger et payer entre 3 000 et 5 000 euros.
EN CONCLUSION
Il est difficile d’évaluer à ce jour le succès de ces centres d’évaluation de la fertilité.
L’observation est que beaucoup des femmes qui s’y présentent, sont souvent dans la tranche d’âge de 35 à 40 ans donc souvent trop tard pour préserver leur fertilité dans de bonnes conditions. Le rôle des tests de réserve ovarienne pour évaluation la fertilité spontanée n’est pas démontré. Leur capacité à prédire l’évolution de la « santé ovarienne » ou l’âge de la ménopause est faible. Il semble que l’âge soit le meilleur marqueur pour conseiller ou déconseiller la réalisation d’une préservation ovocytaire. Les tests de réserve ovarienne peuvent aider à choisir le protocole de stimulation et peuvent dépister des femmes jeunes à réserve ovarienne effondrée, chez qui la préservation est probablement inutile. Le Practice Commitee of the American Society For Reproductive Médicine (2020) déconseille l’utilisation des marqueurs chez les patientes non infertiles et conseille de baser la congélation ovocytaire sur l’âge et sur une discussion des projets reproductifs de la patiente.
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts pour cet article.