La suppression du délai de réflexion de sept jours obligatoire entre la première et la deuxième consultation pour obtenir une interruption volontaire de grossesse a été votée par les députés dans la nuit du mercredi 18 au jeudi 20 mars.
A terme cet acte risque d’être considéré comme un moyen de contraception parmi d’autre.
La ministre de la santé Marisol Touraine s’est dite opposée à cette modification de la loi, préférant la conservation d’un délai, réduit à deux jours. A quels risques la suppression de tout délai donne-t-elle naissance ?
Christian Jamin : En trois ans, c’est bien la première fois que je suis d’accord avec la ministre de la santé. Précisions tout d’abord que ce délai ne s’appelle pas «délai de réflexion» tout court, car on peut penser à juste titre que les femmes ont eu le temps de réfléchir sur ce qu’elles veulent faire de cette grossesse.
Plus précisément il s’agit d’un délai de réflexion après avoir bénéficié d’une information complète. Lorsqu’une femme est enceinte, elle se pose mille questions, mais n’a pas les moyens d’y répondre dans la mesure où cela implique un certain nombre de détails techniques qui nécessitent impérativement de se donner du temps pour savoir ce que l’on désire faire. Pour le moment le médecin ne donne pas un comprimé pour provoquer une IVG à une femme alors qu’il vient tout juste de lui donner lesdites informations. Je suis donc farouchement opposé à la suppression du délai dit de réflexion ; je suis pour le maintien d’un délai de réflexion après information. Ce n’est pas la même chose. Certaines personnes disent que ce délai, en obligeant les femmes à réfléchir, revient à les infantiliser. Encore une fois il ne s’agit pas de les obliger, mais de leur permettre de réfléchir avec les informations obtenues. Prenons un cas très concret : une femme ayant dépassé la quarantaine m’a récemment demandé si elle pourrait encore avoir un enfant après avoir pratiqué une IVG. Je lui ai expliqué que dans son cas, en procédant à une IVG, elle devrait renoncer à la possibilité d’avoir des enfants par la suite. Indiscutablement, cela mérite une réflexion : sur la technique à utiliser, sur les conséquences, et sur les risques.
On nous dit aussi que cette mesure devrait faciliter l’accès à l’IVG. C’est un mensonge total, car depuis quelques années nous vivons dans le «tout hospitalier» : la rémunération de l’interruption de grossesse a été augmentée pour les hôpitaux, mais pas pour la ville. Or il faudrait qu’une fois pour toutes, les gens qui nous gouvernent comprennent que la colonne vertébrale de la médecine en France, ce sont les médecins libéraux, appuyés sur les hôpitaux. Si l’on tue le libéral, alors les hôpitaux ne peuvent plus faire face à l’afflux dans les services d’urgences, mais également dans les centres d’interruption de grossesse. Si les médecins qui pratiquent des IVG suivent les recommandations des autorités de santé, alors ils perdront de l’argent en continuant de le faire. Si la rentabilité économique de la médecine libérale est tuée, celle-ci ne pratiquera plus d’IVG, les hôpitaux ne pourront pas faire face, et les femmes enceintes dépasseront les délais. A cause du dogmatisme de nos gouvernants nous nous dirigeons vers des déserts médicaux, et donc vers des déserts d’IVG.
Avec cette modification, la loi va-telle précipiter le choix personnel de certaines femmes, aux dépens de ces dernières, finalement ?
La loi doit être faite pour tout le monde. Il est difficile pour un médecin de savoir si la réflexion de la personne qu’il a en face de lui est aboutie ou non. Que le délai soit modulable, en particulier s’il y a risque de dépassement de la date limite, cela ne pose pas de problème majeur. On pourrait tout à fait codifier les raisons permettant de raccourcir le délai de réflexion. Pour une femme qui est dans les temps, il n’est pas nécessaire de chicaner au niveau législatif pour une affaire de quelques jours. En janvier 2014 l’Assemblée a voté la suppression de la notion de «détresse» pour une femme voulant demander une IVG (loi sur l’égalité femmes/hommes).
Quel préjudice les mesures prises successivement portent-elles à l’équilibre de la loi Veil, auquel 75% des Français se disaient favorables en 2014, contre moins de 50% en 1975 (sondage Ifop) ?
Lire à ce sujet : 1972-2014 : comment les Français ont évolué sur l’IVG.
Dans l’esprit de la loi Veil, l’interruption de grossesse intervient comme dernier recours face à la détresse d’une femme enceinte, qui de ce fait ne veut pas garder sa grossesse. Les gens qui aujourd’hui veulent changer la loi, et cela a été dit dans un débat fameux publié dans Libération, considèrent que l’IVG est un droit – ce sur quoi nous sommes d’accord – qui peut être considéré comme une contraception comme les autres. Là, nous ne sommes pas d’accord : cela revient à dire que l’IVG est anodin, et donc qu’il n’a rien d’un dernier recours. Dans l’esprit de la loi Veil, l’IVG devait intervenir à la suite d’un échec contraceptif, ce qui n’a absolument rien à voir. Petit-à-petit les partisans de la banalisation l’emportent au travers de la gratuité de l’acte et des examens qui permettent d’y aboutir, de la suppression de la notion de détresse et maintenant de la suppression du délai de réflexion. On est en train, à bas bruit et de manière sournoise, de transformer l’IVG, que je pratique et entends protéger farouchement, en un acte banal de pseudo contraception.
A force de vouloir faire de l’IVG un droit comme les autres, certaines crispations qui existent au sein de la société pourraient-elles être exacerbées ?
75% des Français sont pour la loi Veil, mais il serait intéressant de savoir laquelle… Lorsque les femmes sont en situation de détresse, ou lorsque l’IVG est considérée comme un acte banal parce qu’elles ne veulent plus prendre la contraception après que notre ministre leur a fait perdre confiance dans la pilule ? Nous observons aujourd’hui un recul important vis-à-vis de la contraception : dans ce contexte, et vu les modifications qui sont apportées à la loi, l’IVG est-elle en train de devenir la troisième forme de contraception ? Je ne crois pas que les Français soient prêts à dire à 75% leur attachement à cette forme-là d’interruption de grossesse.
Mais dès lors que l’on émet des objections, on est considéré comme un rétrograde, si ce n’est un fasciste. C’est un débat profond, comme celui-ci autour du Mariage pour tous, qui implique des modifications complexes au sein de la société. Cela mérite un vrai débat, et non pas des rabotages à la va-vite et en toute discrétion. A ce rythme-là, c’est la liberté de refuser de pratiquer l’IVG qui sera refusée aux médecins. Cela a déjà été proposé, et je ne serais pas surpris que d’ici quelque temps le même procédé soit employé par nos politiques. Je suis un démocrate, mais je ne pense pas que l’on puisse se permettre de changer des lois aussi importantes au niveau national en catimini, sans que les choses soient dites clairement. Car ce genre de question échappe selon moi à la stricte réflexion politique et politicienne.
Propos recueillis par Gilles Boutin pour Atlantico
Article paru dans le Genesis N°183 (mars/avril 2015)
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