Il s’agit du premier de deux articles concernant une pathologie trop méconnue en matière de sénologie, le carcinome in situ, qu’il soit canalaire ou lobulaire. Ils ont en commun la prolifération épithéliale comportant des critères de malignité et restant enclos à l’intérieur des canaux galactophoriques ou des lobules, sans dépasser la membrane basale.
Ils sont encore trop souvent source de mammectomies et on en arrive au paradoxe de traiter de façon conservatrice les carcinomes infiltrants et de proposer une mammectomie en cas de cancer in situ…
Le carcinome lobulaire in situ (CLIS) est un carcinome intéressant les canalicules intra lobulaires qui sont comblés par une prolifération de cellules peu jointives mais sans envahissement du tissu conjonctif adjacent.
Il représente environ 2% des cancers du sein et est le plus souvent de découverte fortuite à l’anatomopathologie sur une pièce de tumorectomie.
Il représente par contre près de 10% des cancers in situ. La bilatéralité et la multi centricité sont fréquents et un cancer infiltrant peut survenir dans 20% des cas dans un délai pouvant atteindre plusieurs années. Pendant de nombreuses années, ces lésions de CLIS étaient considérées comme de simples facteurs de risques mais des travaux récents semblent isoler certaines formes comme de réelles lésions pré cancéreuses.
Les lésions doivent désormais être classées de LIN 1 à LIN 3 (Lobulaire Intra epithelial Neoplasia) avec des sanctions thérapeutiques adaptées. La chirurgie peut être proposée selon les cas. La radiothérapie a de très rares indications. L’hormonothérapie n’y a pas sa place.
Qu’est ce que le CLIS ?
Le terme de CLIS a été introduit dans les années 1940 par Foote et Stewart comme un groupe de lésions ressemblant aux carcinomes lobulaires infiltrants mais ne dépassant pas la membrane basale.
Selon l’OMS, le CLIS est un carcinome intéressant les canalicules intra-lobulaires qui sont comblés et distendus par une prolifération de cellules peu jointives, sans envahissement du tissu conjonctif voisin. Les cellules tumorales peuvent se propager dans les canaux extra lobulaires (diffusion pagétoïde) et remplacer les cellules de l’épithélium canalaire (1).
Certains auteurs préfèrent regrouper le carcinome lobulaire et l’hyperplasie lobulaire atypique (HLA) dans une même entité appelée néoplasie lobulaire avec une gradation possible mais pas obligatoire de I à III.
La nouvelle classification des CLIS est la suivante :
Il existe 3 catégories LIN :
- la LIN 1 correspond à l’hyperplasie lobulaire atypique (HLA )
- la LIN 2 correspond à une prolifération plus importante avec distension des acini
- la LIN 3 correspond à des cellules atypiques avec des cellules en bague à chaton ou une nécrose centrale
LIN 3 de type 1 : LIN 3 classique
LIN 3 de type 2 : LIN 3 avec contingent pléiomorphe et/ou bague à chatons
LIN 3 de type 3 : LIN 3 avec nécrose
On le découvre le plus souvent de façon fortuite
Le CLIS se rencontre fréquemment avant la ménopause, avec un âge de découverte inférieur d’environ 10 ans à celui des carcinomes infiltrants. Il est en général découvert de façon fortuite, sur une pièce de tumorectomie pour une pathologie mammaire supposée bénigne ou après exérèse d’un foyer de micro calcifications.
Il n’existe pas de signe spécifique, que ce soit à l’examen clinique ou à la radiologie (échographie et mammographie).
Avec le développement des micro-biopsies, va se poser le problème de l’attitude à adopter en cas de découverte fortuite de CLIS : faut-il opérer ou se contenter d’une surveillance régulière ? (2)
A l’heure actuelle, il est préférable d’opérer afin d’enlever si possible, la totalité de la lésion et de ne pas méconnaitre une anomalie associée. Le CLIS a une caractéristique particulière : la multi focalité.
Le diagnostic est rarement posé lors de l’examen extemporané. Compte tenu de sa difficulté, il est plutôt posé après congélation.
Il n’est jamais retrouvé d’atteinte ganglionnaire axillaire.
Le risque d’évolution vers une forme infiltrante existe et se situe autour de 20%.
Le diagnostic différentiel peut se poser avec l’hyperplasie lobulaire atypique.
Quelle est l’histoire naturelle du CLIS?
Elle est discutée selon deux hypothèses s’opposant et ayant un retentissement thérapeutique :
- Est-ce une étape de transition vers un cancer invasif ou s’agit-il simplement d’un facteur de risque ?
- Faut-il simplement surveiller ou appliquer une thérapeutique chirurgicale potentiellement agressive ?
La multi centricité et la bilatéralité sont deux notions classiquement retrouvées dans 30 à 70% des cas.
Le risque de cancer invasif secondaire varie entre 10 et 20% selon les séries, avec un délai d’apparition long, jusqu’à 25 ans.
En 2003, Page reprend de manière rétrospective une série de patientes présentant ces lésions et note que près de 20% d’ entre elles vont développer un cancer infiltrant dans le même sein (68%) ou dans le sein controlatéral.
Depuis, d’autres auteurs se sont penchés sur la question : le risque de développer un cancer infiltrant est aux alentours de 10%, dans un sein comme dans l’autre, surtout des formes lobulaires.
Traiter le CLIS
Plusieurs attitudes ont été préconisées.
La prise en charge est en général orientée par la classification LIN.
– Tumorectomie simple sans curage et surveillance.
C’est l’attitude prônée actuellement, avec une surveillance clinique et mammographique étroite si les conditions de surveillance sont favorables et si la patiente est coopérante.
Elle consiste en un examen clinique tous les 4 à 6 mois et en une mammographie annuelle, cette attitude évitant une chirurgie mutilante.
– Mammectomie simple
Il s’agit d’un geste d’une grande sécurité sur le plan carcinologique mais qui peut paraître bien lourd pour un cancer qui n’est pas invasif et dont le pronostic reste excellent.
Néanmoins, en cas de lésion histologique étendue, (grande taille nucléaire, perte de cohésion cellulaire, atteinte de plus de la moitié des ductules d’un lobule, nombre de lobules envahi supérieur à 10) ou de facteurs pronostiques défavorables, une mastectomie unilatérale totale peut être envisagée afin de ne pas méconnaitre de petits foyers infiltrants associés, nécessitant un traitement similaire à celui d’un cancer invasif.
– Mammectomie bilatérale dite prophylactique
Il s’agit d’une alternative controversée que certains proposent à des femmes dites « à haut risque » présentant d’autres facteurs de risque associés au cancer. Il peut s’agir d’un antécédent familial de cancer du sein au premier degré, d’un antécédent personnel de néoplasie lobulaire, du degré d’extension du CLIS et du jeune âge (< 40 ans) de la patiente.
– Radiothérapie
Elle n’apporte aucun bénéfice, à part pour des formes très particulières.
– L’hormonothérapie adjuvante
Elle est en cours d’évaluation.
Les prélèvements biopsiques sont LIN
Voici la stratégie thérapeutique en fonction des nouvelles données de la classification LIN.
LIN 1
- Surveillance
- En cas de facteurs de risques ou de discordance : une exérèse chirurgicale est à discuter en cas de facteurs de risque ou de discordance
LIN 2
- Exérèse chirurgicale
- Surveillance
LIN 3
- Exérèse chirurgicale
LIN 3 de type 1
- Surveillance
- Pas de reprise chirurgicale si berges atteintes
- Pas de radiothérapie ni d’hormonothérapie
LIN 3 de type 2 ou 3
- Obtention de berges saines pour le contingent pleiomorphe ou le contingent à nécrose ou le contingent à bague à chaton
- La notion de marge minimale n’est pas définie dans ce cas
- Une radiothérapie peut être discutée et reste optionnelle
- Elle peut se discuter au cas par cas dans certaines formes étendues
- Quoi qu’il en soit, dans ces formes de diagnostics difficiles, la relecture de la pièce opératoire dans un centre de référence doit être discutée
- Surveillance
Et le pronostic?
Il n’existe pas de facteurs pronostiques spécifiques connus et validés au CLIS, compte tenu de la rareté de cette affection.
Par contre, sont connus comme facteurs de mauvais pronostic, les éléments suivants (3) :
- âge jeune lors du pronostic,
- antécédents familiaux,
- importance de l’atteinte intra-lobulaire (nombre de lobules atteints supérieurs à 10).
En conclusions
Le CLIS pose des problèmes diagnostiques car il ne présente aucune spécificité radio clinique.
La thérapeutique est chirurgicale, mais non mutilante, avec une surveillance prolongée.
Quoi qu’il en soit, ces dossiers complexes doivent être présentés et discutés en réunion de concertation pluridisciplinaire.
Eric Sebban – Chirurgien gynécologique, mammaire et oncologue ; Ancien assistant service de chirurgie institut Gustave Roussy, Villejuif ; Clinique Hartmann, ISHH (Institut Du Sein Henri Hartmann), Neuilly sur Seine
Site web du Dr Sebban : https://www.docteur-eric-sebban.fr
BIBLIOGRAPHIE
1. De Roquancourt A . Bertheau P. Carcinomes in situ: anatomopathogie. In: Le sein: du normal au pathologique: état de l’art. Editions Eska – 1024-31.
2. Espié M. Cancers lobulaires du sein : particularités diagnostiques et évolutives. In: le sein: du normal au pathologique: état de l’art. Editions Eska – 1043-55.
3. Bodian C.A. Perzin K.H. Lattes R. Lobular neoplasia. Long term risk of breast cancer and relation to other factors. Cancer 1996 – 76 –1024-34.
4. Page DL, Schuyler PA, Dupont WD et al.atypical lobular hyperplasia as a unilateral predictor of breast cancer risk: a retrospective cohort study. Lancet 2003, 361:125-129.
Article paru dans le Genesis N°180 (septembre 2014)
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