David Elia et Christian Jamin nous avaient demandé l’année dernière d’écrire sur l’avenir de la ménopause. En hommage à David Elia, toujours avide d’actualités, qui a partagé avec nous pendant de très nombreuses années cette problématique, nous voudrions reparler de la ménopause et de son actualité.
Parler de la ménopause ne se conçoit qu’à la lumière de la connaissance de son passé et de son présent. Personne ne nie désormais que la ménopause soit un phénomène naturel physiologique ; l’accroissement de l’espérance de vie doit cependant faire réfléchir aux conséquences potentielles d’une carence estrogénique prolongée qui peut être présente pendant plus d’un tiers de la vie d’une femme. Pour autant, la prescription d’un traitement hormonal, désormais appelé traitement hormonal de ménopause (THM) (et non plus comme précédemment traitement hormonal substitutif) doit-il en être un corolaire obligatoire ? Il est évident que la réponse à cette question ne peut être tranchée de manière univoque. Depuis la publication des résultats de la WHI, le principe même du THM a largement été remis en cause. Ses risques en ont été largement médiatisés à l’opposé des bénéfices, qui sont rarement considérés, laissant le principe de précaution l’emporter sur la décision médicale rationnelle. Et de fait, les prescriptions ont dramatiquement chuté depuis 2002.
Il est certain que des erreurs ont été faites dans le passé, comme de dire que la ménopause était une maladie qu’il fallait systématiquement traiter ou qu’il n’était jamais trop tard pour traiter la ménopause. Pour autant fallait-il jeter le bébé avec l’eau du bain et qu’en est-il en 2021 ?
L’étude WHI publiée en 2002 a rappelé la dure réalité des résultats de l’évaluation scientifique. Cet essai qui avait été débuté dans le courant des années 1990 comportaient 2 études randomisées de grande ampleur, une 1ère étude (WHI 1) comparant l’association estrogènes conjugués équins (ECE) et acétate de médroxyprogestérone (MPA) et le placebo chez plus de 16 600 femmes et la 2ème (WHI 2) qui concernait 10 640 femmes hystérectomisées, les ECE seuls et le placebo. Rappelons que ces 2 études ont été stoppées prématurément après 5,4 ans pour la 1ère et 6,8 ans pour la 2ème (initialement prévue pour 7 ans) car les risques (cardio-vasculaires et de cancer du sein pour la 1ère et AVC pour la 2ème) l’emportaient sur les bénéfices (réduction du nombre de fractures et du risque de cancer du côlon). Rappelons également que la présence d’un syndrome climatérique était un motif d’exclusion puisque l’objectif principal était avant tout de confirmer le bénéfice du THM à diminuer l’incidence des maladies cardio-vasculaires. Il devait donc concerner des femmes suffisamment âgées et à risque cardio-vasculaire pour avoir suffisamment d’évènements cliniques (infarctus, AVC, thrombophlébite) pour une puissance statistique su sante et n’ayant pas de symptôme de manière à conserver le double aveugle. Pourtant, c’est avant tout la confirmation de l’augmentation du risque de cancer du sein chez les femmes traitées qui a fait l’objet d’une médiatisation sans précédent et fait chuter partout dans le monde la prescription du THM. Et même si c’est l’augmentation significative et surtout inattendue de tous les évènements cardio-vasculaires chez les femmes traitées comparativement à celles recevant le placebo qui a constitué le motif principal de l’arrêt prématuré de ces essais. L’histoire ou tout au moins sa médiatisation ne cesse depuis de se renouveler, en témoigne la diffusion par les médias de l’étude de Valérie Béral publiée dans le Lancet en 2019 et bien que celle-ci ait été avant tout dominée par les résultats de l’étude d’observation MWS, déjà publiée en 2003 et pourtant largement critiquée. Le rôle propre des progestatifs est notamment totalement occulté alors que non seulement le risque de cancer du sein est significativement diminué avec les ECE seuls dans l’essai WHI 2 (contrairement à l’association ECE + MPA), mais que les études françaises d’observation suggèrent que la progestérone ou la dydrogestérone en combinaison avec l’estradiol serait associé à un risque moindre de cancer du sein que les progestatifs de synthèse. Plus récemment, une grande étude de cohorte des généralistes anglais publiée dans le courant de l’hiver 2020 dans le British Medical Journal confirme également la moindre augmentation du risque de cancer du sein avec l’association estrogènes et dydrogestérone et contrairement aux associations avec l’acétate de médroxyprogestérone, le lévonorgestrel ou l’acétate de noréthistérone, progestatifs de synthèse pratiquement non utilisés dans notre pays. Et pourtant, ces données concordantes considérées comme nettement plus favorable au THM n’ont reçu que peu d’écho auprès des professionnels de santé et surtout des autorités de santé.
Également, les dernières publications de l’étude WHI ayant analysé la mortalité par tranche d’âge à l’inclusion des femmes dans les 2 études WHI n’ont que très peu attiré l’attention des médias. Elles rapportent pourtant une diminution significative de la mortalité des femmes traitées lorsque le THM était débuté entre 50 et 60 ans. Il est à noter que ce bénéfice en termes de mortalité restait présent 18 ans après le début de l’étude, même s’il n’était plus statistiquement significatif par rapport aux femmes qui avaient initialement reçu le placebo. Ce résultat est la suite logique du concept de fenêtre d’intervention du THM (prescription dans les 10 ans du début de la ménopause ou avant 60 ans) qui a été développé suite à l’analyse des risques attribuables au THM en fonction des tranches d’âge à l’initiation du traitement. Ainsi dans la WHI 1, aucune augmentation du risque d’infarctus du myocarde n’avait été observée chez les femmes traitées dans la tranche d’âge 50-60 ans et contrairement aux femmes traitées plus de 15 ans après la ménopause. Ce risque était même diminué dans la WHI 2 pour celles n’ayant reçu que les ECE seuls. Il résulte de l’e et préventif des estrogènes sur le développement de l’athérosclérose lorsque celui-ci est donné en début de ménopause sur des artères « saines » et qui est confirmé par l’étude ELITE publiée par Hodis en 2016. A l’inverse, lorsque les estrogènes sont donnés à distance du début la ménopause (comme cela était le cas pour la majorité des femmes dans l’essai WHI dont l’âge moyen de prescription était de 63 ans !), cet e et de prévention non seulement disparait, mais du fait de l’e et pro-inflammatoire des estrogènes, il existe un risque de déstabilisation de plaques d’athérome potentiellement déjà présentes avec augmentation des infarctus du myocarde. De fait, le concept de prévention du risque coronarien qui prévalait lors de la mise en place de l’étude WHI se trouve finalement et presque 20 ans plus tard, confirmé sous réserve de prescrire le THM à bon escient !
La Haute Autorité de Santé (HAS) a écrit des recommandations en 2003 et les a renouvelées en 2014 mais sans tenir compte des données les plus récentes. Elles ont de plus souvent été mal interprétées comme la nécessité de limiter à 5 ans la durée du THM. Elles sont surtout sous-tendues par le sacro-saint principe de précaution qui a conduit à limiter le THM à un bénéfice de confort et pour la durée la plus courte possible sans aucune évaluation rationnelle de sa balance bénéfices-risques au plan individuel. C’est dans ce contexte que les experts du GEMVi en collaboration avec ceux du CNGOF viennent d’établir au travers des données de la littérature les plus récentes, des recommandations pour la pratique clinique (RPC) pour les femmes ménopausées.
L’objectif de cet énorme travail de 2 ans était double, tout d’abord souligner la nécessité pour chaque femme de considérer l’entrée en ménopause comme une nouvelle étape de vie justifiant une évaluation des risques de santé, cardio-vasculaires, osseux et oncologiques susceptibles d’être modulés par la carence estrogénique. Ensuite reprendre et insister sur l’importance de l’hygiène de vie et l’éviction des facteurs de risque tout comme procurer au praticien une approche rationnelle de l’utilisation du THM dans ses indications, ses modalités tout comme sa balance bénéfices-risques au plan individuel.
Quelques grands principes doivent ainsi être recommandés : utiliser les hormones bio-identiques de la femme, estradiol et progestérone ou son isomère, la dydrogestérone pour limiter le surrisque de cancer du sein ; privilégier la voie cutanée des estrogènes pour s’amender du 1er passage hépatique et de ce fait, du surrisque thrombo-embolique veineux et probablement d’AVC ; prescrire le THM dans les 10 premières années de la ménopause ou avant 60 ans. Enfin, une réévaluation régulière de la balance bénéfices-risques individuelle du THM conditionnera sa poursuite sans qu’il puisse être fixé une durée maximale d’utilisation. C’est avant tout le surrisque de cancer du sein au-delà d’une certaine durée de traitement (5 à 7 ans) qui conditionne la nécessité de cette réévaluation tout en tenant compte de ses indications préalables et du risque mammaire propre de chaque femme.
Ces RPC soulignent que le THM reste le traitement le plus efficace pour contrôler les bouées vaso-motrices et plus globalement les troubles du climatère. L’accent a également été mis sur le bénéfice osseux du THM qui devrait être la 1ère alternative pharmacologique à discuter dès le début de la ménopause pour la prévention de l’ostéoporose chez les femmes à risque. Rappelons que le risque cumulé pour une femme à 50 ans de faire une fracture ostéoporotique est de l’ordre de 40%, à savoir 1 femme sur 3 à 4 qui fera une fracture d’ici la fi n de sa vie et dont certaines, seront grevées d’une morbidité et d’une surmortalité non négligeables. Ce risque est à mettre en parallèle avec le risque cumulé de décès cardiovasculaire qui est de l’ordre de 45% et en perspective du risque de cancer du sein de 9%. Le THM permet ainsi chaque fois que nécessaire et possible, une véritable politique de prévention primaire de l’ostéoporose chez les femmes à risque faible ou modéré en début de ménopause sans attendre la survenue de la fracture dont on sait qu’elle témoigne déjà d’un stade avancé de la maladie. C’est de plus, à ce moment que sa balance bénéfices-risques sera la plus favorable avec la possibilité de relais ultérieur chez les femmes les plus à risque par les autres traitements de l’ostéoporose lorsqu’elle ne sera plus jugée aussi favorable qu’en début de ménopause.
Le futur de la prise en charge de la ménopause ne peut que résider dans l’amélioration de nos connaissances sur l’impact tissulaire de la carence estrogénique tout comme dans l’évaluation de la balance bénéfices-risques des estrogènes, propre à chaque femme. L’étude des polymorphismes génétiques sera certainement de nature à mieux individualiser la décision de traitement ; l’intelligence artificielle ne peut qu’y contribuer en permettant au travers de scores personnalisés d’avoir une vision holistique pour chaque femme de ses risques propres de cancer ou de fracture, des risques métaboliques et de maladies cardio-vasculaires, de déficience cognitive et de maladie d’Alzheimer tout comme de qualité de vie. Elle ne peut que contribuer à améliorer l’information des patientes et d’être une aide à la décision pour la prescription du THM. C’est dans ces voies que nous devons entre autres nous engager de manière à ne pas continuer à sacrifier des générations de femmes comme c’est actuellement le cas depuis plus de 15 ans.
David Elia l’avait compris et avait toujours été un partisan du THM à la Française en considérant son utilité pour des indications sélectionnées propres à chaque femme.
Bibliographie sur simple demande : genesis@impact-medicom.com
Patrice LOPES et Florence TRÉMOLLIÈRES,
Professeur Émérite de l’Université de Nantes en Gynécologie-Obstétrique. Elsan Santé Atlantique. Bat E, Boulevard Claude Bernard. 44800 St Herblain. Secrétaire Général du Groupe d’Etude de la Ménopause et du Vieillissement hormonal (www.gemvi.org).
Professeur de Gynécologie Médicale. Centre de Ménopause. Hôpital Paule de Viguier. CHU de Toulouse. 330 avenue de Grande-Bretagne. 31059 Toulouse. Présidente du GEMVI.
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