IL NAIT EN FRANCE ENVIRON 500 ENFANTS TRISOMIQUES TOUS LES ANS. SI LE DÉPISTAGE ANTÉNATAL DE LA TRISOMIE 21 DOIT ÊTRE SYSTÉMATIQUEMENT PROPOSÉ À TOUTES LES FEMMES ENCEINTES, LES RÉSULTATS NE PEUVENT PLUS ÊTRE TRANSMIS AUX SOCIÉTÉS SAVANTES À DES FINS D’ANALYSE STATISTIQUE NATIONALE.
En eff et depuis un arrêt du Conseil d’État1 du 17 novembre 2017, les données relatives aux naissances des enfants trisomiques ne peuvent être transmises à la Fédération des réseaux périnataux et seules des estimations permettent de dire que les nouveaunés qui naissent trisomiques sont :
– pour moitié, par absence de dépistage, refus de dépistage, après un diagnostic non suivi d’une demande d’interruption médicale de grossesse ou décision de conserver la grossesse.
– Pour l’autre moitié, à la suite d’un diagnostic porté en période post natale par « erreur du dépistage », faux négatifs et/ou absence de « rattrapage » par la surveillance échographique.
En 2018, on considère qu’environ 600 000 femmes enceintes, soit 85 % des grossesses, ont réalisé ce dépistage.
Cette politique de dépistage doit respecter des règles strictes, elle est à haut risque médico-légal, et la fréquence des réclamations ou plaintes, au civil ou en CCI augmente régulièrement.
Nous relatons ici deux cas réels de plaintes à la suite de naissance d’un enfant T21 après un faux négatif du dépistage et leurs conclusions expertales.
Récemment, un gynécologue-obstétricien a été condamné à six mois de prison avec sursis et 240 000 € d’indemnisation pour « défaut de diplôme universitaire nécessaire à la pratique de l’échographie ».
Nous rappellerons, ensuite, les bonnes pratiques du dépistage et discuterons des conduites à tenir dans un certain nombre de situations dont la principale est le refus de dépistage sérique.
1. CAS MÉDICO-LÉGAUX
Cas numéro 1 : Naissance d’un enfant porteur de trisomie 21, non diagnostiquée en cours de grossesse.
La mère est âgée de 34 ans et la grossesse a été régulièrement surveillée, déclarée à huit semaines d’aménorrhée et le dépistage combiné du premier trimestre a été évalué à 1/50 46.
Le suivi de la grossesse est sans particularité.
Les échographies du deuxième et du troisième trimestre n’ont révélé aucune anomalie.
À l’expertise, l’expert va analyser la qualité de l’échographie : score de Herman, type de l’échographie, qualification de l’échographiste, durée de l’examen, rédaction du compte rendu dans le respect du rapport de la Conférence Nationale de l’Echographie Obstétricale et fœtale de 20162, preuve de ’information délivrée avec la précision du caractère facultatif du dépistage.
L’expert s’attachera en outre à l’information et au consentement remis et signé par la patiente.
Tous ces éléments étant réunis la responsabilité du praticien ne sera pas retenue au regard de l’absence de faute et/ou de l’impossibilité de faire le diagnostic.(3)
Cas numéro 2 : Naissance au terme de 39 semaines d’un enfant trisomique, après refus de la patiente, âgée de 29 ans, d’effectuer le dépistage.
Le praticien note dans son dossier qu’il a proposé lors de la consultation de la 11ème semaine d’aménorrhée un dépistage sérique et que la patiente a refusé ce dépistage pour « des raisons personnelles ».
Lors de l’expertise le praticien confirme avoir proposé un dépistage.
La patiente nie avoir été informée et explique, qu’en cas de diagnostic, elle aurait demandé une interruption médicale de grossesse.
Face à ces deux versions, et en l’absence de document écrit et signé par la patiente seul élément probant de l’information délivrée par le praticien, l’expert retiendra un préjudice d’impréparation4 à la naissance d’un enfant handicapé.
2. LES BONNES PRATIQUES(5)
• En cas d’acceptation du dépistage
De fait, elles doivent commencer lors de la réalisation de l’échographie du premier trimestre dite T1.
A notre connaissance, il y a très peu, voire aucun refus de l’échographie de dépistage de 12 à 14 SA.
En revanche, les règles de délivrance de l’information et du recueil du consentement ne sont pas respectées dans de très nombreux cas (signature d’un document par la patiente), alors que la mesure de la nuque est essentielle pour un dépistage d’anomalie morphologique anténatale pouvant conduire à une proposition d’IMG.(6)
Il n’en n’est pas de même pour le dépistage sérologique combiné du premier trimestre ou séquentiel du deuxième trimestre car la Loi exige un consentement après information verbale et écrite (formulaires de référence fixés par l’arrêté du 14 décembre 20187 (voir encadrés 1 et 2).
Une fois l’information donnée, les quelques études qualitatives ont montré que Les patientes ne retiennent QUE l’assurance de la normalité de l’enfant et pas le risque statistique résiduel d’une anomalie non dépistée.
Elles comprennent mal qu’il s’agit un dépistage et, que si une anomalie est suspectée puis affirmée, une Interruption Médicale de la Grossesse (IMG) peut être proposée.
En fait, l’interprétation des résultats est complexe et peutêtre source d’incompréhension en particulier dans le cas de faux négatifs comme décrit ci-dessus ou de découverte à la naissance d’anomalie chromosomique (mosaïque, délétion…) non dépistable par la pratique actuelle.
L’incompréhension est fréquente (surtout en cas de faux positifs) en raison d’explorations complémentaires nécessaires au diagnostic (amniocentèse, choriocentèse…) à l’origine possible d’un certain pourcentage de fausse-couche sur un enfant normal (0,5%).(8)
Le consentement de la patiente, qui accepte d’emblée le dépistage de la trisomie doit être recueilli de façon systématique par le praticien et par le biologiste qui doivent conserver les doubles signés.
• En cas de refus
En revanche, en cas de refus de la patiente, quelle qu’en soit la raison, la seule mention sur le dossier médical ne suffit pas à prouver l’absence de consentement de la patiente. Il est nécessaire d’essayer de comprendre les raisons du refus et indispensable, en terme médico-légal, de faire rédiger par la patiente un document manuscrit (voir Encadré 3) pour attester :
– de la proposition d’un dépistage anténatal,
– de la bonne compréhension de l’utilité du dépistage,
– de la possibilité de refuser ce dépistage en toute connaissance de cause, sans nécessité d’en préciser la raison,
– de la possibilité, en cas de changement de la position de la patiente, d’avoir encore recours à un dépistage par DPNI.
Ce document sera établi en double exemplaire : un exemplaire signé par la patiente (qui lui est remis), un pour le praticien qui le conservera dans son dossier médical.
Note des auteurs :
Nous attirons ici l’attention de tous les praticiens exerçant dans un établissement privé, sur le logiciel « maison » : ce n’est pas leur dossier personnel et il est nécessaire de conserver un double de tous les dossiers susceptibles d’être utilisés ultérieurement dans une procédure.
Mais si la patiente refuse de signer ce document, il faudra néanmoins se prémunir du risque médico-légal engendré par ce refus.
Il paraît, dans ce cas, raisonnable d’adresser un courrier recommandé (éventuellement un double au médecin traitant) rappelant :
– la proposition de dépistage qui a été faite
– le refus indiqué de ne pas l’accepter
– la possibilité de changer d’avis
– la nature de l’information qui a été délivrée lors de la consultation.
Enfin, au cours du suivi de grossesse, en cas de doute apporté par la biologie ou l’échographie, il est fondamental d’avertir la patiente et, le cas échéant, recourir à une échographie de référence et d’adresser la patiente au CPDPN avec un courrier décrivant précisément la situation à risque de malformation.
• L’apport du DPNI ou ADN libre circulant
Cette technique de dépistage de deuxième ligne, ciblant les trisomies 13,18 et 21, validée par le décret du 19/01/2019, a un taux de détection supérieur à 99% et un taux de faux-négatifs évalué à 0,08%.
Désormais classique et remboursée, l’interprétation des résultats doit être stricte :
Si le risque est < 1 000 (1 001 à 10 000), il est considéré comme suffisamment faible pour arrêter cette procédure de dépistage et poursuivre une surveillance simple de la grossesse.
Même s’il n’écarte pas complètement la possibilité pour le fœtus d’être atteint de l’affection, il est nécessaire d’informer la patiente.
Si le risque est compris entre 1/51 et 1 000 : l’examen de dépistage portant sur l’ADN fœtal libre circulant dans le sang maternel sera proposé et pris en charge.
Si le risque est ≥ 1/50 la réalisation d’un caryotype fœtal à visée diagnostique sera proposée d’emblée.
Cet examen nécessite un prélèvement, dit invasif, de villosités choriales ou plus rarement de liquide amniotique, permettant d’infirmer ou de confirmer la nature de l’anomalie génétique.
Faut-il aller jusqu’à proposer systématiquement ce test, non pris en charge par les organismes sociaux dans ce cas de figure, à toutes les patientes, y compris chez celles dont le risque évalué est supérieur à 1/1 000 (1/1 001 à 1/10 000) ?
Ne pas le proposer expose-t-il le praticien à se voir reprocher de ne pas avoir informé la patiente des possibilités et des modalités de recours au DPNI ?
S’il est proposé et refusé, on précisera, par écrit, dans le dossier que la patiente a été informée et qu’elle n’a pas souhaité y recourir.
Enfin, il est important de préciser qu’en cas de découverte tardive de la grossesse, la réalisation du DPNI est toujours possible et fiable pour un dépistage.
RÉFÉRENCES
1. https://www.alliancevita.org/2017/11/depistage-de-trisomie-21-conseil-detat-limite-diffusion-fichage-national/
2. http://www.cfef.org/archives/bricabrac/cneof/rapportcneof2016.pdf
3. https://jurislogic.fr/arret-perruche-fiche-arret-portee/ : Depuis l’arrêt Perruche, ni la Cour de cassation ni le Conseil d’État ne reconnaissent l’existence d’un préjudice du seul fait de la naissance.
4. Défaut d’impréparation : préjudice moral distinct des atteintes corporelles subies, confirmant ainsi qu’il s’agit de réparer l’impossibilité pour la victime d’avoir pu se préparer psychologiquement à la réalisation du risque encouru.
5. Arrêté du 14 décembre 2018 modifiant l’arrêté du 23 juin 2009 modifié fixant les règles de bonnes pratiques en matière de dépistage et de diagnostic prénatals avec utilisation des marqueurs sériques maternels de trisomie 21.
6. Le refus du dépistage anténatal de la trisomie 21 par les couples. Carmin d’Acremont, Nantes, 2017.
7. Arrêté du 14 décembre 2018 modifiant l’arrêté du 14 janvier 2014 fixant le modèle des documents mentionnés au III de l’article R. 2131-2 du code de la santé publique.
8. Effect of cell-free DNA screening vs direct invasive diagnosis on miscarriage rates in women with pregnancies at high risk for trisomy 21 : a randomized clinical trial. https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2697008