ENTRETIEN AVEC LE DR ERIC SEBBAN
Le plus fréquent des cancers chez la femme avec 55 000 nouveaux cas tous les ans en France, le cancer du sein a vu sa prise en charge considérablement modifiée ces dernières années en intégrant tout à la fois des techniques de pointe et des soins d’accompagnement de la patiente tout au long de sa maladie… et même après. Entretien avec un chirurgien gynécologue et cancérologue.
La chirurgie du cancer du sein est-elle toujours aussi destructrice ?
Heureusement que non ! Aujourd’hui en France, près de 80% des cancers du sein bénéficient d’un traitement conservateur. A conditions toutefois que ces cancers soient pris en charge par des équipes spécialisées bénéficiant du plateau technique global de prise en charge – c’est à dire diagnostique et thérapeutique, et à condition que cette option thérapeutique soit discutée de manière pluridisciplinaire au sein de réunions de concertation pluridisciplinaires (RCP). A noter que grâce aux progrès de l’imagerie et à la généralisation du dépistage, près de 20% des cas de cancers sont découverts au stade carcinome infiltrant non palpable ou carcinome intracanalaire, c’est à dire à des stades infracliniques avec une survie approchant les 85%.
Comment est-on passé d’une chirurgie destructrice à une chirurgie conservatrice ?
L’élargissement des indications des traitements conservateurs est à mettre en lien avec l ’hyperspécialisation des chirurgiens prenant en charge ces patientes. Désormais le chirurgien sénologue est certes un chirurgien cancérologue dont le but principal est la qualité d’exérèse de la tumeur – premier garant de guérison avec la qualité des marges – mais aussi un chirurgien formé aux techniques d’oncoplastie qui permettent donc d’élargir les indications de traitement conservateur. Il faut garder bien sûr à l’esprit que ce qui prime est l’exérèse carcinologique. Aujourd’hui les indications de conservations mammaires se sont élargies et concernent aussi des femmes auxquelles on proposait encore une ablation du sein : les quadrants inférieurs, les tumeurs centrales (pamectomie), les tumeurs de gros volume (rôle de la chimiothérapie néo-adjuvante), les tumeurs bifocales (si bifocalité de proximité) et même certains cas de récidive qui ne relèvent plus spécifiquement de mammectomie.
Quelle est la place de la technique du ganglion sentinelle ?
Le ganglion sentinelle a permis de diminuer très notablement les risques de gros bras chez les patientes après un curage. Les indications de ce ganglion sentinelle se sont élargies au fur et à mesure : grosses tumeurs,
tumeur bifocale, chimiothérapie néoadjuvante, tumeur déjà retirée… Jusqu’à récemment, lorsque l’on découvrait une métastase ou une micrométastase dans le ganglion sentinelle, on avait pour obligation de faire un curage axillaire secondaire. Ce n’est plus le cas : on peut désormais se passer de curage en cas de micrométastase après validation de la décision en RCP.
Quel est l’avenir de la chirurgie robotique dans le cancer du sein ?
L’utilisation de la chirurgie robotique en pathologie mammaire parait prometteuse. En particulier elle semble intéressante lors des mammectomies avec reconstruction immédiate, dans le cadre de patientes mutées BRCA 1 ou 2, car elle permet une approche plus esthétique avec une diminution des cicatrices. Toutefois, dans l’immédiat, cette technique chirurgicale est encore en évaluation.
Les tests génomiques, comme le test ONCOTYPE DX, ont-ils un impact majeur sur vos pratiques ?
Nous utilisons désormais ce test en pratique quotidienne avec une décision de prescription prise de manière collégiale en RCP.
Ontotype DX est un test diagnostic de 21 gènes permettant d’estimer les bénéfices de la chimiothérapie et le risque de récidive à 10 ans. Il nous aide dans la prise de décision des traitements adjuvants chez les femmes atteintes de cancers du sein à un stade précoce. Dans des indications limites de chimiothérapie, ce test permet dans près 30% des cas d’éviter ce type de traitement. Le délai d’obtention du résultat est en moyenne de 2 semaines une fois le test demandé. Le frein à sa prescription était jusqu’alors son coût – plusieurs milliers d’euros – à la charge de la patiente. Désormais, ce test est devenu « gratuit ». Il rentre dans le cadre du RINH (référentiel des actes innovants hors nomenclature de biologie et d’anatomopathologie) mis en place par le DGOS. Son coût est aujourd’hui directement supporté par l’établissement de soins qui signe un partenariat avec le laboratoire Genomics et qui se fait ensuite rembourser par les autorités de santé.
Qu’appelle-t-on « dispositif d’annonce » ?
L’annonce d’une maladie grave, quelle qu’elle soit, constitue toujours un traumatisme important pour le patient. Le dispositif d’annonce a pour objectif de permettre à la personne malade de bénéficier des meilleures conditions d’information, d’écoute et de soutien. Il est composé d’un temps médical d’annonce et de proposition de traitement, un temps soignant de soutien et de repérage de ses besoins et un accès à une équipe impliquée dans des soins de support, et un temps d’articulation avec la médecine de ville. Les établissements de santé doivent désormais satisfaire dans le cadre du dispositif d’autorisation pour l’activité, les soins de traitement du cancer.
Est-ce une bonne chose d’avoir obligé les établissements de santé à mettre en place le dispositif d’annonce ?
Bien sûr. Il constitue une des conditions transversales de qualité, rendues obligatoires dans le cadre du dispositif d’autorisation des établissements de santé pour la pratique de la cancérologie. La mise en place du dispositif d’annonce fait partie des 6 conditions transversales. Les 5 autres sont : la mise en place de la concertation pluridisciplinaire, la remise à la patiente d’un programme personnalisé de soins (PPS), le suivi des référentiels de bonne pratique clinique, l’accès pour la patiente à des soins « de support », et l’accès aux traitements innovants et aux essais cliniques. Le dispositif d’annonce est désormais généralisé sur l’ensemble du territoire.
Après nous avoir parlé de survie, si vous nous parliez de la qualité de vie de vos patientes ?
La cancérologie moderne est de plus en plus performante mais on a l’impression qu’elle s’occupe plus de la maladie que du malade. Pourtant, c’est justement à ce moment que la patiente a le plus besoin que l’on s’occupe d’elle, qu‘on l’aide à se reconstruire, pendant et après les traitements. J’ai participé à la création de l’Institut Rafael qui va voir le jour prochainement en 2018. Cette institut est une maison de l’après cancer qui proposera des programmes de soins personnalisés effectués par des médecins et une équipe pluridisciplinaire de professionnels de santé. L’institut Rafael est un concept unique et innovant de médecine intégrative en Europe, qui réunit en un même lieu les 3 axes phares de la lutte contre le cancer : les soins, la formation et la recherche.
Cette équipe sera au service du patient pour permettre à ceux qui souffrent, ou ont souffert des conséquences de cette maladie, de reprendre une vie normale, de ne plus rester toute sa vie un « cancéreux ».
BIOGRAPHIE DR ERIC SEBBAN
➔ Chirurgien gynécologue et cancérologue
➔ Responsable du département de chirurgie gynécologique et cancérologique Clinique Hartmann Hôpital Américain de Paris
www.docteur-eric-sebban.fr
Propos recueillis par Frédéric Pitetti
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts pour cet article
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