Le lipoedème - Pour une approche pluridisciplinaire
LE LIPOEDÈME (LPO) EST UNE PATHOLOGIE DU TISSU ADIPEUX AFFECTANT QUASI EXCLUSIVEMENT LES FEMMES. SA PRÉVALENCE EST ESTIMÉE À 10% DE LA POPULATION FÉMININE. IL SE CARACTÉRISE PAR DE GROSSES JAMBES DOULOUREUSES. IL INFLIGE UNE DOUBLE PÉNALITÉ AUX PATIENTES, SUR LE PLAN ESTHÉTIQUE ET DES DOULEURS.
Cette affection existe sûrement depuis… toujours mais elle est actuellement sinon mieux connue, du moins mieux prise en charge, en particulier grâce aux progrès de la chirurgie esthétique et aux méthodes de liposuccion. C’est aussi grâce aux sites de diffusion des patientes et des experts médico-chirurgicaux (@francelipoedeme). Cependant sa physiopathologie reste méconnue et nécessite une approche pluridisciplinaire associant entre autres, les phlébologues, gynécologues, endocrinologues, diététiciens et nutritionnistes, les psychologues, les kinésithérapeutes et podologues.
Le médecin vasculaire occupe une place de plus en plus importante dans le diagnostic de cette affection. Il ne doit pas se contenter d’explorer les artères et les veines de ces patientes. Il doit pouvoir confirmer le diagnostic, en préciser le stade et la classe anatomique et guider la prise en charge thérapeutique.
RAPPEL
Le lipoedème se caractérise par des grosses jambes (ou bras), respectant le haut du corps1. D’où cette disproportion dont se plaignent les patientes avec un haut « fin « alors que le bas du corps est « empâté ». Il débute à la puberté et/ ou lors de la prise d’un traitement hormonal ou lors des grossesses ou en période péri-ménopause à fortiori s’il existe une prise de poids importante, sans que l’on ait mis en évidence à ce jour une affection hormonale responsable de cette modification de la répartition du tissu adipeux.
Ce tissu adipeux est sensible à la palpation et au moindre effleurement, mais ce symptôme peut manquer. D’autres symptômes moins spécifiques sont souvent retrouvés : lourdeurs des jambes, œdèmes surtout en période chaude ou en fin de journée, paresthésies, sensations de brûlure, picotements.
Les ecchymoses au moindre contact sont fréquentes, signe non spécifique également.
La réponse nulle ou très faible aux régimes, à l’exercice physique même intensif conduisent à une aggravation de la dysmorphie entre le haut et le bas du corps et au découragement des patientes. Et cela d’autant plus que pendant des années les uniques recommandations des médecins consultés étaient de perdre du poids et de bouger plus.
Très fréquemment, on note des antécédents familiaux et si on peut émettre des doutes sur le LPO de la grand-mère, nous avons plusieurs cas familiaux confirmés, avec plusieurs sœurs concernées, voire des cas de gémellité. Cependant, actuellement il n’existe aucun marqueur génétique ou biologique pouvant faciliter le diagnostic positif du LPO2. Ceci renforce donc l’intérêt du bilan vasculaire chez l’angiologue connaissant bien cette maladie.
LE BILAN VASCULAIRE DU LIPOÈDEME
Il comprend :
• L’interrogatoire et l’examen clinique.
L’âge, le poids, la taille, l’Indice de Masse Corporelle (IMC), l’activité professionnelle et physique sont notés. Les critères objectifs du LPO, validés par les Conférences de Consensus3-4 sont recensés.
Dans notre série de 500 patientes avec LPO confirmé, il est intéressant de noter que 42% ont un poids normal, 34% sont en surpoids et 24 % obèses.
Deux critères mineurs aident aussi à la confirmation du diagnostic : La notion de terrain familial et l’absence de signes évocateurs d’un lymphœdème (œdème atteignant le dessus du pied avec orteils « en frite »).
• Exploration vasculaire par Echo-Doppler avec mesure de l’épaisseur des tissus sous-cutanés et élastographie
L’écho-Doppler permet d’une part de vérifier le système veineux (et artériel) et d’éliminer d’autres diagnostics, tels que la maladie veineuse chronique, le lymphœdème ou d’autres pathologies du tissu adipeux. D’autre part, il est indispensable pour confirmer le LPO, préciser son type anatomique et son grade.
L’exploration des veines doit inclure l’étude des veines profondes et superficielles avec une cartographie. Cela a une double importance :1
Les symptômes du LPO peuvent être les mêmes que ceux de la maladie veineuse chronique (lourdeurs et gonflement, fatigabilité à la station debout prolongée).2
L’existence de varices nécessite alors une prise en charge adaptée. A noter que la prévalence des varices chez les femmes avec LPO (Figure 2) est sensiblement la même que celle de la population féminine générale (20%) : il s’agit donc d’une association mais
pas de relation cause à effet.
La mesure de l’épaisseur du tissu sous cutané (TSC) (Figure 3) est validée dans le LPO dans les études internationales.
Elle permet de définir le stade échographique du LPO (tableau).
Dans notre série, elle augmente significativement avec le stade clinique du LPO et l’IMC.
Dans notre pratique, nous réalisons la mesure de l’épaisseur du tissu sous-cutané (TSC) à la cuisse (12 cm au-dessus du genou) et dans la région fessière.
L’exploration du tissu sous-cutané permet aussi de vérifier l’absence de stase lymphatique (Figure 4) Rappelons que le lymphœdème est le plus souvent unilatéral avec un œdème net intéressant le dessus du pied à la différence du bourrelet caractéristique du LPO.
Enfin, l’élastographie renseigne sur la structure du tissu sous-cutané superficiel6.
Bien connue des radiologues pour l’appréciation des caractéristiques des tissus tumoraux, elle peut être utile pour différencier
le LPO des pathologies du tissu adipeux avec fibrose (Figure 5). Sachant que les caractéristiques cliniques sont très proches dans ces deux pathologies, l’élastographie permet de faire la part entre ce qui est tissu fibreux ou tissu mou, ce qui peut influencer en particulier sur le type de liposuccion conseillé.
Au total : Au terme de cet examen clinique et échographique, le médecin vasculaire
1. Confirme (ou infirme) le diagnostic de LPO en se basant sur des critères cliniques consensuels (Tableau 1)
2. Définit le type anatomique (Figure 6) le stade clinique (Figure 7) et le stade échographique (Tableau 2)
3. Explique à la patiente, souvent très inquiète de son avenir, que l’évolution est variable : il peut y avoir une stabilisation ou une progression vers des stades plus sévères. Il est un facteur d’aggravation surement incontournable, c’est la prise de poids. D’où l’intérêt d’une collaboration entre tous les spécialistes concernés.
4. Décide avec elle des options thérapeutiques. Elles répondent en premier lieu aux souhaits de la patiente qui souvent présente des symptômes du LPO depuis l’enfance, confrontée à la mauvaise connaissance de cette maladie par les médecins, même des médecins vasculaires. Si la chirurgie reposant sur une liposuccion adaptée donne des résultats spectaculaires, tant sur l’esthétique que sur la quasi-disparition des symptômes douloureux, le médecin ne peut que regretter l’absence de connaissance des mécanismes provoquant cette modification de la graisse dans les tissus sous cutanés. Cela lui permettrait d’agir dès le début de l’installation du lipoedème.
5. Prescrit le traitement médical indispensable que ce soit isolément ou avant et après liposuccion par un chirurgien plasticien spécialisé dans le lipoedème. Ce traitement associe régime alimentaire, activité physique, traitement décongestif associant les collants de compression et le drainage lymphatique manuel7.L’explication du bienfait de chacune de ses mesures est la clé d’une bonne compliance !
En conclusion, la patiente présentant un lipoedème doit bénéficier d’une exploration complète au cabinet du médecin vasculaire spécialisé dans cette affection. La clé d’un diagnostic positif est celui d’une prise en charge optimale. Si à l’heure actuelle de nombreuses inconnues persistent, les travaux de recherche se multiplient et devraient déboucher sur une meilleure connaissance des facteurs de risque du LPO et de son évolutivité.
L’auteur ne déclare pas de liens d’intérêts au sujet de cet article.
Michèle Cazaubon,
Médecin Vasculaire,
Paris
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. ALLEN EU, HINES EA, 1940. Lipoedema of the legs. A syndrome characterised by fat legs and orthostatism oedema. Proc Staff Mayo Clin 15 :1984-1987
2. DI RENZO L, GULATIERI P, ALWARDAT N ET AL. The role of IL-6 gene polymorphism in the risk of lipedema. Eur Rev for Med and Pharmacol Sciences 2020 ; 24 :3236-3244
3. HALK AB, DAMSTRA RJ. First Dutch Guidelines on lipedema using the international classifi cation of functionning, disability and health. Phlebology 2017 ; 32 :152-159
4. ALCOLEA JM ET COL. Consensus Document on Lipoedema 2018 includes current status 2019
5. KEITH l ET AL. Proposed Framework for research case definitions of Lipoedema. Lymph Res and Biology 2024 :93-105
6. COSGROVE D, PISCAGLIA F, BAMBER J et al. EFSUMB guidelines and recommendations on the clini-cal use of ultrasound elastography. Part 2: Clinical applications. EFSUMB. Ultraschall Med. 2013 Jun; 34(3):238-53.
7. HERBST KL, KAHN LA, IKER E. Standard of care for lipedema in the United States. Phlebology 2021 ; 36 :779-796