L’autoconservation ovocytaire en France 2 ans après la loi de bioéthique
LA LOI DE BIOÉTHIQUE DU 2 AOÛT 2021 A AUTORISÉ L’AUTOCONSERVATION DES GAMÈTES SANS RAISON MÉDICALE MAIS EN POSANT DES LIMITES STRICTES D’ÂGE (À PARTIR DE 29 ANS ET JUSQU’ AU 37ÈME ANNIVERSAIRE) ET SEULEMENT DANS LES CENTRES D’AMP AUTORISÉS. SEULS 41 CENTRES SUR LES 104 CENTRES D’AMP FRANÇAIS ONT ÉTÉ AUTORISÉS AU DÉPART ET ONT VU ARRIVER UN AFFLUX DE CANDIDATES. DANS LES GRANDES VILLES OÙ LE DÉSIR D’ENFANT EST PLUS TARDIF, LA SITUATION EST DEVENUE EXTRÊMEMENT TENDUE ET NOMBRE DE FEMMES DE 35 OU 36 ANS POURTANT AUTORISÉES DANS LA LOI NE PEUVENT DANS LES FAITS BÉNÉFICIER D’UNE AUTOCONSERVATION OVOCYTAIRE ET DOIVENT TOUJOURS SE RENDRE À L’ ÉTRANGER.
La loi de bioéthique du 2 août 2021 représente une véritable révolution sociétale et a été en ce sens saluée par nombre de professionnels1. La prise en charge des couples de femmes et des femmes seules était la mesure phare de la loi mais cette loi a aussi donné la possibilité aux enfants issus d’un don de gamètes de connaître leurs origines et a autorisé la préservation de la fertilité sans raison médicale. La mise en application de la loi a été laborieuse. Les premiers couples de femmes et les femmes seules n’ont pu bénéficier de paillettes de sperme qu’ au printemps 2022 et les autoconservations ovocytaires n’ont pu débuter qu’en 2022 après la publication du décret du 30 décembre 2021 qui a précisé quels étaient les centres autorisés à la pratiquer. Très rapidement les centres ont été submergés de demandes2..
LA LOI
La France est le seul pays au monde où l’autoconservation est prise en charge à 100 % (sauf le renouvellement annuel de la conservation de l’ordre de 40 €) mais la loi a d’emblée posé 2 limites : l’âge (à partir du vingt-neuvième anniversaire et avant le trente-septième anniversaire) et la limitation aux centres publics autorisés. La loi de bioéthique du 2 août 2021 autorise l’autoconservation ovocytaire mais l’encadre tellement qu’on peut affirmer que la loi ne fait qu’ entrouvrir la porte. Seuls les établissements publics ou privés à but non lucratif pourront lorsqu’ils y sont autorisés la pratiquer, disait la loi.
Le décret du 30 décembre 2021 a précisé les centres autorisés : ceux déjà autorisés à la préservation médicale (et déjà surchargés) et 3 centres autorisés au don d’ovocytes. 41 centres ont ainsi pu débuter l’activité début 2022. Consciente de la saturation des centres autorisés en Ile-de-France, l ’ARS d’Ile-de-France a donné 3 nouvelles autorisations à l’automne 2023 et le gouvernement a annoncé l’ouverture de nouveaux centres sans précisions de date.
DONNÉES FRANÇAISES
Le comité de suivi de l’application de la loi de bioéthique créé par l’agence de biomédecine a fait état le 13 décembre 2023 de près de 20 000 demandes depuis la loi. Les professionnels sont nombreux à penser que ces chiffres sont sous-estimés.
L’agence de biomédecine (ABM) interroge régulièrement les centres autorisés mais les réponses précises à certaines des questions sont impossibles comme nous le leur avons signalé. Impossible de savoir combien de femmes ont tenté de joindre les secrétariats ou d’obtenir un RDV sur Doctolib ! Par exemple à Saint Cloud nous tentons de répondre à la question « combien de nouvelles demandes avez-vous eu ce trimestre ? » en comptant le nombre de RDV d’autoconservation déjà pris pour les mois qui suivent ce qui élimine donc toutes celles qui n’ont pas réussi à joindre le bureau des RDV ou le secrétariat ou Doctolib. Plus fi ables sont les réponses à la question « combien de consultations avez-vous réalisées ? »
Ont été recensées au niveau national 4 451 consultations en 2022 et 3 108 au premier semestre 2023 soit moins de 25% des demandes déclarées ! En 2022 ont été réalisées 1 778 ponctions d’ovocytes en vue de conservation et 2 138 en 2023. Les délais moyens d’attente au 30 juin 2023 étaient estimés à 8 mois au niveau national et à 14 en Ile-de-France. L’ABM s’est réjoui d’une baisse de délai en Ile-de-France puisque nous étions à 20 mois fi n 2022, mais nous leur avons fait remarquer qu’il s’agissait d’une baisse artificielle puisque certains centres franciliens qui inscrivaient pour 2025 ont bloqué leurs inscriptions !
LES PROBLÈMES AU QUOTIDIEN
Les centres franciliens notamment sont submergés de demandes, mais comme nombre de franciliennes refusées dans leur région s’adressent en province, la saturation gagne les centres de province qui commencent à refuser les franciliennes. Les femmes de 36 voire 35 ans sont refusées dans certains centres en raison de leur délai d’attente et doivent s’adresser à l’étranger. Paradoxe de la loi française, ces femmes sont adressées dans des centres étrangers privés alors que les centres privés français n’ont pas le droit de faire de l’autoconservation ! Ne faudrait-il pas mieux autoriser tous les centres qui le souhaitent à faire de l’autoconservation qu’ils soient publics ou privés ? Nous sommes tous limités dans nos moyens humains et matériels. Pour ouvrir des consultations supplémentaires il faut des moyens humains et des salles de consultation pour faire des ponctions supplémentaires, il faut des box d’hospitalisation de jour et des places au bloc opératoire, du temps d’anesthésiste, et de même coté biologique. Il faut du temps humain pour la vitrification ovocytaire et du matériel pour contenir ces paillettes d’ovocytes congelés et des locaux pour stocker ces bonbonnes ! Certes il y eu des crédits supplémentaires mais ces crédits sont alloués aux établissements et non directement aux centres d’AMP et les directions sont frileuses à embaucher avec des crédits non pérennes ! De plus les services de Médecine de la Reproduction font souvent partie des pôles Femmes Enfants dont les recettes ont chuté du fait de la baisse catastrophique de la natalité en France et les finances du pôle sont plus prises en compte que celles du service de médecine de la Reproduction !
Le nombre idéal d’ovocyte à conserver pose lui aussi question. Des courbes ont été proposées pour calculer le nombre d’ovocytes idéal à conserver en fonction de l’âge et des chances de grossesses souhaitées3. Si un consensus français émerge pour viser autour de 15 ovocytes4, les recommandations américaines soulignent qu’il n’y a pas de données suffisantes pour définir un nombre d’ovocytes optima à conserver en fonction de l’âge de la femme5.
Un nouveau problème émerge pour les centres qui font cette autoconservation : le coût. A l’heure des comptes, nos directions savent nous faire remarquer que l’autoconservation n’est pas une activité rentable ! Une FIV est cotée B1550, une ICSI B2600 mais une autoconservation B1250 alors que le temps de travail au laboratoire d’AMP est quasi identique pour vitrifier tous ces ovocytes et organiser les relances annuelles. De plus il n’y pas de transfert d’embryon lui aussi coté (perte estimée à 130 euros par rapport à une FIV mais 400 euros par rapport à une ICSI), certes l’ABM prévoit des crédits dits MIGACS pour compenser mais il faut qu’ils compensent ou que la cotation soit relevée sinon des quotas nous seront imposés et les femmes auront de plus en plus de mal à faire une autoconservation en France. La situation s’apparente à celle de l’IVG dans les hôpitaux trop souvent considérés comme la 5ème roue du carrosse ! C’est devenu un problème politique. Pour que toutes les femmes qui le souhaitent aient accès à l’autoconservation, il faut que les établissements ne soient pas pénalisés, il faut des moyens pour que l’autoconservation se fasse en plus de l’activité ordinaire.
Le taux de reprise des ovocytes par les femmes pose également question. Jusqu’à présent les études faisaient état d’un taux de reprise de 5 à 6 % ce qui était utilisé par les détracteurs de la technique pour pointer le peu d’utilité de cette préservation sociétale. Les études plus récentes avec un recul de 10 ans font état de chiff res bien diff érents : 44 % dans une étude belge présentée à l’ESHRE 2023 et 42% de celles-ci ont obtenu une naissance6, 38% dans une étude américaine de 20217. Une étude israélienne détaille les principaux motifs pour lesquels les femmes ne reviennent pas prendre leurs ovocytes ; 41 % pour cause de grossesse spontanée et 41% aussi faute de partenaire8.
Les femmes seront interrogées jusqu’ à leur 45ème anniversaire tous les ans pour savoir si elles veulent conserver pour elles-mêmes, donner à une femme ou à la science ou demander la destruction. On peut espérer que ces femmes donneront leurs ovocytes à une autre femme résolvant ainsi la pénurie de don d ‘ovocytes mais ce don dit « don secondaire » ne sera pas si simple, il faudra que la femme soit revue en consultation et se soumette aux examens nécessaires, ce qui nécessitera donc encore des moyens humains !
DISCUSSION
Il est connu depuis longtemps (Ined 2012) que les femmes font leurs enfants plus tard dans les grandes villes ou sont concentrées les femmes les plus diplômées9. L’âge moyen à la maternité était en 2022 de 31 ans en France (INSEE 2023) mais en Ile-de-France il était de 34 ans ! On aurait donc dû anticiper les demandes franciliennes et ouvrir plus de centres en IIe-de-France et dans les grandes villes.
Les limites d’âge retenues à partir de 29 ans mais avant le 37ème anniversaire posent aussi problème. Avant la parution du décret sur les limites d’âge, le conseil d’orientation de l’ABM avait été interrogé. Compte tenu du fait que le prélèvement d’ovocytes n’est pas anodin et qu’il mobilise un certain nombre de ressources et représente un coût réel, il s’agit également de trouver un équilibre entre bienfaisance et malfaisance et ce d’autant plus que cet acte nécessite une démarche réfléchie et une implication notable de la femme chez qui il ne faudrait pas susciter de fausse promesse avait écrit L Bujan10. Le Conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine, recherchant cet équilibre, dans son avis du 14 juin 2021 a préconisé un âge pour la conservation des ovocytes sans indication médicale. « L’âge minimum est de 29 ans et l’âge maximum est de 35 ans avec une possible extension au 37ème anniversaire en fonction des résultats du bilan féminin. » Certes les taux de succès de l’AMP vont en diminuant avec l’âge de l’ovocyte mais les données étrangères rapportent des taux de grossesse non nuls avec des ovocytes autoconservés à 37 ans et plus3, 11. Pourquoi cette limite au 37ème anniversaire ? Souci d’efficacité, volonté de ne pas donner de faux espoirs… Certes mais on ne peut pas se demander si cette plage étroite autorisée 2936 n’est pas en rapport avec la prise en charge à 100 % par l’assurance maladie. La France est à ce jour le seul pays au monde où la préservation sans indication médicale est prise en charge à 100%. Compte tenu du fait que ce sont les femmes les plus diplômées qui ont recours à l’autoconservation donc celles qui ont les plus hauts revenus, on doit légitimement s’interroger, ne devrait-on pas demander une participation et élargir les limites d’âge ? Les femmes de 37 ans refusées en France vont à l’étranger dans des centres privés où elles payent la technique mais aussi le transport et l’hôtel, ne serait-il pas possible d’autoriser leur prise en charge en France en leur demandant de payer la technique ? On assiste en France à une explosion de demandes de grossesses en solo par les femmes dites non mariées dans la loi. Les limites de l’autoconservation jouent probablement car nombre de femmes de 37 ans et plus, refusées en autoconservation s’interrogent sur la grossesse en solo. Dans ce cas, prise en charge à 100 % par l’Assurance Maladie, la ponction pour FIV peut se faire jusqu’au 43ème anniversaire et le transfert d’embryon congelé ou le double don (ovocyte et spermatozoïde) jusqu’ au 45ème anniversaire.
On peut espérer que ce tsunami de demandes soit lié au début des autorisations, à l’afflux de femmes d’âge limite mais il aurait fallu prévoir des mesures transitoires pour pouvoir prendre en charges ces femmes et autoriser au moins la 1ère année les 37-39 ans (en remboursant ou non) ?
Pouvoir conserver ses ovocytes en France est une véritable avancée pour les femmes françaises, mais une fausse image de l’autoconservation a trop longtemps circulé, celle de la femme carriériste qui n’a pas de temps pour la maternité. Tout au contraire toutes les études publiées montrent que plus de 80 % des femmes qui font une autoconservation le font parce qu’elles n’ont pas de partenaire12. Il faut toutefois reconnaitre que l’on commence à voir arriver en consultation des femmes en couple mais qui expliquent que ce n’est pas le moment de mettre en route une grossesse (le contexte économique n’y est surement pas étranger) ou que leur partenaire n’est pas encore décidé.
Les limites entre la conservation médicale et celles sans indication sont parfois très floues alors que la conservation médicale est possible légalement jusqu’à 43 ans et la non médicale jusqu’à 37 ans, on doit s’interroger sur la pertinence de cette distinction. Une femme de 37 ans qui vient de se faire quitter après 5 ou 10 ans de vie commune n’a pas droit à une autoconservation en France mais si elle souffre d’une endométriose fut-elle a minima elle trouve parfois un centre qui l’accepte en indication médicale ! Ce qui pousse certaines à chercher des indications médicales qui n’en sont pas !
L’esprit de la loi était d’autoriser sans encourager… Fallait-il vraiment au nom du principe d’égalité une prise en charge à 100 % jusqu’ au 37ème anniversaire et une interdiction absolue à partir de 37 ans. Ne pourrait-on pas prendre en charge avant 37 ans et faire payer les femmes de 37 ans et plus qui payent… en Espagne ou en Belgique !
La réalité sur le terrain fi n 2023, c’est un afflux de candidates surtout de plus de 35 ans, ce sont des femmes de 35 et 36 ans, légalement autorisées à la préservation non médicale refusées dans certains centres d’Ile de France, ce sont des femmes de 37 ans et plus qui s’adressent (et payent) aux centres privés étrangers et enfin que nos consultations sont occupées par ces demandes au détriment parfois des couples infertiles dans les centres autorisés.
Joelle Belaisch-Allart, Négar Kalhorpour, Tiphaine Sindou-Faurie, Ursula Mbeutcha,
Chloé Bughin , Yacine Belaid et Olivier Kulski. Service de Médecine de la Reproduction. Centre Hospitalier des 4 Villes Saint-Cloud.
L’auteur ne déclare pas de liens d’intérêt avec cet article.
RÉFÉRENCES
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