Chef de service de la maternité du Kremlin-Bicêtre, le Pr Hervé Fernandez évoque pour Genesis ses nouveaux grands défis de sa carrière, son implication dans les traitements de l’Endométriose et des fibromes, et son combat en faveur du droit fondamental des femmes à maîtriser leur fertilité… Entretien.
Comment êtes-vous devenu chef de service de la maternité du Kremlin-Bicêtre, ouverte en 2009 ?
Aujourd’hui, 37 ans après avoir participé au premier débat pour la création d’une maternité au Kremlin-Bicêtre, je suis fier d’en être devenu son premier chef de service. Issu de l’immigration, j’ai toujours vécu et travaillé sur Paris. Ma carrière a été le fruit du hasard et de rencontres décisives. Tout d’abord, rien ne me prédestinait à devenir médecin et encore moins gynécologue-obstétricien. Après une année de classe préparatoire HEC, je me suis inscrit en médecine à la faculté du Kremlin-Bicêtre. Et c’est au cours de mon internat que j’ai eu un coup de coeur pour ma spécialité. Je suis alors rentré au service de gynécologie-obstétrique à l’hôpital Béclère que j’ai quitté 25 ans plus tard pour Bicêtre. J’ai eu l’immense chance d’y rencontrer les Professeurs Emile Papiernik et René Frydman. Je suis devenu Professeur en 1992.
C’est à mon tour maintenant de soutenir et promotionner les collaborateurs de mon équipe qui débordent d’idées pour optimiser notre spécialité.
Avez-vous d’autres souhaits professionnels ?
En sein de notre maternité de niveau III, je souhaite de toujours pouvoir bénéficier des moyens modernes pour pratiquer notre activité. Dernièrement, nous avons acquis des colonnes de vidéo 3D et des instruments chirurgicaux robotisés. Dans 5 à 10 ans, je suis persuadé que la chirurgie robotique deviendra incontournable. Mais encore faut-il qu’elle prouve sa supériorité par rapport à la chirurgie traditionnelle. En particulier, j’imagine qu’elle nous offrira des accès opératoires plus faciles pour nos patientes obèses qui, comme vous le savez, sont de plus en plus nombreuses.
Si vous aviez à mettre en avant une pratique qui vous a marqué ces dernières années ; laquelle citeriez-vous ?
L’hystéroscopie diagnostique en consultation grâce à la technique de vaginoscopie est selon moi une technique révolutionnaire. Elle devrait à terme permettre d’éviter les 10 000 hystéroscopies à visée diagnostique effectuées au bloc opératoire avec anesthésie. La vaginoscopie est une pratique peu douloureuse (EVA <3 chez 90 % des patientes) nécessitant
simplement l’introduction d’un optique rigide. Lors de la manipulation, le sérum utilisé permet d’éviter le contact direct entre la paroi de l’optique et les muqueuses, évitant ainsi les douleurs.
Avez-vous des regrets professionnels ?
Pas de regrets personnels mais un sentiment de colère devant le recul constaté sur les droits des femmes à maîtriser leur contraception. Les décisions de nos gouvernants sont plus issues d’une approche politico-financière et médiatique qu’une approche médicale basée sur une analyse bénéfices/risques. Présenter uniquement les risques de la contraception orale ou de l’Essure par exemple, c’est oublier que la grossesse elle-même présente aussi des risques !
Pas de regrets mais un sentiment de frustration. Comme c’est souvent et malheureusement le cas en médecine, les nouvelles pratiques ont du mal à se répandre. Par exemple, aujourd’hui selon FIGO 2011, le fibrome utérin se classe de 0 à 7 en fonction de sa localisation. Le vocable « sous muqueuse », « interstitielle » ou encore « sous-séreuse » doit être abandonné au profit de cette nouvelle classification. Cette description plus objective de la localisation des fibromes utérins (ou cartographie) et, par conséquent, une meilleure transmission des données entre le radiologue, le gynécologue et le chirurgien, conduit à une amélioration de la prise en charge pour les femmes, en évitant des chirurgies inutiles. Dans le même esprit, la FIGO a validé la classification PALM-COEIN sur les causes des symptômes gynécologiques à l’origine des saignements. Elle améliore ainsi la bonne communication entre cliniciens praticiens et chercheurs, et met l’accent sur les approches optimales pour la gestion moderne. Autre fait important, longtemps restées subjectives, les pertes sanguines gynécologiques sont aujourd’hui quantifiables à l’aide du score d’Higham, simple à appliquer.
Pourquoi l’endométriose est-elle de plus en plus fréquente ? Quelles stratégies thérapeutiques nécessite-elle et faut-il opérer de manière systématique ?
Plusieurs facteurs expliquent l’augmentation du nombre d’endométrioses. Nous en diagnostiquons plus qu’avant grâce au progrès de l’échographie et à l’accès plus facile à l’IRM. En parallèle, nous notons que les formes plus graves ont aussi considérablement augmenté. De fortes présomptions, en lien avec des perturbateurs endocriniens et/ou du fait d’avoir des enfants de plus en plus tard, sont exprimés. Des études manquent encore sur le sujet. Ce qu’il faut retenir, à mon avis, c’est la performance des moyens pour lutter contre les errances diagnostiques et l’idée que les douleurs des règles sont normales. L’endométriose peut fortement perturber la vie des femmes et la chirurgie n’est qu’une des solutions pour son traitement. Selon moi, la prise en charge de l’endométriose doit se construire avant tout autour d’une approche antalgique en utilisant mieux les thérapeutiques actuelles. A ce sujet, le CNGOF émettra des recommandations sur l’endométriose à la fin de l’année. Et nous espérons, à l’instar de l’ulipristal acétate dans le traitement des fibromes, que des traitements plus ciblés verront bientôt le jour.
Vous venez d’évoquer Esmya. Que pensez-vous de son ASMR récent de niveau 5 ?
Typiquement, cette décision est encore une fois plus politico-économique que scientifique. La France est le seul pays des 28 membres de l’Europe à avoir pris cette position. Ce médicament est une avancée thérapeutique majeure pour la santé des femmes. L’efficacité de ce traitement sur les saignements et le volume des fibromes nous ont conduits à reconsidérer totalement notre organigramme de prise en charge des fibromes. Son principe actif, l’ulipristal acétate, est un modulateur synthétique sélectif des récepteurs de la progestérone, actif par voie orale, caractérisé par un effet antagoniste partiel de la progestérone sur des tissus spécifiques. Objectivement, il n’est pas fréquent de pouvoir disposer d’une nouvelle molécule aussi efficace pour une pathologie aussi fréquente. A 5mg/kg/jour en deux cures de 3 mois, on note une diminution de 50 % du volume du fibrome avec une incidence notable sur les symptômes et sur la pertinence de la chirurgie dans certains cas.
« La chirurgie de l’infertilité et si on y repensait » est-ce un slogan qui pourrait résumer un de vos grands défis pour les années à venir ?
Effectivement, je souhaite redonner à la chirurgie une place dans le traitement de l’infertilité. Créé en septembre 2016, le Groupe Européen de la Chirurgie de l’Infertilité a pour ambition de replacer le chirurgien au coeur des stratégies de prise en charge. Initiée par un chirurgien il y a 38 ans, la fécondation in vitro est devenue une affaire de spécialiste dans laquelle les chirurgiens n’interviennent que très peu. Or pour qu’il ait grossesse, faut-il rappeler la nécessité d’une cavité utérine accueillante. Aujourd’hui, nous avons tous les outils pour conserver ou rétablir un utérus fonctionnel ; sans oublier les trompes qui suite à une infection, à une intervention chirurgicale, ou à une malformation, peuvent être responsable de sécrétion embryotoxiques.
Pr. Hervé Fernandez déclare avoir des liens d’intérêt avec Gédéon Richter et Bayer.
Propos recueillis par Frédéric Pitetti
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