La chirurgie ambulatoire est tout à fait adaptée à la chirurgie sénologique y compris dans le cancer du sein. Sa progression en France dépend de l’éducation des patientes et de la formation de l’ensemble de l’équipe soignante.
Définition
Voici la définition de la chirurgie ambulatoire telle qu’elle a été établie en 1993 lors d’une conférence de consensus qui lui était consacrée : la chirurgie ambulatoire correspond à l’ensemble des actes techniques ou des investigations programmées, réalisées dans des conditions de sécurité technique d’un bloc opératoire, sous une anesthésie de mode variable, suivi d’une surveillance post opératoire prolongée, permettant la sortie le jour même de son intervention sans risque majoré.
Généralités
C’est l’ensemble des actes chirurgicaux autorisant le retour au domicile le jour même de l’intervention. C’est une évolution naturelle des pratiques de soins pour plusieurs raisons :
- confort du patient
- demande du patient
- maitrise des dépenses de santé
- amélioration de l’organisation du travail
- diminution du risque d’infection nosocomiale
- amélioration de l’accès aux soins
- responsabilisation du patient.
On peut regretter le retard pris par la France et ce, pour toutes les spécialités y compris la gynécologie, et,malgré l’avènement des techniques de chirurgie mini invasives, que ce soit la cœlio ou l’hystéro chirurgie et aussi en matière de sénologie la chirurgie du ganglion sentinelle.
Critères de sécurité
Afin de garantir sécurité et satisfaction des patientes, la chirurgie ambulatoire doit répondre à certains critères et, comme nous le verrons plus tard, la chirurgie sénologique y répond parfaitement :
- chirurgie programmée
- de courte durée
- avec une sélection nécessaire des patientes :
- aptitude à observer les prescriptions médicales
- accompagnement par un tiers le jour de l’intervention
- éloignement modéré de la structure de soins
- respect des consignes anesthésiques (recommandations SFAR 1994).
Etat des lieux : la France au sein de l’OCDE
L’OCDE correspond à l’Organisation de Coopération et de Développement Economique et regroupe 30 pays dont la France. En 1995, l’IAAS (International Association of Ambulatory Surgery) commande une série d’études à l’OCDE. Il s’agit d’études comparatives des pratiques et du niveau de développement de la chirurgie ambulatoire à l’aide de 18 interventions dites traceuses : de la cataracte à la cure de hernie en passant par la chirurgie testiculaire et, pour ce qui nous intéresse, la cœlio chirurgie et la chirurgie du sein.
En 2003, la France se plaçait au 13e rang au sein de l’OCDE avec 40% de prise en charge en ambulatoire contre 94% aux USA.
En 2000, il y avait 7 272 places d’ambulatoire pour 2.175.967 interventions. En 2003, 8 602 places pour 2.603.211 interventions. Il y a eu donc un progrès entre 2000 et 2003, avec 20% de places d’ambulatoire en plus et 20% d’interventions supplémentaires.
Le secteur privé est plus performant que le public : 85% des interventions ambulatoires ont lieu dans le privé. La chirurgie ambulatoire représente 5% de l’activité chirurgicale de l’hôpital contre 30% dans le privé. 33% contre 46% des interventions traceuses sont réalisées en ambulatoire.
Il existe des disparités géographiques : d’après le rapport de la CNAM en 2007, l’Ile-de-France et le sud réalisent 50% de ces interventions, surtout dans le privé. Dans le public, aucune région ne dépasse ce seuil.
Il existe aussi des disparités inter spécialités et notre spécialité n’est pas à l’honneur : 1% des cœlioscopies sont réalisées en ambulatoire et seulement 12% des actes sénologiques. Nous avons donc à progresser dans notre spécialité.
Nature des interventions
Si l’on écarte volontairement les interventions chirurgicales sénologiques dites esthétiques, quelles interventions sont réalisables en ambulatoire ?
Il existe des indications évidentes :
- La tumorectomie simple
- La tumorectomie après repérage, qu’il soit fait la veille ou le jour même de l’intervention
- La pyramidectomie.
ET des indications potentielles :
- Le sentinelle seul ou associé à la tumorectomie
- Quant aux interventions, qu’il s’agisse de tumorectomie avec curage ou les mammectomies, elles sont faites dans d’autres pays en ambulatoire dans certains cas mais sont plus problématiques notamment pour la gestion des redons par le patient.
Le cancer du sein en France
La chirurgie du cancer du sein représente 36% des interventions cancérologiques, contre 14% pour le cancer du colon et 4% pour les tumeurs ovariennes. En 30 ans, l’incidence du cancer du sein a augmenté de 118% et représente actuellement 45.000 nouveaux cas par an.
Une des manières de réagir en termes d’encombrement d’hospitalisations dans les structures spécialisées est de proposer une chirurgie ambulatoire :
- Elle diminue les coûts
- Elle diminue les hospitalisations.
Il faut, par contre, bien cerner la population concernée. Il s’agit des patientes présentant des tumeurs de petite taille à faible risque d’envahissement ganglionnaire à qui on pourra proposer une tumorectomie avec technique sentinelle. La population du dépistage s’y prête parfaitement.
La chirurgie ambulatoire gagne du terrain. La chirurgie du sein est tout à fait adaptée.
Coût de l’hospitalisation
La T2A correspond à la tarification à l’acte. Chaque acte y est codifié de manière spécifique et est rémunéré de la même manière et ce, quel que soit la durée de l’hospitalisation. Ainsi une tumorectomie Sentinelle codifiée QEFA008 rémunère l’établissement de soins à hauteur de 2 586 euros, que la patiente reste une nuit ou une semaine. Seul exception paradoxale : en cas d’hospitalisation ambulatoire, la rémunération est de moitié et les établissements de soins en France ne sont donc pas poussés à faire de l’ambulatoire dans cette indication.
La chirurgie du sein est elle adaptée a l’ambulatoire ?
Nous allons voir par la suite pourquoi ces patientes atteintes de lésions mammaires sont de bonnes candidates à l’ambulatoire en fonction de plusieurs paramètres :
- Durée de l’intervention
- Suites post opératoires
- Complications.
Nous verrons l’acceptabilité des patientes, leur tolérance psychologique, le taux de conversion et pour finir nous verrons l’expérience d’un grand centre de cancérologie qu’est le MD ANDERSON CANCER CENTER.
Les suites opératoires
Concernant les suites, il existe 3 problèmes principaux à savoir : les douleurs, les vomissements et les complications.
LA DOULEUR POST OPERATOIRE (Pavlin et al, Anesth Analg 2002)
Un des obstacles à l’ambulatoire est représenté par la douleur post opératoire. La douleur post chirurgie du sein est modérée si on la compare à d’autres interventions telles que la coeliochirurgie ou la chirurgie plastique. A 1h30 de l’intervention, le score de la douleur est modeste, entre 1 et 2, et la patiente peut alors rentrer à son domicile avec une ordonnance d’antalgique sans inquiétude particulière.
FACTEURS PREDICTIFS DE NAUSEES OU VOMISSEMENTS POST OPERATOIRES
Les nausées ou les vomissements post opératoires rencontrés après une anesthésie générale peuvent être un frein à une sortie précoce. Ils sont fonction de :
- la durée de l’intervention, très fréquents après une heure
- la dose cumulée de Fentanyl, elle aussi fonction de la durée d’intervention
- Et du type d’intervention : 24% de nausées contre 72% en cas de chirurgie plastique.
LES COMPLICATIONS POST OPERATOIRES (Marchal et al, EJSO 2005)
Les complications après chirurgie du cancer du sein sont essentiellement de 3 ordres :
- les abcès
- les hématomes
- les lymphocèles.
La seule complication qui nous intéresse ici est le saignement post opératoire nécessitant une reprise chirurgicale en urgence. Il s’agit effectivement de la seule complication précoce de cette chirurgie, les abcès et les lymphocèles survenant plus tardivement. Cette complication est rare, aux alentours de 1%.
LE LYMPHOCELE (Dravet et al, Ann Chir 2000)
Les lymphocèles sont-ils plus fréquents en cas de chirurgie effectuée en ambulatoire ? La réponse est oui mais il s’agit de lymphocèles de petit volume ne nécessitant pas de ponction (30% versus 18%). Les lymphocèles volumineux nécessitant une ponction sont identiques que la chirurgie soit faite en hospitalisation ouen ambulatoire.
ACCEPTABILITE PAR LA PATIENTE (Marchal et al, ESJO 2005)
L’acceptabilité par les patientes est bonne, surtout en cas de tumorectomie simple. On note 10% de refus dans ce cas de figure. Par contre, en cas de geste ganglionnaire associé, les patientes sont plus réticentes et refusent l’ambulatoire dans plus de 20% des cas, ce qui est probablement dû à l’inquiétude générée par la gestion des redons.
SATISFACTION DES PATIENTES (Bonnema et al BMJ 1998)
A court et à moyen terme, 4% des patientes seulement auraient préféré une hospitalisation plus longue. Par contre, à court et à moyen terme, 30% des patientes hospitalisées de façon traditionnelle auraient préféré de l’ambulatoire.
En conclusion, il semble que la chirurgie du sein soit adaptée à l’ambulatoire :
- Les patientes sont en général en bon état général sans comorbidité;
- Elles sont d’âge jeune ou moyen ;
- Les interventions sont de courte durée ;
- Elles sont peu hémorragiques et n’entrainent pas de désordre physiologique important ;
- Il n’y a pas de risque de modification de la stratégie chirurgicale en cas de complication ;
- La durée de rétablissement est souvent courte ;
- Les soins post opératoires sont peu importants ;
- Le risque de douleur est faible et contrôlé par les antalgiques de niveau 1 et 2.
Raisons du refus de l’ambulatoire : enquête URML Centre 2004
- Risque de mauvais réveil anesthésique ;
- Besoin d’un entourage sécurisant ;
- Crainte de rentrer trop tôt au domicile sans surveillance ;
- Angoisse des complications post opératoires ;
- Peur de se retrouver seule à la maison avec un problème ;
- Age et perte partielle d’autonomie ;
- Peur de souffrir ou de sentir l’opération.
Expérience du Md Anderson Cancer Center
Un mot sur le MD ANDERSON où se traitent 3 000 cancers par an avec 7 chirurgiens dédiés au cancer du sein. 20% des tumeurs traitées le sont par la technique du ganglion sentinelle. On y privilégie les hospitalisations courtes dont l’ambulatoire.
La grande différence avec les structures françaises cancérologiques repose sur la prise en charge optimale du patient et ce, dès son admission en ambulatoire. Les malades sont pris en charge dès leur admission par toute l’équipe cancérologique, de l’infirmière à l’oncologue médical. Le rôle de la « nurse » est très important car elle va expliquer à la patiente toutes les étapes de sa journée d’hospitalisation mais aussi les soins post opératoires ainsi que les traitements complémentaires à venir.
Elle va préciser à la patiente qu’elle va bénéficier d’un plan personnalisé de soins fonction de ses résultats et lui présenter l’équipe de soins. Elle détaille les différentes procédures chirurgicales en expliquant les différences entre les interventions possibles que ce soit pour la tumeur ou pour les ganglions. Elle prévient de la possibilité de mise en place de drains en expliquant leur rôle après l’opération, la manière de les gérer et quand les retirer.
La nurse présente à la patiente la notion de BSE (breast self examination). Il s’agit de lui montrer comment surveiller sa cicatrice mammaire et axillaire. Ainsi la patiente devient familière avec l’examen du sein, ce qui est utile pour le post opératoire mais aussi pour la surveillance des récidives. Elle propose différents exercices à effectuer à domicile avec les drains en place.
La procédure sentinelle est elle réalisable sous anesthésie locale?
On a vu que cette procédure est réalisable en ambulatoire mais l’est-elle sous AL ?
On rappelle les impératifs de la procédure sentinelle avec la notion de filière sentinelle. Qu’elle soit faite ou non sous locale, elle doit respecter certaines règles :
- Méthode combinée
- Lymphoscintigraphie pré opératoire.
Les promoteurs français de cette technique sentinelle sous locale ont proposé une procédure que je trouve complexe et finalement non appropriée :
Le ganglion sentinelle est effectué en ambulatoire sous locale sans extemporane. On récupère le résultat du ganglion dans les 15 jours notamment l’ImmunoHistoChimie pour la détection des micro métastases. Et, en fonction, 15 jours plus tard, on effectue la tumorectomie sous AG associée éventuellement au curage si l’histologie ganglionnaire est positive.
Cette procédure me parait critiquable :
Si on veut diffuser cette technique de sentinelle sous locale, il faut la réaliser en un temps et associée à la tumorectomie en sélectionnant les patientes :
Patientes compliantes correspondant aux critères généraux de l’ambulatoire :
- Non obèse
- Tumeurs peu profondes
- Double détection.
Conclusion
La chirurgie ambulatoire gagne du terrain.
La chirurgie du sein est tout à fait adaptée.
Les limites sont connues avec une évolution pas à pas par l’éducation des patients et des médecins.
«La chirurgie ambulatoire n’est pas une autre façon de soigner mais lorsque l’indication le permet, la meilleure façon de soigner» : Mme Simone Weil-Fondation de la société internationale de chirurgie ambulatoire 1996.
Eric Sebban – Chirurgien gynécologue et Oncologue ; Département de chirurgie gynécologique, mammaire et carcinologique ; Institut du sein Henri Hartmann ; Clinique Hartmann, Neuilly/Seine
Site web du Dr Sebban : https://www.docteur-eric-sebban.fr
RÉFÉRENCES
Pavlin et al, Anesth Analg 2002
Marchal et al, EJSO 2005 Dravet et al, Ann Chir 2000
Bonnema et al, BMJ 1998 ENQUETE URML CENTRE 2004
Article paru dans le Genesis N°183 (mars/avril 2015)
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