1. Pouvez-vous nous retracer les grandes étapes de votre carrière au regard des évolutions qui ont traversé, voire bouleversé, votre discipline ?
• Quelles sont vos grandes étapes de carrière ? Comment avez-vous fait pour en arriver là ?
Je suis né le 12 décembre 1938 à Pékin en Chine. D’une famille de quatre enfants, j’étais celui qui travaillait le plus. J’étais un bon élève à l’école, c’était pour moi une évidence de suivre la profession familiale. Mes parents étaient tous les deux médecins. Mon père était médecin militaire, ce qui explique sa présence en Chine au moment de ma naissance. Quant à ma mère, elle était médecin généraliste. Ils étaient tous deux nés en 1900. Ma mère est devenue médecin en 1924-25, une époque où il n’y avait que très peu de médecins femme en France. Je pense que j’aurais pu difficilement faire autre chose, je suis très content de ce choix, car je me suis beaucoup plu dans cette profession.
• Êtes-vous arrivé en France pour vos études de médecine ?
Non pas du tout, mon père avait été nommé comme médecin à l’ambassade de France en Chine en 1936. Nous sommes rentrés en France en 1939, en pleine guerre sino-japonaise.
Ma mère était originaire du Sud-Ouest et mon père du Var. Dans la normalité, j’aurais dû effectuer mes études à Bordeaux, mon père étant médecin militaire, l’école de santé se situait à Bordeaux. Or, j’ai fait l’ensemble de mes études de Médecine à Marseille.
C’est là-bas que j’ai découvert la gynécologie et ça m’a beaucoup plu. C’est une spécialité que je pourrais qualifier de « vivante ». Quant à l’obstétrique, c’est une spécialité très intéressante bien que fatiguante. A cette époque, elle était en pleine renaissance avec notamment des avancées fantastiques sur la physiologie du fœtus et son exploration in vivo. Ces avancées ont marqué les 50 dernières années obstétricales. Parmi les nombreux maitres que j’ai eus, je retiendrais surtout le nom du Professeur Henri Serment, qui a été incontestablement mon maitre en gynécologie.
Durant mes études, j’ai été interne des hôpitaux de Marseille, puis chef de clinique pendant quelques mois, puis assistant chef de clinique pendant 4 ans. Ensuite, j’ai eu la chance d’avoir un poste pour l’agrégation. J’ai été nommé chef de service à la maternité de la Belle de Mai, puis à l’hôpital de la conception au départ à la retraite de M. Serment.
Actuellement, je suis à la retraite, mais je continue une activité médicale en libéral malgré mon grand âge. J’ai tout de même arrêté d’opérer en 1976. Mon activité est essentiellement une activité de consultation et d’avis médical.
• Vous aviez du mal à décrocher ?
Disons que je trouve mon bonheur dans ce travail-là, parce que j’ai l’impression d’être utile, puis ça me permet de conserver une activité à la fois professionnelle et sportive. Je me déplace pratiquement tout le temps à vélo entre l’hôpital et mes deux cabinets. Ce qui me fait des déplacements journaliers de plusieurs kilomètres. Etant donné que je n’opère plus, il n’y a plus de stress et je commence mon week-end le mercredi soir.
• Vous êtes resté en obstétrique, pas gynéco pure ?
Disons que je fais partie des gynéco-obstétriciens qui ont toujours défendu la dualité entre gynécologie et obstétrique. Beaucoup de médecins font de la chirurgie gynécologique, puis abandonnent petit à petit l’obstétrique. Personnellement, j’essaie dans la mesure du possible de rester dans l’obstétrique, mais il est vrai que par goût, je me suis orienté de plus en plus vers la gynécologie chirurgicale et médicale. J’en profite pour remercier le Dr Jamin qui m’a particulièrement appris la gynécologie endocrinologique.
Je suis à la fois chirurgien et médecin, ce qui fait la beauté de ce métier. Dans mes interventions, un certain nombre de patientes me sont adressées par des correspondants. Cependant, en tant que gynéco-obstétricien, j’ai la possibilité de recruter moi-même mes propres patientes. Ce qui fait que j’ai une vue beaucoup plus objective et je sais exactement pour quelle raison je les opère. L’inverse n’est pas toujours évident.
2. Quels ont été pour vous les progrès marquants de la gynécologie durant les décennies récentes ?
En premier, je dirais le traitement des troubles de la statique pelvienne c’est-à-dire des prolapsus (descente d’organes) et de l’incontinence urinaire En ce qui concerne le traitement des prolapsus, il existe deux orientations :
– La 1ère consiste à fixer les organes prolabés au ligament sacro-iliaque c’est-à-dire le promontoire situé entre la 4ème vertèbre lombaire et le sacrum. Cette intervention a été une révolution dans le traitement chirurgical des prolapsus. Elle a été au début réalisée par laparotomie mais actuellement elle est pratiquée presque exclusivement par coelioscopie. L’apparition des prothèses synthétiques de renfort est très bien tolérée par coelioscopie.
– La deuxième technique consiste à pratiquer une intervention par voie vaginale et de multiples techniques ont été proposées selon l’organe prolabé vessie, utérus, rectum. La multiplicité de ces techniques expliquent leur effi cacité très discutable. C’est la raison pour laquelle, l’apparition des prothèses permettant le support des tissus prolabés a été considérée comme une amélioration certaine. Malheureusement les prothèses placées par voie vaginale sont mal tolérées car elles sont placées obligatoirement après ouverture du vagin. Ce qui ouvre la voie à de possibles infections. Ces prothèses de renfort ont de ce fait été abandonnées de façon. officielle par la Haute Autorité de Santé.
En ce qui concerne l’incontinence d’urine, le traitement chirurgical a bénéfi cié d’une véritable petite révolution par l’utilisation de bandelettes sous urétrales qui sont bien supportées du fait de leur petite dimension par rapport aux renforts prothétiques utilisés dans le traitement des prolapsus.
Elle permet de surveiller toutes les grossesses à risque élevé. En cas de risque d’accouchement très prématuré, elle oriente bien sûr la patiente vers des maternités de niveau 3. Dans le cas où l’accouchement arrive précipitamment, cette maternité a la possibilité de prendre en charge la patiente et de la transférer par la suite après l’accouchement.
Le niveau 1 : Ce sont toutes les petites maternités d’importance moindre qui doivent s’occuper principalement des grossesses et des accouchements sans risque.
Les maternités de niveau 3 bénéfi cient de spécialistes seniors (chefs de cliniques – assistants, mais aussi Professeurs) qui sont de garde 24h/24h et qui dorment à la maternité. Par conséquent, s’il se produit un drame absolu à 4h du matin qui nécessite une césarienne dans les minutes qui suivent, ils interviennent très rapidement. Dans les maternités de niveau 2, ces médecins ne sont pas obligés de rester dans la maternité, mais restent tout de même de garde.
Cette organisation a permis de diminuer la mortalité néonatale qui se situe en France à un bon niveau mais il faut signaler l’existence d’un courant inverse qui tente de faire disparaitre un certain nombre de niveaux de sécurité : accouchement dans un milieu liquide – disparition des produits permettant d’améliorer la qualité des contractions utérines (ocytocique) – disparition d’un certain nombre d’anesthésies péridurales qui peuvent augmenter parfois les extractions instrumentales du fœtus – les gestes considérés systématiquement comme des véritables agressions (épisiotomie).
En deuxième position, Il y a bien entendu l’endoscopie qui a révolutionné la chirurgie gynécologique, mais cela ne date pas des 15 dernières années.
La cœlioscopie opératoire a été particulièrement développée en France par le docteur Hubert Manhes qui a fait ses études à Clermont-Ferrand dans le service du Pr Maurice Bruhat. Ce dernier a compris que son élève était un petit génie et lui a demandé de venir travailler dans son service pour former tous les internes et les seniors. Ainsi est née l’école de Clermont-Ferrand dont la renommée a été mondiale.
L’hystéroscopie est l’endoscopie de l’utérus. Elle a été ressuscitée par un gynécologue marseillais, le Dr Robert Porto. Et le Pr Serment a compris qu’il était intéressant de demander à son ancien élève de revenir dans son service pour développer cette exploration. Le Dr Jacques Hamou, gynécologue parisien, a pris le relais du Dr Porto pour poursuivre le développement de l’hystéroscopie opératoire.
3. Si vous aviez à mettre en avant une pratique qui vous a marqué ces dernières années, laquelle citeriez-vous ?
Je dirais le passage de la chirurgie abdominale à ventre ouvert à la cœlioscopie, c’est-à-dire à ventre fermé.
4. Vous êtes une des figures marquantes de la maternité. Quels ont été les grands axes de développement de votre service ?
Je n’ai rien mis au point.(sourire) Mais j’ai toujours été curieux. Je me suis intéressé à l’ensemble de la spécialité : obstétrique/ gynécologique.
En ce qui concerne l’obstétrique, jje pense qu’il faut citer le Professeur Emile Papiernick qui s’est toujours intéressé au problème lié à l’accouchement prématuré des grossesses à risque. Il a été en quelques sorte le précurseur de l’individualisation des niveaux de maternité. En France, il existe 3 niveaux de maternité.
Le niveau 3 est une maternité dans laquelle, tous les actes obstétricaux peuvent être réalisés :
Réanimation des nouveau-nés, prise en charge de toutes les pathologies de grossesses à risque… et surtout cette maternité se trouve à proximité d’un service de néonatologie. Par conséquent, lorsque vous avez une patiente qui accouche d’un bébé à la 32-33e semaine de 800-900g, qu’il faut réanimer ou pas, c’est un atout énorme de pouvoir passer directement d’un service de maternité à un service de néonatologie. Il en existe que très peu en France.
Le niveau 2 est une maternité de tous les centres de moyenne importance : Elle permet de surveiller toutes les grossesses à risque élevé. En cas de risque d’accouchement très prématuré, elle oriente bien sûr la patiente vers des maternités de niveau 3. Dans le cas où l’accouchement arrive précipitamment, cette maternité a la possibilité de prendre en charge la patiente et de la transférer par la suite après l’accouchement.
Le niveau 1 : Ce sont toutes les petites maternités d’importance moindre qui doivent s’occuper principalement des grossesses et des accouchements sans risque.
Les maternités de niveau 3 bénéficient de spécialistes seniors (chefs de cliniques – assistants, mais aussi Professeurs) qui sont de garde 24h/24h et qui dorment à la maternité. Par conséquent, s’il se produit un drame absolu à 4h du matin qui nécessite une césarienne dans les minutes qui suivent, ils interviennent très rapidement.
Dans les maternités de niveau 2, ces médecins ne sont pas obligés de rester dans la maternité, mais restent tout de même de garde. Cette organisation a permis de diminuer la mortalité néonatale qui se situe en France à un bon niveau mais il faut signaler l’existence d’un courant inverse qui tente de faire disparaitre un certain nombre de niveaux de sécurité : accouchement dans un milieu liquide – disparition des produits permettant d’améliorer la qualité des contractions utérines (ocytocique) – disparition d’un certain nombre d’anesthésies péridurales qui peuvent augmenter parfois les extractions instrumentales du fœtus – les gestes considérés systématiquement comme des véritables agressions (épisiotomie).
5. Quelles influences ou inspirations ont dirigé votre vie professionnelle ?
La personne qui m’a vraiment influencé, c’est le professeur Serment. En plus d’être mon maître gynécologique, on partageait ensemble des activités extraprofessionnelles. J’adorais la chasse et il m’avait invité plusieurs fois dans des chasses un peu huppées. De mon côté, je l’avais invité en Corse. On avait une espèce de symbiose amicale qui n’avait rien à voir avec la gynécologie et l’obstétrique, mais qui était quand même un mélange de tout ça. Je l’écoutais comme si c’était mon père et disons que si je me suis intéressé à la statique pelvienne c’est principalement grâce à lui. Il faisait beaucoup de chirurgie du prolapsus.
D’autres personnes m’ont également influencé notamment, le Professeur Bruhat pour son amour de l’endoscopie qu’il m’a inculqué. Il m’a fait comprendre qu’il fallait tourner la page de la chirurgie à ventre ouvert.
6. Quels ont été vos combats ou vos ambitions qui vous ont porté et continueront de vous porter ?
Mon ambition est de faire comme ma mère. Elle est décédée à l’âge de 100 ans et ma seule ambition c’est de dépasser de quelques jours mes 100 ans.
Maintenant sur le plan professionnel, j’ai écrit énormément de bouquins et je pense que je pourrais encore en écrire un ou deux. L’inconvénient est qu’il faudrait désormais que je l’écrive avec un ou deux autres co-auteurs, mais je ne sais pas si j’en suis toujours capable. Je crains que ce rêve reste au stade du désir.
7. Vous êtes aussi célèbre parmi vos collègues du fait de votre passion pour le sport. Quelle place a-t-il tenu dans votre vie personnelle et professionnelle ?
Il a pris une grande place, car on ne peut être que bien dans sa peau lorsqu’on a une bonne activité physique. Pour moi, le sport a toujours fait partie intégrante de ma vie. Encore aujourd’hui, tous les matins, je fais 30-45 min de gym, je circule à vélo. J’ai une activité physique très régulière. Je n’ai jamais pratiqué le sport de haut niveau, mais quand même lorsque j’étais au début de ma carrière, j’exercais dans une petite maternité isolée (Maternité Belle de Mai).
J’ai fait une grande partie de mon internat et de mon assistanat là-bas. J’ai été nommé agrégé et puis j’ai été professeur. J’ai passé 20 ans à la maternité. Durant ces années, j’ai créé une équipe de football de médecins. On était connu dans la France et même dans les pays francophones. On disputait des jeux mondiaux de la médecine avec des résultats pas trop mauvais, mais surtout on a été champions de France du point de vue médical.
Le vélo a également beaucoup compté pour moi. Il m’est arrivé de faire en compagnie du Pr Patrick Madelenat des sorties de 180-200 bornes parfois.
Ma troisième activité était la course à pied, j’ai fait plus de 20 marathons et même si les résultats n’étaient pas bons, je les ai tous finis.
8. Marseille tient une place importante dans votre cœur. Qu’est-ce qui en fait son originalité ?
Vous savez, le marseillais a une réputation de râleur et de contradicteur. Je pense que c’est la vérité. Regardez par exemple, il existe deux forts qui protègent le vieux port de Marseille, mais ces forts ne protègent pas l’entrée de la mer. Les canons étaient dirigés sur la ville, contre les marseillais.
Les gens avaient compris qu’il fallait s’occuper sérieusement des marseillais qui étaient en colère en permanence et étaient capables, d’un coup, de faire une petite révolution.
Le Marseillais est râleur, autonome, indépendant et veut être en quelque sorte l’adversaire de Paris. Mais c’est vrai que Marseille est bien connu pour être en avance sur la capitale dans certains domaines intellectuel scientifi que et sportif…
9. Auriez-vous un conseil à donner à un jeune qui s’installe ?
Si je devais donner un conseil, je dirais que la médecine ce n’est plus ce que c’était avant.
Avant les gens faisaient médecine par vocation. Personnellement, j’ai fait latin-grec et philo. Quand je suis arrivé en médecine, j’ai énormément « galéré », car la physique, la chimie, les mathématiques ce n’est pas ce que j’avais appris au cours de mon cursus. Maintenant, ceux qui font médecine, sont ceux qui sont bons en mathématiques, en physique et chimie. Pas autre chose. Ils se présentent à plusieurs concours dont médecine et ils y arrivent les yeux fermés. Après ils se retrouvent à faire des choses intéressantes ou non. Certains ont la vocation, il ne faut pas non plus exagérer, mais d’autres non. Alors moi je dirais aux jeunes d’essayer d’avoir de l’empathie avec leurs patientes.
Il n’y a plus aucune empathie. La plupart de mes patientes me disent : « Des gens comme vous on n’en trouve plus. Vous discutez avec nous, vous nous expliquez ce que l’on a, ce que l’on peut faire », mais je ne fais que mon travail.
La deuxième chose que je conseillerais, qui est encore plus importante : ne rien annoncer à la patiente si vous n’en êtes pas sûr. Je suis outré par les réflexions que font mes confrères dans certaines spécialités. Donc quand vous affi rmez quelque chose, il faut que vous en ayez la preuve absolue.
Actuellement en France, on fait des campagnes sur l’endométriose. Le nombre de femmes qui me disent « mon généraliste m’a dit que c’était peut-être de l’endométriose. Alors vous savez, je me suis renseignée et c’est sûr, j’ai l’endométriose. J’ai ma cousine qui a eu ceci, qui a eu cela. Et moi je sais que ce n’est pas bon pour moi etc. », mais avec des troubles qui n’ont rien à voir avec la possibilité d’une endométriose. Donc la deuxième chose que je leur dirais c’est : Faites attention aux choix des mots que vous utilisez avec vos patientes. C’est important.
Propos recueillis par Cindy Patinote.