Spécialiste français et international des pathologies induites par les papillomavirus humains et un des précurseurs de l’origine virale du cancer du col de l’utérus, le Dr Joseph Monsonego attache un grand prix à la prévention de cette maladie désormais totalement évitable. Il retrace ici le parcours enrichissant qui a conduit à la mise au point de tests de dépistage performants et de vaccins efficaces.
Pouvez-vous nous retracer votre parcours ?
J’ai commencé dans la gynécologie classique, puis je me suis très vite intéressé à l’oncologie gynécologique. J’ai ainsi travaillé dans l’unité de dépistage onco-gynécologique et mammaire au côté du Pr Lucien Israël, avec qui j’ai appris la recherche fondamentale appliquée à la clinique. Mais j’étais frustré qu’on ne puisse pas faire véritablement de prévention des pathologies mammaires. Parallèlement, je m’étais intéressé au col utérin dans le sillage de Fernand Coupez et Jean de Brux. Il y a 20 ans, la pathologie du col se résumait à la morphologie (frottis-histologie et colposcopie). Je découvrais un domaine où il était possible de gérer tout par soi-même : avec l’aide de la cytologie et de l’histologie, la colposcopie nous permettait d’objectiver et de traiter les lésions. C’est à cette époque qu’a émergé l’idée que les papillomavirus pouvaient être impliqués dans la genèse du cancer du col.
D’où l’idée d’une prévention par un vaccin ?
Les HPV à risque, lorsqu’ils persistent, ont un potentiel de transformation des cellules. La zone de transformation du col, site vulnérable à l’exposition aux virus, va subir des modifications objectivables en colposcopie. La lésion peut alors être détruite ou retirée selon une procédure précise. Ma réflexion m’avait conduit à penser qu’un virus initiant une pathologie précancéreuse et cancéreuse devait pouvoir être neutralisé si un vaccin préventif pouvait agir au moins sur les virus les plus fréquents et les plus à risque. Fondés sur le caractère très immunogène et spécifique de pseudo particules virales (non infectantes) des virus 16 et 18 (vaccin bivalent) ou des virus 16, 18, 6 et 11 (vaccin quadrivalent), les essais cliniques randomisés, que nous avons coordonnés en France, apportent la preuve d’une efficacité remarquable vis-à-vis des lésions précancéreuses associées aux types viraux du vaccin à condition qu’on cible une population idéale non exposée à ces virus. Depuis, les expériences dans la vraie vie de près de dix ans confirment, en particulier dans les pays où existent des couvertures vaccinales supérieures à 50 %, la protection vis-à-vis des virus du vaccin et parfois sur d’autres pour les lésions précancéreuses et sur l’ensemble de la population témoignant d’un effet de groupe mesurable. La vaccination a apporté une réponse simple et efficace, permettant de réduire à plus de 50 % les CIN3, tous types viraux confondus. Cet effet remarquable vient en complément du dépistage dont le rythme et les procédures sont à repenser.
Justement, les cancers du col sont-ils, aujourd’hui, suffisamment dépistés et pris en charge en France ?
Depuis les années 1950, le frottis a contribué à diminuer substantiellement l’incidence et la mortalité par cancer du col. Mais depuis une quinzaine d’années, malgré les efforts de sensibilisation et des projets pilotes assez hétérogènes, notre pays a du mal à mettre en place l’organisation du dépistage afin d’améliorer la couverture et la qualité du dépistage. Au final, depuis des années, une population sur-dépistée, sur-examinée et sur-traitée côtoie une autre plus large qui n’en bénéficie pas ou de façon aléatoire. Avec une couverture globale qui demeure insuffisante (moins de 60 %), une population défavorisée qui n’en bénéficie pas et l’absence d’évaluation des pratiques, l’inflexion de la courbe d’incidence n’est plus perceptible (1), on a atteint le maximum de ce qu’on peut espérer dans notre système de soins (2).
Un dépistage très large suffirait-il ?
Une couverture satisfaisante ne permet pas d’atteindre totalement l’objectif de réduction de la maladie si l’outil est imparfait : un frottis tous les 3 ans, c’est très bien à condition que cet intervalle soit respecté de 25 à 65 ans, ce qui est loin d’être garanti. Sans compter les ratés propres à cet examen, qui n’est pas suffisamment sensible. 60 à 65 % des cancers invasifs du col s’observent chez les femmes qui n’ont jamais fait de frottis ou bien dans un intervalle supérieur à 3 ans, mais un tiers de ces cancers continue d’être diagnostiqué chez celles pour qui l’intervalle de 3 ans entre chaque frottis est respecté. Le frottis est un outil imparfait, il exige une régularité absolue toute la vie, un contrôle de qualité dans les laboratoires difficile à mettre en place, il ne mesure pas le risque et peut ignorer les lésions à risque. Un frottis instantané normal n’est pas une signature de col normal.
Le frottis pourrait être remplacé ou associé à un test plus sensible, le test HPV…
Partant de l’idée qu’il n’y a pas de précancers et de cancers du col sans papillomavirus, l’idée de le proposer dans le dépistage a été suggérée il y a une quinzaine d’années. Depuis, les études randomisées à large échelle portant sur des dizaines de milliers de femmes ont apporté la preuve que le test HPV, comparé à la cytologie :
1/ augmente de 30 % la détection des lésions précancéreuses,
2/ dans le cadre d’un programme de dépistage, permet une détection beaucoup plus précoce des CIN3, et donc une prévention elle aussi plus précoce,
3/ permet de rassurer beaucoup plus que ne le fait la cytologie, un HPV négatif donne en effet l’assurance très forte de ne pas avoir de lésion à haut grade sous-jacente, assurance qui se maintient dans le temps : sur les 6 années qui suivent un test HPV négatif, le risque est 4 fois plus faible qu’à la suite d’un frottis étiqueté « normal ». Un test HPV instantané négatif permet donc un espacement de l’examen à 3 ans ou plus en toute sécurité (3). Fort de ces arguments et des résultats très robustes des études randomisées, le test HPV est recommandé aux Etats-Unis (co-test), en Italie dans certaines régions, en Suède, en Australie, en Nouvelle Zélande, en Hollande en 2017 et bientôt en Angleterre.
Peut-on alors envisager en France un dépistage fondé sur l’HPV ?
La difficulté est que le test HPV en dépistage primaire met en avant des porteurs transitoires ou éphémères d’HPV pour lesquels on peut imaginer qu’il risque d’engendrer une inquiétude inutile, des sur-diagnostics et des sur-traitements, rendant compte des résistances. Après 30 ans, 10 % des femmes présentent un frottis normal et un HPV positif. Pourtant, des améliorations majeures ont été apportées ces dernières années pour améliorer la spécificité du dépistage HPV. Ces marqueurs viraux et non viraux permettent de graduer le risque, de programmer la prise en charge et de limiter le nombre de colposcopies.
Plusieurs approches ont été évaluées : connaissance des génotypes, triage des HPV positifs par la cytologie ou le génotypage, test ARN messager.
Plus récemment encore, de nouveaux outils sont apparus et sont actuellement sous évaluation : d’une part l’identification des protéines transformantes (E6, E7), dont la présence indique une forte probabilité de lésion sous-jacente. D’autre part la méthylation, à savoir la détection d’un processus qui montre que le virus n’est pas simplement dormant ou inactif, mais déjà dans un processus de transformation. En France, sur une population de dépistage de 5 000 femmes, nous avons démontré que les ARN m augmentaient la spécificité du dépistage HPV comparé à la cytologie sans en atténuer la sensibilité (4). Dans l’étude ATHENA (5) portant sur 47 000 femmes en dépistage, nous avons montré que l’identification des génotypes 16 et 18, lorsque le test HPV est positif, indique un risque de CIN3 sous-jacentes de 20 %, et ce, même si le frottis est normal (6). Nous disposons donc des moyens pour améliorer la spécificité du test HPV dans le dépistage. Face à un HPV positif, ces indicateurs lésionnels orientent vers la colposcopie même si le frottis est normal avec une plus grande probabilité d’être confronté à une CIN HG. Cette approche, qui rendrait également nombre de frottis inutiles, est donc très prometteuse et serait source d’économies pour l’Assurance maladie.
Et la vaccination dans cette démarche globale de prévention ?
Compte tenu d’un dépistage non optimal, on peut améliorer la prévention globale avec la vaccination. La vaccination bivalente ou quadrivalente a été mise sur le marché. On a observé dans les essais cliniques une efficacité remarquable sur les lésions dues aux 2 virus 16 et 18, ce qui veut dire une protection de seulement 50 % contre les lésions précancéreuses et de 70 % contre les lésions cancéreuses. Efficacité confirmée en vie réelle, avec 10 ans de recul dans plus de 120 pays.
Et pourtant, il y a là encore des résistances…
Le profil de sécurité du vaccin est une question sensible qui génère défiance, peur, immobilisme et agitation médiatique, surtout en France. Or, une étude, française de surcroît, portant sur près de 2,4 millions de jeunes filles dont plus de 800 000 ont reçu l’un ou l’autre des 2 vaccins (6), montre qu’on n’observe pas de sur-risque, pour les 14 maladies auto-immunes r é p e r t o r i é e s , chez les jeunes filles vaccinées comparé aux non vaccinées. On observe seulement un signal plus élevé de sur-risque, estimé à 4, de syndrome de Gu i l l a i n – Barré (soit 1 à 2 cas pour 100 000 vaccinées), majoritairement résolutif et non spécifique à ce vaccin (rapporté pour d’autres vaccins ou maladies virales) et qui ne remet pas en cause la balance bénéfice/ risque.
Pour autant, la France est un des plus mauvais élèves au monde en matière de vaccination HPV. La couverture vaccinale a chuté à 17 % alors qu’elle était proche de 40 % auparavant. Bien qu’on soit passé à 2 doses et qu’on ait abaissé l’âge à 11 ans, on ne voit pas émerger de reprise d’intérêt à la vaccination. Dans ces conditions, on ne mesurera donc pas de bénéfices tangibles en population contrairement à d’autre pays à forte couverture vaccinale (Australie, Canada, Portugal…) où on observe déjà une quasi éradication des condylomes acuminés et une chute importante des CIN HG chez les jeunes filles. Encore un paradoxe français. Je regrette qu’il n’y ait, là encore, pas plus de volontarisme politique. D’autant plus qu’un nouveau vaccin à neuf valences va être prochainement commercialisé et devrait protéger à prés de 85 % contre les pré-cancers et à 90 % contre les cancers.
Que deviendra alors le dépistage demain avec cette vaccination ?
Ce nouveau vaccin pourrait être la solution aux difficultés rencontrées en dépistage. Car le dépistage ne serait plus complémentaire de la vaccination comme cela est le cas aujourd’hui. Le schéma pourrait être le suivant : une vaccination protectrice chez les jeunes filles et,peut-être, un ou deux tests HPV à 35 ans et 50 ans par exemple. Mais je ne veux pas me montrer trop enthousiaste quand je vois, avec 25 ans de recul, que les autorités de santé, alors qu’elles disposent de tous les outils, n’ont toujours pas pris les choses en mains, contrairement à de nombreux autres pays, que ce soit l’Angleterre, le Canada, l’Australie ou le Portugal.
Dans quelques années, nous mesurerons le décalage énorme entre les pays qui ont pris les mesures et les décisions nécessaires et ceux qui ne l’ont pas fait.
Le Dr Joseph Monsonego a coordonné les essais cliniques pour les 2 vaccins (MSD et GSK) et mené des essais cliniques sur le dépistage HPV avec les ARN m et le génotypage (Geneprobe et Roche respectivement).
Propos recueillis par Dominique Magnien
RÉFÉRENCES
1. Le cancer du col de l’utérus touche 3000 nouvelles femmes chaque année et près de 1 000 en meurent.
2. Dans un pays comme le Royaume- Uni où les politiques de santé publique sont gérées à l’échelle nationale, 85% de la population concernée est dépistée et la vaccination, qui se fait dans un cadre scolaire, touche 75à 80% des jeunes filles, quand ce n’est pas les garçons.
3. www.docteur-joseph-monsonego.fr/ images/bmj-i4924-full.pdf.
4. www.docteur-joseph-monsonego.fr/ images/risk-assessment-and-clinicalimpact- of-liq.
5. www.docteur-joseph-monsonego. fr/images/Evaluation-of-oncogenichuman- papillomavirus.pdfuid-based-cytology. pdf.
6. www.docteur-joseph-monsonego. fr/images/Point-inf
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