En 2011, triste constat hexagonal1 que la non supplémentation adéquate préconceptionelle en acide folique (Vitamine B9), s’associe a toujours autant d’anomalies de fermeture du tube neural (AFTN). De ce fait, cette situation aboutit encore trop souvent, soit a la naissance prévue… ou pas, d’enfants porteurs d’un handicap de gravite variable, soit a l’interruption volontaire de la grossesse pour raison médicale (IMG).
Mes chers compatriotes… (Tiens, on dirait de la politique…), les femmes enceintes sur le territoire Français ont-elles mérite cela ? En 2017, non, non rien n’a change, tout, tout a continué…
AFTN, avez-vous dit ?
Il s’agit de malformations congénitales, par non fermeture des arcs postérieurs du tube neural, telles que l’anencéphalie, l’encéphalocèle, le spina bifida ouvert ou ferme avec une fréquente hydrocéphalie.
La fermeture du tube neural se produit très précocement entre 3 et 4 semaines de grossesse, soit lors de la première semaine de retard de règles d’un cycle de 28 jours… Leur fréquence est estimée entre 1 à 4 pour mille naissances, plus élevée en cas d’origine celte (Bretagne, Pays de Galles, Irlande) ou Sikh, et en cas d’antécédents personnels ou familiaux.
Deux enzymes semblent notamment liées a cette pathologie, la méthylènetétrahydrofolate réductase (MTHFR) et la méthionine synthétase (MTR), impliquées dans le métabolisme de l’acide folique. Enfin le diabète, l’obésité, ainsi que l’exposition a certains traitements antiépileptiques (acide valproïque et carbamazepine, qu’on ne devrait plus voir) sont également des facteurs de risque. L’anencéphalie, évidemment létale, ne l’est qu’ex utero en cas de grossesse menée a terme en l’absence de diagnostic prénatal. Les autres pathologies sont pourvoyeuses de handicaps sévères tels que paraplégie, hydrocéphalie, incontinences sphinctériennes. Leur traitement chirurgical néonatal et dans l’enfance est souvent palliatif et difficile. Actuellement plus de 20 000 personnes en France sont concernées (source ASBH*). En cas de dépistage anténatal se pose alors la question de la poursuite ou non de la grossesse. Mais en aucun cas ces attitudes ne sont préventives. Pourtant, l’efficacité de la prévention primaire par les folates a été rapportée dans de nombreuses études2, montrant une réduction d’au moins 70% de l’incidence. L’amélioration du « statut en folates des femmes en âge de procréer, notamment en cas de désir de grossesse » fait partie des neuf objectifs spécifiques du Programme National Nutrition Sante (PNNS) repris dans la loi de sante publique avec comme objectif : « Folates dans l’alimentation : diminuer l’incidence des AFTN » 3. Pour améliorer le statut en folates, on se repose sur des conseils alimentaires globaux ou parfois cibles, mais aussi sur la supplémentation individuelle systématiquement recommandée en folates chez toutes les femmes ayant un projet de grossesse a raison de 400 μg/j, sauf pour certaines ayant des antécédents particuliers.
Ainsi, 1995, 19974, 2000, 20055 voient passer des recommandations des sociétés savantes (Pédiatrie, Gynécologie obstétrique), de la Direction Générale de la Sante, de la Haute Autorité de Sante dont l’absence d’effet est tristement… un échec. En 2006 l’étude nationale nutrition sante évaluait a 8% le déficit en acide folique chez les femmes entre 18 et 39 ans, et a 13, 3% en cas de consommation en fruits et légumes inferieure a 280g/jour. Un peu de physiologie maintenant : le stockage de l’acide folique se fait dans les globules rouges mais surtout au niveau hépatique, correspondant a un peu plus d’un trimestre de réserves. Ceci nécessite un apport suffisamment important dans les situations d’activité métabolique intense, comme la grossesse et le développement fœtal, puis du nouveau-né.
Les folates sont impliques dans le métabolisme cérébral et la synthèse des neuromédiateurs. Une carence en acide folique se traduit aussi par un ralentissement de l’activité mitotique, notamment dans les tissus a fort taux de renouvellement. Rappelons enfin que la fréquente anémie par carence martiale de la grossesse sera majorée, en cas de carence en folates associée. Sa correction par un apport exogène supplémentaire de fer nécessite un co-apport en vitamine B9.
La situation actuelle en France
Les AFTN, selon les 4 registres de malformations congénitales, sont estimées à une prévalence totale de 1,2/1000 naissances vivantes et mort-nés. En Europe, les 28 registres européens sont regroupes par EUROCAT et l’incidence en est estimée a 1,1/1000, aux USA elle est de 0,4 a 1/1000. Le registre des malformations congénitales de Paris6, sur 35 ans de 1981 à 2014 (INSERM UMR1153, équipe EPOPe, Equipe de recherche en Epidémiologie Obstétricale, Périnatale et Pédiatrique Université Paris Descartes) est la preuve de nos échecs. Dans les faits, si on se focalise sur la période 2011/2014, on observe ainsi sur Paris :
■ Pour les anencéphalies
La prévalence totale moyenne des anencéphalies sur la période est de 5,3 pour 10 000 naissances, dont presque aucun vivant.
■ Pour les Spina Bifida
La prévalence totale moyenne sur la periode est de 6,6 pour 10 000 naissances.
Pendant la période entre 2008 et 2014 (n=197), 73% des cas étaient isoles, 19% associes a au moins une autre malformation majeure, et 8% associes a une anomalie chromosomique. Les cas isoles, presque tous dépistés, ont fait l’objet d’une interruption médicale de grossesse dans environ 80% des cas.
■ Pour les AFTN dans leur ensemble
La prévalence totale moyenne sur la période est de 14,4 pour 10 000 naissances.
1 Nbre de naissances enregistrées à l’INSEE
Il est aussi edifiant de rappeler les 2 schemas suivants issus des registres Eurocat7 concernant les taux d’AFTN et leur devenir, en France et au Pays Bas respectivement.
Le nombre de naissances vivantes est stable mais le nombre d’IMG en France est sensiblement plus élevé.
Pour que la supplémentation soit efficace, encore faut-il qu’elle soit appliquée au moins durant les 4 semaines précédant la conception et poursuivie 12 semaines après, or toutes les grossesses ne sont pas planifiées… Les femmes sont inégalement informées, et que dire des professionnels de sante ! La place de la consultation préconceptionelle se trouve ici, mais sans perdre de vue que 50% des grossesses ne sont pas programmées. Non programmées ne voulant pas dire non désirées ou non acceptées.
Les IMG ne doivent pas être banalement le traitement secondaire des AFTN, car leurs conséquences physiques et leurs répercussions psychiques, laissent une cicatrice indélébile, ainsi qu’un deuil pouvant vite trouver comme responsable, le non prescripteur de folates, ou l’état…éternel responsable de tout. Quant a elle, la chirurgie in utero reste une solution des plus exceptionnelles dans les conditions actuelles.
Comment faire alors ?
D’une part, à l’instar d’autres pays hors d’Europe, on pourrait supplémenter collectivement par enrichissement en vitamine B9 un vecteur alimentaire courant et peu cher comme les farines. La balance entre de potentiels effets secondaires et l’aspect éthique doit répondre à la problématique suivante : faire le choix de ne pas enrichir l’alimentation, tout en sachant pertinemment que la supplémentation réduit de façon « indiscutable » l’incidence des AFTN ou faire celui d’imposer a toute la population l’aliment enrichi, en laissant éventuellement accessibles des produits non enrichis.
Ainsi, faire supporter par les personnes âgées d’éventuels effets secondaires, en l’absence de bénéfice direct démontre est affaire de solidarité entre générations. Cette interrogation disparaissant d’elle-même si d’autres bénéfices de sante étaient définitivement prouves. Par ailleurs, l’adjonction de vitamine B12 doit permettre d’éviter l’effet indésirable de sa carence chez les personnes âgées, masquée par le seul apport supplémentaire de B9.
5 % de la population française présenteraient alors un apport total d’acide folique dépassant 1 mg/j et seraient donc potentiellement ≪ a risque ≫ en cas de carence en B12 associée, conventionnellement définie par un taux plasmatique inferieur a 200 μg/ml. Enfin, ne pas ignorer qu’après fabrication et cuisson du pain, on observe qu’environ 30% de la vitamine B9 et 50% de la vitamine B12 sont détruites, justifiant ainsi une augmentation proportionnelle des taux d’enrichissement de la farine pour obtenir les effets escomptes, soit 350 μg de B9 et 10 μg de B12 pour 100 g de farine.
D’autre part, on parle de rendre obligatoires certains vaccins mais même si on ne peut imaginer imposer une supplémentation obligatoire en folates a l’ensemble des femmes en âge de procréer en situation de désir de grossesse, on ne peut accepter un tel échec des mesures actuelles. L’enquête périnatale de 2010, explorant la prise de folates, exposée dans l’article de Tort et Col. paru dans le BJOG8, est riche d’enseignement. Entre 10 et 18% de prise conforme de folates, et de façon surprenante, plus fréquente chez les primipares que les multipares…, chez les françaises au niveau socio-éducatif élevé, chez celles nécessitant une prise en charge particulière pour concevoir, et chez celles utilisant, une contraception orale (17%), un DIU ou un implant (19% pour les 2). A l’inverse, et de façon non moins surprenante, 81% des femmes ne prenaient pas d’acide folique aux périodes adéquates après le retrait médicalisé d’un DIU ou d’un implant…
Maintenant, quelles connaissances ont les femmes en âge de faire un enfant sur l’acide folique ? Dans un autre article, M. Sargues9 du service de pharmacologie de Toulouse, par le biais d’une étude descriptive sur questionnaire dans des pharmacies publiée en 2017, a tente de répondre à cette question : plus d’un tiers des femmes interrogées n’avaient JAMAIS entendu parler des folates ! Une majorité ne connaissaient pas son rôle ni la période recommandée de prise…
L’absence d’engagement franc des pouvoirs publics en matière de prévention primaire… (un peu comme pour les vaccins, le tabac, l’alcool…) pose question : par peur de quoi ? des lobbies ? du public ? de gourous auto proclames sur les réseaux sociaux ? Pourtant d’autres pays le font mieux, alors pourquoi pas nous ?
C’est donc aux soignants de s’emparer du problème, toute consultation de contraception est une consultation préconceptionelle en puissance. Il faut expliquer aux femmes le pourquoi de cette prescription, trouver un moyen de favoriser l’observance…alors que le temps de débuter une grossesse peut parfois sembler long et que l’effet de la prescription de la supplémentation en B9 peut ainsi en pâtir. On peut aussi améliorer la persistance du traitement et donc envisager d’en accroitre l’efficacité, par la délivrance de conditionnements, par exemple trimestriels, plus adaptes à sa bonne poursuite.
Au final, espérons que ce second billet d’humeur n’en devienne pas un deuxième (suivi d’un troisième, contrairement au second qui est le dernier)
* ASBH : Association nationale Spina Bifida et
Handicaps associes. www.spina-bifida.org
Le Dr Thierry Harvey déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
Pour en savoir plus :
1. Folie de l’acide folique : billet de mauvaise humeur. Th. Harvey. La supplémentation préconceptionelle en folates ou pourquoi l’échec du concept depuis 15 ans dans l’Hexagone ! La Lettre du Gynecologue •n° 367 – decembre 2011, p 8-10.
2. Cochrane collaboration. Periconceptional supplementation with folate and/or multivamins for preventing neural tube defects. Disponible sur http://apps.who.int/rhl/reviews/CD001056.pdf
3. Programme national nutrition sante 2011-2015. http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/PNNS_2011-2015.pdf
4. College national des gynécologues et obstétriciens français. Supplémentation au cours de la grossesse. Recommandations de la pratique clinique. http://www.cngof.asso.fr/D_PAGES/PURPC_03.HTM
5. HAS. Comment mieux informer les femmes enceintes ? Recommandations pour les professionnels de santé. Avril 2005
6. Registre des malformations congénitales de Paris. Surveillance épidémiologique et diagnostic prenatal des malformations : Evolution sur trente-cinq ans (1981-2014), p28-33. Babak Khoshnood, Nathalie Lelong, Alexandra Lecourbe, Morgane Ballon, Francois Goffinet
7. Prevention of Neural Tube Defects by Periconceptional Folic Acid Supplementation in Europe (Updated version December 2009). EUROCAT Special Report, p 61et 109.
8. Maternal and health care determinants of preconceptional use of folic acid supplementation in France: results from the 2010 National Perinatal Survey. BJOG 2013;120:1661–667 J Tort,N Lelong,C Prunet, B Khoshnood,B Blondel.
9. Connaissance des femmes en âge de procréer sur l’acide folique : des progres a faire ! Thérapie (2017) 72, 339-343. M. Salgues, Ch. Damase-Michel, J-L Montastruc, I. Lacroix.
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