L’évaluation des apports calciques est un élément essentiel de la prise en charge des patients ostéoporotiques. En cas d’apports insuffisants, très fréquents dans cette population, une adaptation du régime alimentaire ou une supplémentation calcique est recommandée.
Il nous revient de vaincre les réticences de nos patientes, alertées des effets délétères supposés des produits laitiers et des suppléments calciques, soulevés par certaines publications, entretenus par quelques «gourous», pourfendeurs des industries du lait et du médicament.
De nouvelles données présentées le 4 octobre 2013 au 35e congrès de l’ASBMR apportent des éléments rassurants concernant l’éventuel risque cardiovasculaire des apports calciques.
La supplémentation calcique : un traitement d’appoint de l’ostéoporose
Un déficit calcique est un facteur de risque d’ostéoporose chez la femme ménopausée et chez la femme âgée, un facteur de risque de fracture chez la femme ostéoporotique.
La supplémentation vitamino-calcique est un traitement d’appoint de l’ostéoporose. L’association de 1000 à 1200 mg de calcium et de 700 à 800 UI de vitamine D par jour réduit de 20 à 26% le risque de fracture de hanche et de 13% à 23% le risque de fracture non vertébrale versus le placebo. (1, 2) Dans une méta-analyse portant sur 29 études randomisées (et 63 897 patients), une baisse significative des fractures ostéoporotiques (de 12%) est observée dans le groupe des patients recevant des suppléments calciques, plus importante chez les patients de plus de 70 ans dont les apports calciques étaient inférieurs à 700 mg/jour et chez les patients recevant la dose recommandée de vitamine D. (3)
L’efficacité des traitements anti-ostéoporotiques spécifiques n’a été évaluée qu’en association à une supplémentation vitamino-calcique. Son importance a été appréciée par les résultats de l’étude ICARO («Incidence and Characterization of inadequate clinical Responders in Osteoporosis»), une étude italienne multicentrique, rétrospective et observationnelle. Dans la « vraie » vie, outre l’adhérence au traitement anti-ostéoporotique, la supplémentation vitamino-calcique est un facteur prédictif de réponse clinique adéquate, le risque de re-fracture étant presque double (RR = 1.98) dans la population ne prenant aucun supplément vitamino-calcique, comparée à celle observant ce traitement à plus de 50%. (4)
Des apports calciques souvent insuffisants pour couvrir les besoins
Les Apports Nutritionnels Conseillés (ANC) pour couvrir les besoins en calcium, dans la population ostéoporotique, sont de 1200 mg par jour. Ils doivent être fournis de préférence par l’alimentation, à partir des produits laitiers, mais aussi des légumes verts à feuilles (chou frisé, tofu, brocoli), des fruits secs (amandes, noix) ou de quelques eaux minérales (Hépar, Contrexéville…). Dans cette population, 800 à 1200 UI par jour de vitamine D sont nécessaires pour assurer un taux de 25-OH-D ≥ 30ng/ml et un bilan calcique optimal. (5, 6)
Les apports calciques sont très souvent inférieurs aux besoins. Dans une étude française portant sur 2 631 femmes de plus de 45 ans (67.9 ans en moyenne) dont 250 (9.7%) avaient une ostéoporose densitométrique et 154 une fracture prévalente, les apports calciques moyens étaient de 754 mg/jour et étaient inférieurs à 600mg/jour chez 37.2% de ces femmes. (7)
Un régime hypocholestérolémiant, une inappétence ou une intolérance aux produits laitiers, conduisent à un déficit calcique et nécessitent une supplémentation. Dans la population américaine, 43% des femmes (70% des femmes âgées) reçoivent des suppléments calciques. (8)
«Les Apports Nutritionnels Conseillés calciques sont de 1200 mg/jour.»
Le risque cardio-vasculaire du calcium: des études contradictoires… car biaisées
Les premières études publiées, déjà anciennes, semblaient montrer un effet bénéfique de la supplémentation calcique sur le risque cardio-vasculaire. Ainsi, dans une étude de cohorte prospective menée, en Iowa, chez 34 486 femmes ménopausées âgées de 55 à 69 ans, le risque de mortalité d’origine cardio-vasculaire, après un suivi de 8 ans, était réduit de 33% dans le quartile des femmes recevant les apports les plus élevés de calcium.(9)
Dans une étude publiée en 2008, M. Bolland a alerté sur les risques cardio-vasculaires possibles de la supplémentation vitamino-calcique. Menée chez 1 471 femmes ménopausées en bonne santé, non ostéoporotiques, elle rapportait une augmentation significative des risques d’infarctus du myocarde (RR = 1.21 ; IC95% = 1.01 – 1.44 ; p = 0.04) et d’AVC (RR = 1.20 ; IC95% = 1.00 – 1.43 ; p = 0.05) chez les femmes recevant une supplémentation calcique, avec ou sans vitamine D (10). Cette étude a été très controversée du fait de ses nombreux biais. Les données des registres étaient incomplètes et imprécises et les patientes traitées, non ostéoporotiques, avaient un risque cardio-vasculaire à l’inclusion plus élevé.
Une étude de cohorte finlandaise (étude OSPRE = «Osteoporosis Risk Factor and Prevention Study») publiée en 2009 a également alerté : le risque d’événements cardiovasculaires, après un suivi de 7 ans, était significativement augmenté en cas de supplémentation en calcium avec ou sans vitamine D (HR = 1.26 ; IC95% = 1.01-1.57). (11)
Ces résultats délétères du calcium n’ont pas été confirmés dans d’autres études plus récentes.
Aucune augmentation du risque d’événements cardiovasculaires (infarctus du myocarde, revascularisation coronaire, mort d’origine coronarienne et AVC) n’a été rapportée à la supplémentation vitamino-calcique (1 g de calcium + 400 UI de vitamine D, en 2 prises, versus placebo) dans un sous-groupe de 3 6282 femmes âgées de 50 à 79 ans, issues de l’étude WHI («Women’s Health Initiative Calcium/Vitamin D Supplementation Study = WHI CaD Study»), après un suivi moyen de 7 ans. (12) Là encore, divers biais ont été reprochés à cette étude, notamment la médiocre observance des traitements et, surtout, la prise possible de suppléments calciques en automédication chez 54% des patientes, susceptible d’avoir masqué les différences entre les deux groupes.
Dans une autre étude randomisée, d’une durée de 5 ans avec un suivi de 4,5 ans, menée chez 1 460 femmes ménopausées, une supplémentation calcique de 1 200 mg par jour n’augmente pas significativement le risque cardio-vasculaire, le risque de décès ou d’hospitalisation pour une maladie athéromateuse. Dans une analyse post-hoc, elle pourrait même réduire le risque d’hospitalisation et la mortalité en cas de maladie athéromateuse préexistante à l’étude. (13)
Quelle influence du calcium sur les facteurs de risque cardio-vasculaires?
Les mécanismes par lesquels le calcium serait susceptible d’influencer le risque cardio-vasculaire sont purement spéculatifs. (14)
La supplémentation calcique pourrait stimuler le récepteur calcique des cellules vasculaires, favoriser la formation de calcifications vasculaires, augmentant la rigidité des artères, avoir un effet pro-coagulant. (15) Pour autant, il n’a pas été observé d’altération de la plaque coronaire chez la femme ménopausée recevant une supplémentation vitamino-calcique. (16)
La supplémentation calcique pourrait être délétère via ses effets sur la pression artérielle. Dans l’étude WHI, cependant, après un suivi de 7 ans, aucune différence significative n’a été observée pour les pressions artérielles systolique et diastolique des groupes traité et placebo. Dans une étude de cohorte prospective menée chez 28 886 femmes américaines de race blanche, après un suivi de 10 ans, l’absorption de calcium (et de vitamine D) est inversement corrélée au risque d’hypertension artérielle et de complications cardiovasculaires. (17)
Les études concernant les effets de la supplémentation calcique sur le métabolisme lipidique sont peu nombreuses.
Dans l’étude WHI CaD, aucune modification significative du bilan lipidique à jeun n’a été observée sous calcium et vitamine D, à 5 ans. (18) Dans une autre étude menée chez des femmes âgées saines, une augmentation du HDL cholestérol (+ 7%) est observée à 10 ans dans le groupe recevant une supplémentation en citrate de calcium comparé au groupe placebo, sans effet significatif sur le taux de LDL (- 6%) et de triglycérides. (19)
Une méta-analyse suggère enfin que l’association de calcium et de vitamine D pourrait réduire le risque de diabète de type 2. (20)
«Calcium et vitamine D n’induisent pas d’augmentation des événements cardio-vasculaire.»
Méta-analyse contre méta-analyse : Mark Bolland contre Joshua Lewis
Dans sa méta-analyse publiée en 2011, Mark Bolland (Auckland, Nouvelle-Zélande) a inclus 8 essais cliniques portant sur 28 072 patientes (dont les 16 718 patientes soit 46% des femmes de l’étude WHI CaD qui ne prenaient pas de suppléments calciques en automédication). La supplémentation en calcium avec ou sans vitamine D augmente de 24% le risque d’infarctus du myocarde (RR = 1.24 ; p = 0.004) et de 15% le risque composite « infarctus du myocarde + AVC » (RR = 1.15 ; p = 0.009). (21)
Dans sa méta-analyse présentée le 4 octobre 2013 au 35ème Congrès de l’ASBMR, Joshua Lewis (Perth, Australie) a inclus 19 études randomisées comportant un bras placebo et un bras supplémentation calcique (≥ 500 mg/jour pendant plus d’un an) avec ou sans vitamine D et 59 844 femmes de plus de 50 ans (dont les patientes de l’étude WHI CaD).
Chez les patientes recevant des suppléments calciques, les risque de mortalité globale, d’événements ischémiques coronaires et d’infarctus du myocarde étaient respectivement de 0,96 (IC95% = 0,91-1,02 ; p = 0,18), de 1.02 (p = 0.053) et de 1.09 (p = 0.21). (22)
Ces résultats rassurants ont été confortés par une autre étude présentée à ce congrès par Douglas Bauer (San Francisco). Menée chez 5 967 hommes de l’étude MrOS, âgés de plus de 65 ans, suivis pendant 10 ans, elle montre l’absence de mortalité accrue d’origine cardio-vasculaire sous l’effet de la supplémentation calcique (65% des patients) ou de l’augmentation des apports alimentaires de calcium (1 142 ± 590 mg/jour en moyenne). Une plus forte mortalité d’origine cardio-vasculaire était même observée dans le quartile des apports les plus faibles en calcium (moins de 621 mg/ jour) comparé au quartile des apports les plus élevés (plus de 1 565 mg/jour). (23)
«La sagesse est la voie du juste milieu : en quelque matière que ce soit, ni trop ni trop peu.»
Un apport suffisant en calcium est nécessaire à tout âge pour une bonne santé osseuse et extra-osseuse. La prévention des carences est, dans ce domaine comme dans bien d’autres, plus efficace que la prise en charge de leurs conséquences. Malgré les recommandations, une partie non négligeable de la population féminine reste carencée.
La balance bénéfice – risque est favorable aux suppléments de calcium quand cela est nécessaire, avec une sécurité d’emploi bien établie, sous réserve d’une utilisation répondant au bon sens clinique, concernant les doses et les contextes d’utilisation.
Pierre Khalifa – ACCA-Paris
Position de l’ASBMR (American Society for Bone and Mineral Research) sur les risques cardiovasculaires associés aux suppléments de calcium (août 2010)
1/ De nombreuses études avec calcium et vitamine D ne montrent pas d’augmentation des événements cardiovasculaires.
2/ Les personnes prenant des suppléments calciques ne devraient pas les interrompre mais en parler avec leur médecin. La nourriture étant la meilleure source de calcium, les suppléments devraient être utilisés seulement quand les apports alimentaires quotidiens sont insuffisants.
3/ Les effets bénéfiques du calcium sont présents dès les petites doses. Des doses importantes de sont pas nécessairement meilleures. Les apports calciques alimentaires devraient être quantifiés par le médecin.
4/ Dans la plupart des études récentes sur l’ostéoporose, l’adéquation des apports de calcium et de vitamine D est requise pour observer l’efficacité des traitements pour la réduction de l’incidence des fractures.
5/ Les patients les plus âgés et ceux dont la fonction rénale est altérée pourraient être à plus haut risque de complications cardio-vasculaires sous suppléments calciques.
BIBLIOGRAPHIE
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23. Bauer D., S. Harrison, P. Cawthon, et al. 2013. Dietary and supplemental calcium intake and the risk of mortality in older men: the MrOS Study. 35th Annual Meeting of the ASBMR (2013). Abstract 1001 (présenté le 4 octobre).
Article paru dans le Genesis N°177 (février/mars 2014)
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