Chef du pôle Femme-Mère-Enfant au CHU d’Angers, le Pr Philippe Descamps évoque pour Genesis les progrès réalisés en matière de chirurgie gynécologique, les espoirs nés de la possibilité de réaliser des greffes d’utérus, son combat en faveur de centres experts en endométriose… Entretien.
Le service que vous dirigez est doté depuis septembre 2011 de salles dédiées à l’accouchement physiologique. Quel est l’apport de cet espace pour les femmes ?
Nous avons vécu au cours des quinze dernières années une évolution sociétale évidente, le souhait des femmes et des couples étant d’évoluer vers moins de médicalisation. La maternité du CHU d’Angers est une maternité de niveau III assurant 4 300 accouchements par an. Elle dispose de 2 salles physiologiques pour 11 salles d’accouchement. Ces espaces permettent de respecter le projet de naissance de chaque couple, avec l’avantage substantiel par rapport aux maisons de naissance d’être au sein même de la salle d’accouchement et d’offrir de ce fait des conditions de sécurité optimales pour les patientes qui en ont fait le choix. En cas de problème médical en cours de travail ou d’accouchement, nous pouvons immédiatement assurer la prise en charge, sans avoir à transférer la patiente. C’est à mon sens un excellent compromis puisque chacun sait que toutes les complications obstétricales ne sont pas prévisibles. Dans notre expérience, une femme sur deux ayant choisi l’accouchement en espace physiologique après avoir réfléchi et signé un contrat de naissance change d’avis en cours de travail, le plus souvent pour demander une analgésie péridurale…
Vous considérez l’endométriose comme la grande oubliée de votre discipline. Comment améliorer sa prise en charge ?
Ce sujet me tient particulièrement à cœur. L’endométriose concerne 10 à 15% des femmes, et on déplore au moins 10 ans de retard au diagnostic dans les pays industrialisés. C’est une maladie mal connue des médecins généralistes mais aussi des gynécologues puisque les femmes consultent en moyenne plus de 3 gynécologues avant que le diagnostic ne soit posé.
De ce fait, nous recevons dans un service comme le mien des patientes opérées plusieurs fois, dont la prise en charge est souvent tardive et mal adaptée, avec une chirurgie non optimale, ce qui entraîne une perte de chance évidente en termes de reproduction et de qualité de vie… D’où l’idée de créer des centres de référence, avec des réunions de concertation pluridisciplinaires associant échographiste, radiologue, chirurgien viscéral, chirurgien urologue, médecin de la douleur, psychologue, qui connaissent l’endométriose et peuvent discuter ensemble la prise en charge en amont de l’intervention. Il existe déjà de tels centres dans plusieurs villes, mais notre objectif est de créer une labellisation, un agrément, pour éviter l’errance des patientes. Les tractations avec le ministère de la Santé sont en bonne voie avec le soutien du CNGOF.
Vous êtes intervenu en 2015 dans différents congrès nationaux et internationaux sur le thème ‘Ulipristal acétate et chirurgie’…
Ce médicament est une avancée thérapeutique majeure pour la santé des femmes. Le fibrome utérin est une pathologie extrêmement fréquente après 40 ans et est l’une des principales indications d’hystérectomie. L’étude Premya, conduite en Europe, montre une réduction du taux de chirurgie chez les femmes qui devaient être opérées d’au moins 50% après trois mois de traitement, ce qui représente bien sûr un bénéfice considérable pour les patientes. L’efficacité de ce traitement sur les saignements et le volume des fibromes nous ont conduits à reconsidérer totalement notre organigramme de prise en charge des fibromes. Objectivement, il n’est pas fréquent de pouvoir disposer d’une nouvelle molécule aussi efficace pour une pathologie aussi fréquente. Une AMM européenne récente conseille 2 fois 3 mois de traitement, ce qui devrait permettre de réduire encore le recours à la chirurgie.
Justement, la chirurgie gynécologique évolue considérablement…
Chacun sait que la cœlioscopie, qui a été LA révolution chirurgicale du XXe siècle, a été inventée par des gynécologues français. La chirurgie mini-invasive a considérablement évolué depuis 40 ans et, grâce au matériel actuel, nous pouvons opérer avec la même radicalité, mais plus rapidement, sans séquelles esthétiques et avec moins de douleurs post-opératoires. La chirurgie ambulatoire est le grand challenge de demain puisque, dans ce domaine, nous sommes en retard par rapport aux autres pays européens ou nord-américains. L’objectif est d’atteindre au moins 50% de chirurgie ambulatoire pour les actes de chirurgie gynécologique. Enfin la simulation, d’apparition récente dans notre pays, est un atout majeur pour la formation des chirurgiens et se développe de façon foudroyante. Parallèlement, de nouvelles possibilités s’offrent à nous, comme la transplantation utérine. La première publication d’un enfant né après greffe d’utérus date de 2014.
Personne n’aurait osé en rêver il y a 10 ans… Les indications sont les patientes ayant des malformations type Rokytansky-Kuster-Hauser (absence de vagin et d’utérus) ou qui ont eu une hystérectomie pour une hémorragie de la délivrance ou un cancer, cette chirurgie ayant pour but de leur permettre d’avoir un enfant.
On estime qu’environ 200 femmes par an pourraient en bénéficier en France. Il s’agit d’une transplantation temporaire, avec retrait secondaire de l’utérus greffé, contrairement aux autres greffes d’organes comme le rein, le cœur ou le foie. Il ne s’agit donc pas de faire survivre le sujet greffé, mais de lui permettre de donner la vie, ce qui constitue une nouvelle étape dans le contrôle de la procréation…
« Nous sommes, pour les greffes d’utérus, au croisement entre une prouesse technique et un débat éthique fascinant. Il s’agit d’une étape majeure dans l’évolution de notre spécialité. »
D’où des questions d’ordre éthique.
Comme pour la fécondation in vitro ou le diagnostic prénatal, nous sommes ici au croisement entre une prouesse technique et un débat éthique fascinant. Côté donneuse, trois cas de figure se présentent : donneuse décédée, donneuse vivante (souvent une mère qui va donner son utérus à sa fille, le don étant souvent vécu comme un rachat de culpabilité….), ou transsexuelle, c’est-à-dire une femme qui veut faire retirer son utérus pour devenir un homme. Le recours à des donneuses vivantes a cependant des limites : cette chirurgie est lourde, présente des complications pouvant mettre en péril leur vie, l’utérus est «âgé» pour la receveuse lorsque sa mère est la donneuse… En France, l’ANSM, qui vient d’autoriser les premières greffes d’utérus sur 8 femmes volontaires, a opté pour des donneuses décédées. Côté receveuse, celle-ci subit trois chirurgies : la transplantation utérine, la césarienne lors de l’accouchement, puis le retrait de l’utérus après une ou deux grossesses. C’est bien sûr un parcours contraignant et compliqué, mais cela apporte pour les patientes concernées une fantastique lueur d’espoir constituant bien sûr une alternative à la GPA qui n’est pas autorisée en France.
Vous êtes auteur ou co-auteur de nombreux livres. La transmission du savoir est si urgente pour vous ?
La transmission du savoir dans le domaine scientifique se fait par les congrès, internet, les publications d’articles de recherche clinique, mais aussi par les livres. J’ai toujours eu une fibre littéraire et je considère que les livres ont un rôle important dans la formation initiale et continue des praticiens, de par leur approche synthétique. Pour la première fois, je vais également m’adresser au grand public (voir encadré). En effet, j’ai réalisé que les femmes (et les hommes !) ont souvent une vision réductrice de notre métier et ne savent pas précisément en quoi consiste la gynécologie-obstétrique. J’ai travaillé deux ans sur ce projet pour tenter de présenter toutes les facettes de la gynécologie-obstétrique, en utilisant des mots simples, compréhensibles par les non médecins, et en colligeant des témoignages de patientes et des avis d’experts. J’espère faire comprendre combien notre spécialité est extraordinaire !
Propos recueillis par Dominique Magnien
BIOGRAPHIE
➔ Marié, 3 enfants
➔ Gynécologue-obstétricien. Professeur des Universités.
➔ Chef du service Gynéco-Obstétrique depuis 1999, puis chef du pôle Femme-Mère-Enfant au CHU d’Angers depuis 2012.
➔ Membre du bureau du Collège National des Gynécologues Obstétriciens Français (CNGOF) depuis 10 ans.
➔ Vice-président de la Société de Chirurgie Gynécologique et Pelvienne (SCGP).
➔ Élu en octobre 2015 membre de l’Executive board à la FIGO, représentant la France pour 6 ans.
➔ Élu au CNU (Conseil National des Universités) en octobre 2015.
Un ouvrage grand public pour tout savoir sur la gynécologie
Le Pr Descamps publie en février 2016 le livre « Docteur, j’ai encore une question !… » aux éditions Larousse. Cet ouvrage explique ce qu’est un gynécologue et donne une vision complète de la spécialité à travers des témoignages de patientes et des avis d’experts pour répondre aux questions que se posent les femmes sur leurs problèmes gynécologiques. Une formule originale pour répondre aux besoins de connaissance du grand public.
Article paru dans le Genesis N°188 (février/mars 2016)
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