Endocrinologue, spécialiste de la médecine de la reproduction, le Pr Philippe Bouchard fait le point sur l’acétate d’ulipristal, un traitement médicamenteux des fibromes utérins qui permet de limiter le recours à la chirurgie et d’améliorer significativement le confort des femmes.
Vos activités de recherche sont centrées sur l’endocrinologie de la reproduction. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Je m’intéresse en effet principalement à la médecine de la reproduction. Au cours de ma carrière, j’ai travaillé sur plusieurs grands thèmes. J’ai ainsi participé, avec René Frydman, à l’introduction des antagonistes de la GnRH dans la fécondation in vitro. Nous avons été les premiers à le faire et ce traitement est maintenant utilisé presque partout dans le monde. Depuis 30 ans par ailleurs, je travaille sur les antiprogestérones. J’ai notamment participé à partir de 2009 au développement d’un de ces produits, l’acétate d’ulipristal (UPA), qui est aujourd’hui commercialisé dans une trentaine de pays pour le traitement des fibromes utérins.
Le traitement des fibromes utérins était jusqu’ici essentiellement progestatif ou chirurgical. Les résultats de récentes études, dont la dernière publiée en janvier 2015, montrent son efficacité. Qu’apporte ce nouveau traitement ?
L’acétate d’ulipristal est un traitement suspenseur qui permet au fibrome de diminuer de taille de manière significative (de 40 à 50 %, parfois plus) après 3 mois de traitement, et de supprimer complètement les saignements utérins chez 98 % des femmes. Ce traitement permet de les préparer à la chirurgie et il est possible dans quelques cas de répéter les cures et de conserver un traitement purement médical*. Le développement pharmacologique d’un tel traitement avait été envisagé il y a 30 ans déjà, mais à l’époque, et jusqu’à récemment, les antiprogestérones étaient associés à l’avortement, et l’industrie pharmaceutique s’est tenue à l’écart. Plusieurs facteurs ont joué en sa faveur : l’interruption de grossesse est autorisée un peu partout, l’UPA n’a pas d’effet sur celle-ci contrairement au RU 486 et, enfin, ses résultats dans le traitement du fibrome sont exceptionnellement bons. Les premiers résultats ont été publiés en 2012 dans le New England Journal of Medecine, et les plus récents datent d’octobre 2015.
«L’acétate d’ulipristal est le seul médicament connu qui améliore le confort des femmes pour qui les saignements constituent un handicap, et ce sans effets secondaires (bouffées de chaleur, ostéoporose)»
Peut-il être appliqué à toutes les femmes et à tous les types de fibromes ?
200 000 femmes dans le monde bénéficient de ce traitement. Il s’adresse généralement à des femmes de plus de 45 ans ayant des fibromes volumineux qui saignent, qui sont handicapées par le saignement et éventuellement des douleurs pelviennes, et qui veulent garder leur utérus. L’idée est de leur faire passer un cap en attendant la ménopause. On admet aujourd’hui qu’environ 70 % des femmes ont un fibrome à un moment quelconque de leur vie, et que la moitié d’entre elles ont un fibrome symptomatique.
Par ailleurs, les fibromes surviennent plus tôt et sont plus volumineux chez les femmes d’origine africaine, pour des raisons qui ne sont pas encore totalement élucidées mais sans doute lié à un métabolisme particulier des œstrogènes. Chez ces femmes, ce traitement médical est particulièrement intéressant.
Comment est-il pris en charge en France ?
Le traitement est indiqué pour les fibromes compliqués et en particulier qui saignent, mais l’AMM est donnée en France pour les fibromes qui saignent avant la chirurgie. Il est donc aujourd’hui indiqué et remboursé chez nous pour une séquence de trois mois de traitement à 5 mg par jour, par voie orale. La prescription relève uniquement du gynécologue pour ne pas passer à côté d’un éventuel cancer de l’endomètre sous-jacent, possible chez moins de 1 % des femmes. L’UPA a reçu l’autorisation de l’Agence européenne du médicament (EMA) pour des séquences de trois mois séparées par des intervalles de deux mois sans traitement, et ce en continu. Mais, à ce jour, cette indication n’est pas remboursée en France.
Peut-on envisager à terme un traitement des fibromes uniquement par des médicaments ou des techniques non invasives ?
L’acétate d’ulipristal permet de réduire le recours à la chirurgie et d’en améliorer les indications, mais il ne remplace pas la chirurgie. Aux Etats-Unis, 300 à 400 000 utérus sont enlevés chaque année pour un coût de plus de 30 milliards de dollars ! Nous ne disposons pas de données pour la France, mais on estime le chiffre à 20 000 hystérectomies par an. L’objectif du traitement par l’acétate d’ulipristal est donc de réduire le nombre de femmes qui devront être opérées. Et, pour celles qui devront l’être parce que le traitement serait insuffisant ou parce qu’elles le souhaitent, de les préparer médicalement à un geste chirurgical présentant beaucoup moins de risques.
Le lien entre fibromes et infertilité fait toujours l’objet de débats. Quelle est votre position ?
Les fibromes qui déforment la cavité utérine sont certainement une source d’infertilité. Ils sont améliorés par le traitement, qui permet à la femme d’être enceinte. De plus, on ne constate pas de croissance du fibrome pendant la grossesse. De manière anecdotique, les Africaines qui présentent de nombreux fibromes jeunes ont une fertilité excellente…
Le traitement progestatif est de moins en moins utilisé en raison notamment du rôle qu’il pourrait avoir sur le risque de cancer du sein. Quelle est votre analyse de la faillite du THM en France ?
Le THM a disparu trop vite au décours de l’étude WHI en 2002. Aujourd’hui, on considère que si le traitement s’adresse à des femmes récemment ménopausées, vers 40-50 ans, qui sont symptomatiques et qui n’ont pas de lésion mammaire ou utérine dépistée par les examens, le traitement sur 10 ans ne pose aucun problème et améliore leur qualité de vie de manière très significative. Et parmi les traitements existants, ceux qui sont utilisés en France (œstrogène transdermique et progestérone naturelle) sont efficaces et peu nocifs, sans effets prolifératifs sur le sein.
Quel est selon vous l’avenir de la contraception ?
La contraception reste peut-être la plus grande découverte de la médecine, elle a complètement changé la vie des femmes, cela leur a permis d’espacer les naissances et d’éviter les grossesses non désirées, sources d’IVG inutiles. C’est le rôle des médecins de rendre cette contraception sans aucun risque. Ils doivent connaître les recueils de contre-indications (les femmes à risque de phlébite par exemple) et respecter les recommandations pour initier le traitement avec des estroprogestatifs de 2e génération.
Pour ce qui est de l’avenir, d’une part, les dispositifs intra-utérins hormonaux vont certainement beaucoup s’améliorer dans les années qui viennent, ce qui en fera une méthode contraceptive de longue durée qui éventuellement réduira les règles. D’autre part, on utilisera de plus en plus des molécules ayant moins de toxicité hépatique et sur la coagulation. On fonde beaucoup d’espoir sur des gels contraceptifs contenant un progestatif et de l’œstradiol, sur lesquels travaille le Population Council. Une recherche très active est également en cours pour mettre au point des gels vaginaux délivrant des hormones ainsi qu’un antiviral, afin de prévenir les maladies sexuellement transmissibles (herpès, sida…).
La contraception masculine en est par contre au point mort. La contraception hormonale ne fonctionne pas bien et est associée à des effets secondaires hormonaux et métaboliques. La seule contraception efficace chez l’homme reste pour le moment « mécanique ». Beaucoup de recherche est encore nécessaire pour trouver des agents qui bloqueraient la spermatogénèse dans le testicule. Une grande réunion internationale se tiendra sur cette thématique à Paris, en mai 2016, à l’Académie Nationale de médecine.
* L’UPA est également utilisé, sous un autre nom de marque, comme contraception d’urgence, avec une efficacité durant 5 jours.
Propos recueillis par Dominique Magnien
BIOGRAPHIE
➔ Endocrinologue.
➔ Professeur d’endocrinologie à l’hôpital Bicêtre, puis chef de service (département d’endocrinologie, gynécologie et obstétrique) à l’hôpital Saint-Antoine jusqu’en 2012.
➔ Professeur émérite de médecine de l’Université Pierre et Marie Curie (UPMC-Paris6).
➔ Membre de l’Académie nationale de médecine.
➔ Président de la Société européenne d’endocrinologie (SEE) jusqu’en 2015.
➔ Ancien président de la Société française d’endocrinologie (SFE), de la Société européenne de gynécologie (SEG), de la Société française de médecine reproductive (SFMR).
➔ Consultant pour le Population Council (New York).
➔ Consultation en gynécologie obstétrique à l’hôpital Foch et à la clinique Hartmann.
➔ Docteur honoris causa de l’Université de Liège.
➔ Auteur de 400 publications liées à l’endocrinologie gynécologique et à la génétique.
Article paru dans le Genesis N°187 (novembre/décembre 2015)
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