Chef du service chirurgie plastique, reconstructrice, esthétique et du Centre des brûlés à l’hôpital Saint-Louis à l’Assistance Publique de Paris, le Pr Maurice Mimoun est un esthète, mais surtout un homme à l’écoute qui entretient avec ses patientes et patients un lien très fort avant, pendant et après ses interventions. Celui pour qui soigner les gens est une vocation depuis l’enfance nous parle de l’approche qu’il a de son métier.
Pouvez-vous nous retracer brièvement les grandes étapes de votre carrière ?
J’ai toujours voulu faire de la chirurgie.
D’une part parce que tout petit, j’ai aimé travailler de mes mains. Mon père, d’abord mécanicien cheminot, est devenu par la suite inventeur. L’outil m’était familier et naturel.
D’autre part en raison de mon attirance pour la médecine. Je viens d’une famille où on aimait et connaissait la nature. J’ai toujours été émerveillé, étonné, et curieux de comprendre. J’ai été élevé dans l’idée que si on pose une question, on doit essayer de la résoudre. La biologie était ma matière préférée. La chirurgie, en associant cet enthousiasme pour la nature et mon goût du manuel, me semblait le métier rêvé. Mais je ne savais pas que j’allais faire de la chirurgie plastique.
N’étant pas du sérail – même si j’avais un oncle médecin militaire -, j’ai, après des études entreprises avec passion et l’obtention de l’internat, fait jouer le hasard pour choisir mon service : j’ai lâché un crayon sur une liste et je suis tombé sur le service de chirurgie réparatrice et reconstructrice du Pr Baux, au centre des brûlés de l’hôpital Rothschild et de l’hôpital Saint-Antoine. J’y ai découvert un monde extraordinaire et ai côtoyé un patron également extraordinaire. Un lien très fort s’est instauré entre lui et moi. Il a été mon guide et c’est ce qui explique que j’ai fait toute ma carrière dans son service : chef de clinique, praticien hospitalier, professeur. J’ai pu tout faire très vite, très jeune, une chance ! puis chef de service à sa retraite.
Le traitement chirurgical des brûlés était une grosse partie de son héritage intellectuel. Notre Centre des brûlés devait être reconstruit et modernisé. Grâce à l’Assistance Publique de Paris et sa restructuration, mon service a été transféré à Saint-Louis il y a 5 ans, où nous travaillons dans un magnifique centre, à la pointe, le seul centre de brûlés civil de Paris.
Votre service a plusieurs spécialités : la chirurgie des brûlés, la chirurgie reconstructrice, notamment la reconstruction mammaire, et la chirurgie esthétique. Comment toutes ces activités s’articulent-elles entre elles ?
La médecine spécialisée tend à la fragmentation du corps en petites parties. La chirurgie plastique, peut-être avec la gynécologie, reste une spécialité générale. Je m’adresse d’abord à la personne, puis à son problème. C’est un des éléments qui m’a fait beaucoup aimer cette spécialité. Je m’intéresse à l’individu qui souffre de l’image de son corps et j’essaye de comprendre sa souffrance ou son désir. Ce qui m’amène parfois à opérer, et parfois pas. Cette spécialité chirurgicale n’a pas de sens sans l’écoute. Elle est donc extrêmement variée, cela va de la femme ou l’homme qui veut un lifting ou refaire son nez à la reconstruction du sein après un cancer ou au traitement de tumeurs graves de la peau, à la réparation des malformations de naissance ou à des séquelles d’accidents ou de brûlures.
Quelle est la part de chacune d’elle ?
Il est très difficile de distinguer entre la chirurgie réparatrice et la chirurgie esthétique. Une reconstruction mammaire après un cancer par exemple relève des deux. Disons qu’en gros, c’est 50/50. Mais cela ne veut pas dire grand-chose. J’ai en face de moi une personne qui vient parler de son corps avec lequel elle a du mal à vivre. Bien sûr, une autre partie de mon métier est également de lutter pour sauver la vie d’un grand brûlé ou d’une personne atteinte d’un cancer de la peau. Il y a tout le panel de la médecine dans mon service. Je ne fais aucune différence entre les différentes parties, c’est mon métier !
«Il n’y a rien de plus important pour moi que de rendre mes patients heureux. J’ai la rage de soigner, de guérir ou de soulager. Le médecin aide à vaincre, mais ne gagne qu’avec son patient.»
Comment décidez-vous d’intervenir ou non, comment s’effectue ensuite la préparation d’une intervention ?
Il faut distinguer deux contextes différents.
D’abord la chirurgie de l’urgence, un grand brûlé par exemple : les techniques sont très sophistiquées, mais ne ramènent que rarement le patient à son état antérieur, le patient ne peut le comprendre que progressivement et nous devons l’accompagner pour qu’il y parvienne, avec les psychologues, les psychiatres… L’important est que le patient prenne conscience, se rende compte que nous avons donné le maximum, c’est d’habitude ce qui l’apaise le plus.
Et puis il y a la chirurgie non urgente, après un accident ou dans le cadre d’une demande esthétique.
L’objet de la consultation est certes d’expliquer la technique, mais surtout d’évaluer la capacité de contentement de son patient après le geste chirurgical envisagé. Je dis ‘non’ si je sens que le patient ne s’en satisfera pas. Une intervention réussie est en effet celle après laquelle le patient est heureux. Sinon, c’est qu’il y a eu un grain de sable dans l’évaluation pré-opératoire, ce qu’il faut essayer d’éviter au maximum.
Toute ma pratique a été très marquée par ma première rhinoplastie : j’en étais très fier, elle était très réussie anatomiquement, pourtant la patiente a voulu redevenir comme avant. J’ai dès lors fait très attention à l’indication psychologique. Parfois on observe des bonheurs inouïs en chirurgie esthétique et réparatrice. C’est indescriptible. Cela change leur vie. Je fais une chirurgie du corps heureux.
Comment accueillez-vous une demande esthétique sur le plan psychologique ?
Il s’agit d’un problème très complexe que j’ai appelé «corps-écran», le déplacement d’un problème psychologique sur le corps. Face à une souffrance apparemment morphologique, je cherche à savoir si elle n’est pas reliée à autre chose, s’il n’y a pas une cause cachée dont souvent le patient n’a pas conscience. Il faut avant tout régler le problème de fond. Je me rappelle ce jeune homme qui avait une bosse sur le nez. Ses parents lui ont révélé l’avant-veille de l’intervention qu’il était adopté. Si je l’avais malgré tout opéré, la souffrance serait restée.
Rassurez-vous, il y a aussi des demandes plus légères. Le patient peut tout formuler : être mieux, effacer des défauts… On peut déplorer les normes esthétiques. Mais j’ai en face de moi un individu, pas une société, et il n’y a pas place à la moralisation ou à la culpabilisation dans ma pratique.
Cependant, il y a plusieurs situations où l’on doit déconseiller au patient de se faire opérer. Soit il y a discordance entre la description du patient d’un défaut, d’une cicatrice et son constat objectif, on doit rechercher un phénomène de corps-écran. Soit le défaut est évident, mais sans solution technique satisfaisante (des rides seront enlevées au prix d’une cicatrice trop visible par exemple). Soit l’exigence du patient est au-dessus des mes possibilités. Un travail de cadrage et de pédagogie parfois long doit être entrepris. Le patient ne doit pas s’étonner que je le fasse parler globalement de sa vie. S’il est mis en face de ses contradictions, souvent ce n’est même pas la peine de lui dire, c’est lui qui finit par se dire ‘non’.
Quelle a été la répercussion du scandale des prothèses PIP sur vos patientes ?
Cela a été dramatique pour les femmes concernées, mais ce scandale ne doit pas condamner la chirurgie du sein. Les gens ont compris qu’il s’agissait d’un cas exceptionnel et en même temps que cet acte médical nécessitait de s’adresser à des personnes sérieuses et compétentes.
Vous menez depuis plusieurs années une action de bénévolat pour les brûlés. Quel est le moteur de votre engagement ?
Un jour, on m’a montré des photos d’enfants brûlés avec des séquelles terribles qu’on ne voyait plus en France car les équipes de nos centres modernes permettent de les éviter. Je me suis senti dans l’obligation de faire partager mon savoir-faire, de mettre cette compétence du traitement de la brûlure transmise par mes maîtres au service de malheureux enfants dont la réparation change la vie. Par l’intermédiaire de la fondation Children’s Action avec d’autres, nous avons opéré beaucoup d’enfants au Vietnam. Je n’en tire aucune fierté, ne prétends à aucun mérite. Je ressens comme une nécessité de consacrer un moment de mon temps à cette action. Ces enfants n’ont pas de chance, moi j’ai simplement de la chance de pouvoir les aider.
Vous avez écrit de nombreux ouvrages grand public sur votre pratique et sur l’éthique. Quels messages voulez-vous délivrer ?
Les publications scientifiques sont une chose, mais faire part de son expérience, donner aux gens matière à réflexion sur les questions éthiques que pose ma pratique, est très important pour moi. Mon premier livre a traité de l’impossible limite : la limite entre le dedans et le dehors qu’est la peau, la limite entre le beau et le laid, le jeune et le vieux… On ne peut pas faire ce métier sans y réfléchir. La question se pose constamment.
Ensuite, j’ai voulu aussi passer par le roman, car je voulais absolument écrire sur l’amour, l’amitié, l’éternité, la parole donnée. Tous les jours, je suis étonné, parfois bouleversé par ce qu’on me raconte. Le patient en face de vous est un roman passionnant, et vous le lisez.
Propos recueillis par Dominique Magnien
BIOGRAPHIE
➔ Chef du service de chirurgie plastique, reconstructrice, esthétique (Saint-Louis).
➔ Chef du service chirurgical du Centre des grands brûlés (Saint-Louis et Cochin).
➔ Président de la Société française d’études et de traitement des brûlures (SFETB).
➔ Membre du conseil d’administration de Children’s Action.
➔ Professeur des Universités.
➔ Auteur de 4 ouvrages, dont un roman.
➔ Site internet : www.maurice-mimoun.com
Article paru dans le Genesis N°181 (octobre/novembre 2014)
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