Responsable depuis 2011 du Centre de ménopause au CHU de Toulouse, le Dr Florence Trémollières dirige la seule structure transversale dédiée à la ménopause en France. Face aux «dégâts» attendus en raison du recul des traitements, de la prévention et du dépistage, elle plaide pour que soit pleinement reconnu l’intérêt d’une prise en charge précoce. Entretien.
Pouvez-vous nous rappeler les étapes clés de votre carrière ?
J’ai suivi un parcours classique. Je suis interne des hôpitaux de Toulouse et, après une formation initiale en endocrinologie, je me suis rapidement orientée vers les pathologies métaboliques osseuses, et l’ostéoporose en particulier. Ceci à un moment où se développaient des méthodologies qui permettaient de mieux évaluer les conséquences osseuses des endocrinopathies et le retentissement osseux de toutes les situations de carence estrogénique.
Dès le début de mon internat, j’ai eu la chance de participer à la création, en 1986, du Centre de Ménopause par le Pr Claude Ribot, sous la direction duquel j’ai suivi tout mon cursus universitaire.
Après mon internat, j’ai passé deux ans aux Etats-Unis pour faire de la recherche dans le métabolisme osseux, ce qui m’a permis par la suite de soutenir une thèse d’Université en 1995. Je suis revenue comme chef de clinique.
Le Centre de Ménopause, lors de son transfert en 2003 à l’hôpital Paule de Viguier, a acquis une autonomie de fonctionnement complète. Je dirige ce centre depuis 2011.
Peut-on dire que vous êtes spécialiste de l’ostéoporose ?
Je ne veux surtout pas être réduite à cette étiquette. D’autant que je ne suis pas rhumatologue. J’ai en fait acquis au fur et à mesure une triple compétence : la prise en charge de l’ostéoporose et des pathologies métaboliques osseuses, la prise en charge des risques cardiovasculaires des femmes à la ménopause et la gestion des aspects purement gynécologiques de la ménopause.
Vous avez co-présidé, les 5 et 6 juin à Toulouse, les 5e Assises de Gynécologie où vous avez abordé l’augmentation du risque fracturaire en début de ménopause. Où en est la prise en charge de l’ostéoporose ?
Malheureusement, et contrairement à ce qu’on aurait pu penser il y a quelques années, le dépistage et la prise en charge de l’ostéoporose régressent. Le THM était le traitement de référence des femmes en début de ménopause. Le dépistage de l’ostéoporose aidait souvent à convaincre les patientes réticentes à initier le traitement hormonal lorsqu’une diminution de leur capital osseux était retrouvé en début de ménopause. De même, beaucoup de femmes prenaient plus fréquemment un traitement hormonal pour des manifestations climatériques, ce qui contribuait à prévenir l’ostéoporose.
Mais, avec le recul des traitements hormonaux de la ménopause depuis la publication de l’étude WHI en 2002, on ne fait plus de prévention primaire de la perte osseuse à la ménopause. Et, dans le même temps, le dépistage devient moins fréquent car, tout au moins dans la première décennie postménopausique, les praticiens risquent de se trouver dans des impossibilités thérapeutiques.
Et ce, malgré le remboursement de l’ostéodensitométrie ?
Les chiffres sont révélateurs. Depuis que l’examen ostéodensitométrique est remboursé, c’est-à-dire depuis juillet 2006, le nombre d’actes a en moyenne diminué de 6% par an. Il est vrai que les conditions de remboursement de cet examen ont induit, en particulier chez les médecins généralistes, l’idée qu’il n’était pas utile si la femme ne remplissait pas les critères voulus. Enfin, une polémique s’est développée depuis 5 ou 6 ans sur les effets secondaires, réels ou exagérés, de la plupart des médicaments contre l’ostéoporose. Beaucoup de patientes sont désormais réticentes à prendre ces traitements, ce qui conduit également à faire moins de dépistage.
«Tant qu’on n’aura pas au journal télévisé un discours visant à relativiser les effets secondaires des THM et à remettre l’accent sur leurs bénéfices, les femmes resteront réticentes»
A quoi faut-il s’attendre alors ?
Ce recul généralisé, qui a débuté il y a 12-13 ans (cela correspond à l’histoire naturelle de l’ostéoporose), va inévitablement se traduire par une augmentation du nombre de fractures.
Ma consultation est actuellement submergée de femmes aux alentours de la soixantaine ayant des ostéoporoses avancées, voire très souvent avec des fractures vertébrales, et dont la maladie a été accélérée parce que non traitée. On peut penser que toutes les pathologies liées à une carence estrogénique – l’ostéoporose, qui est la plus emblématique et la plus facile à dépister, mais aussi les maladies cardiovasculaires – ne pourront qu’augmenter.
Y a-t-il des alternatives ?
Il en existe très peu en début de ménopause, en dehors du raloxifène. Mais ce traitement n’est pas toujours bien toléré chez les femmes symptomatiques. Il reste difficile à proposer lorsque les bouffées de chaleur occasionnent une gêne. Nous essayons donc de convaincre les patientes de prendre un THM, mais cela demande beaucoup d’énergie et de temps.
Cette polémique autour des THM est-elle toujours aussi intense ?
Même si le soufflé est un peu retombé du côté de la communauté scientifique et de beaucoup de gynécologues, la perception qu’en ont les femmes n’a changé en rien. Tant qu’on n’aura pas au journal télévisé un discours visant à relativiser les effets secondaires des THM et à remettre l’accent sur leurs bénéfices, les femmes continueront de penser qu’il est préférable de ne pas en prendre compte tenu du risque de cancer du sein.
Le ministère devrait s’emparer de la question. Des recommandations devraient être émises en s’appuyant sur les praticiens de terrain et les avis des sociétés savantes, et non uniquement sur les épidémiologistes, qui se réfèrent seulement à la méthodologie basée sur les preuves, c’est-à-dire à l’étude WHI, sans vouloir prendre en compte les travaux et les ré-analyses qui ont été effectués depuis cette publication.
Il est vrai que nous ne disposons pas d’une étude méthodologiquement irréprochable qui permettrait de démontrer que la balance bénéfice-risque des traitements à la française prescrits pour des durées de 5 à 7 ans chez des femmes en début de ménopause est plus positive que négative. Et on ne l’aura probablement jamais…
L’EMA a émis un avis favorable pour l’association bazedoxifène et estrogènes dans la prise en charge de la ménopause. Où en est-on en France ?
C’est un traitement très prometteur sous certains aspects. C’est ainsi la seule association d’un estrogène avec un SERM pour laquelle il y a une très bonne sécurité endométriale. Après l’avis positif de l’EMA en octobre 2014 pour sa commercialisation, la demande d’enregistrement n’a pas encore été initiée en France, le laboratoire étant conscient des réticences à l’utilisation de cette association. Même aux États-Unis, où elle est disponible depuis avril 2014, sa diffusion s’est révélée moins importante que prévu. Car cela reste une molécule ayant la dénomination traitement hormonal qui suscite donc chez les femmes les mêmes craintes sur le cancer du sein que les traitements conventionnels. Pourtant, le concept, intellectuellement, est séduisant. Cette association bazedoxifène et estrogènes pourrait être le traitement futur de la ménopause en gardant les «bons» effets des estrogènes sur le confort de vie et la prévention de l’ostéoporose sans en avoir a priori d’impact mammaire. Il faut cependant prendre en compte le fait que la démonstration à grande échelle de son innocuité mammaire ou de son innocuité veineuse n’est pas faite à ce jour.
De plus, il paraît difficile, dans un pays comme la France qui s’est fait le pionnier de la promotion des estrogènes par voie cutanée et de la progestérone naturelle, de convaincre les professionnels de santé et les patientes que la prise d’un traitement estrogénique par voie orale, aussi prometteur soit-il, ne va pas augmenter certains risques vasculaires.
Entre des traitements qu’on ne veut plus prescrire et des traitements qu’on hésite à vouloir développer, y a-t-il une place pour l’optimisme ?
La prise en charge de la ménopause est un beau métier, c’est une spécialité passionnante. Notre mission consiste à repérer en début de ménopause les femmes ayant des facteurs de risque significatifs au plan osseux ou cardiovasculaire, dont on sait qu’ils seront aggravés par une carence estrogénique, et à fournir les moyens de prévenir les pathologies que ces femmes seront plus enclines à développer. Toute la finalité de notre centre est axée sur cet objectif.
Depuis l’étude WHI, les connaissances ont beaucoup évolué, nous disposons de tout un arsenal thérapeutique dont les effets secondaires sont de mieux en mieux connus, nous pouvons faire plus de sur-mesure qu’il y a 15 ans.
Nos médecins devraient reprendre conscience du fait que nous avons tout à fait les moyens de ne pas abandonner nos patientes à leur situation. Je souhaite porter ce message d’encouragement et d’espoir…
Propos recueillis par Dominique Magnien
BIOGRAPHIE
➔ Endocrinologue
➔ Responsable du Centre de Ménopause, hôpital Paule de Viguier, CHU de Toulouse.
➔ Maître de conférence des Universités – Praticien hospitalier.
➔ Co-fondatrice et Secrétaire générale du Groupe d’Etude sur la Ménopause et le Vieillissement hormonal (GEMVi).
➔ Trésorière du Groupe de recherche et d’information sur les ostéoporoses (Grio).
➔ Membre des conseils d’administration de l’European Menopause and Andropause Society (EMAS) et de l’International Menopause Society (IMS).
➔ Auteur de nombreuses publications internationales.
Article paru dans le Genesis N°185 (juin/juillet 2015)
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