Scénette de rue hier soir en sortant de la consultation. Plein été, il est 20 heures et on étouffe encore sous 32 degrés : « Pendant que vous y êtes, mettez-vous complétement à poil !» lance une quadra indignée à une jeune femme, short au ras des fesses et les seins que l’on devine libres sous un chemisier transparent. La réponse fuse, juste et efficace « Eh la vieille ! Vous êtes pour les burkas, vous ? ». Et la « vieille » de répliquer « faudra pas vous étonner s’il vous arrive des bricoles… ». Voilà, tout est dit en quelques invectives. Qui des deux a raison ?
Un signal sexuel envoyé à son insu peut attirer les prédateurs tandis que la liberté de s’habiller comme on le souhaite est parfaitement légitime et fait partie des libertés fondamentales humaines. Allez, puisque nous sommes médecins faisons ensemble si vous voulez bien un peu de Science 1. Pour séduire un partenaire sexuel et se reproduire la stridulation d’un criquet, le coassement d’un crapaud, la danse nuptiale d’un oiseau de paradis ou le brame d’un cerf sont tous des arguments de séduction efficaces et reçus comme tels. Les arguments visuels de séduction en direction de l’autre sexe passionnent depuis longtemps les éthologues. La vision est un canal sensoriel majeur chez les hominidés. C’est la théorie de Christian Jamin selon laquelle, du fait de sa verticalisation, l’homme aurait perdu le moteur majeur de l’attirance sexuelle qu’est l’olfaction voméronasale – remplacé par le cortex avec prédominance des signaux visuels 2. En principe le signaleur émet des signaux spécifiques au déclenchement de l’attraction sexuelle pour stimuler le comportement du receveur. Pour le zoologiste Desmond Morris (Le Singe nu, Grasset 1968), les seins correspondraient chez l’être humain à des signaux sexuels innés. Oui ? -Pas sur car… ils ne jouent aucun rôle chez toutes les autres espèces mammifères et certaines sociétés humaines ignorent ce signal ! Pour le chercheur Devendra Singh 3 le rapport féminin taille hanches proche de 0,7 serait le signal visuel inné déclencheur de l’attractivité sexuelle chez l’homme ! Pas sûr non plus : le rapport taille-hanche « préféré » change en fait en fonction de la société étudiée, du statut socio-économique et surtout de l’évaluation cognitive. Autres signaux visuels bien connus : la roue des paons, les couleurs du perroquet, les musculatures, les bois des cerfs, la crinière du lion… et pour l’homme hétérosexuel, la symétrie du corps et du visage, les seins, … tandis que chez la femme hétérosexuelle ce sont bien sur la symétrie du corps et du visage mais aussi la masse musculaire… (signal surtout efficace en période d’ovulation !).
En fait le fondamental est que ce message visuel soit correctement interprété par le receveur : le problème des signaux émis est qu’ils peuvent attirer parasites, prédateurs. Ainsi le point de vue du signaleur et du receveur peut etre conflictuels. Revenons à notre scène de rue : notre jeune fille quasi dénudée émet un signal certes involontaire mais qui peut etre perçu par certains hommes comme une invitation sexuelle. Et c’est en fonction de l’évolution de son cerveau vers l’humain que le receveur décodera ou non ce signal comme une invite sexuelle : au bas de l’« échelle corticale » il pourra malheureusement y repondre de façon animale brute c’est à dire « inhumaine » : harcèlement abus sexuel, viol… En éthologie la communication est dite COOPERATIVE si le comportement déclenché par le signal est bénéfique pour le signaleur et le receveur. Chacun sait qu’entre individus de notre espèce, pourtant réputée supérieure, cette communication visuelle connaît de nombreux ratés ! Certes nous disposons de la culture, de notre cortex évolué, de la parole qui devrait nous assurer une transmission et une interprétation très précise des messages : nous savons tous qu’il n’en est parfois rien.
David Elia
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts pour cet article.
1. http://www.diffusion.ens.fr/index.php?idconf=150&res=conf# J’ai beaucoup appris en visionnant la magnifique conférence de David Laloi (Université Paris VI, Ethologue, chercheur passionné)
2. La théorie de Calypso. Christian Jamin
3. Singh D. Adaptive significance of female physical attractiveness: role of waist-to-hip ratio. J. Pers. Soc. Psychol., 65(2) :293-307, 1993).
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