C’est ma Nature?
Arkadin* raconte : «Un scorpion veut traverser la rivière. Il demande à une grenouille de l’aider. Non merci, dit la grenouille, car si je te porte sur mon dos tu me piqueras et le dard d’un scorpion est mortel. Il n’y a, dit le scorpion, aucune logique dans tout cela. Si je te pique, tu mourras et je me noierai. Alors, la grenouille convaincue autorise le scorpion à monter sur son dos, mais juste au milieu de la rivière elle ressent une terrible souffrance et elle comprend que le scorpion l’a piquée. «Logique» ? Crie la grenouille affolée en entraînant le scorpion dans les profondeurs de l’abîme. Où est la logique dans tout ça? Je sais, dit le scorpion, mais je n’y suis pour rien. C’est ma nature !»
La «nature» de chaque être vivant est-elle si impérieuse ? Ce qu’elle imprime dans nos gènes est-il une prison dont on ne pourrait s’échapper? Cette nature inéluctable nous impose-t-elle de nous plier immuablement à ses ordres ?
Ainsi le tigre peut-il s’empêcher de mordre la gorge de sa proie jusqu’à ce que mort s’en suive ? Non répond le tigre, je le fais car «c’est ma nature». Le jeune lion devenu désormais dominant ne peut-il vraiment pas s’empêcher de tuer les petits qui ne sont pas de lui afin de préserver sa lignée en priorité ? «Je ne peux faire autrement car c’est ma nature» répond le lion. Le crocodile qui attend le gnou au bord du marigot ne peut-il l’épargner au lieu de le massacrer en quelques secondes ? Non répond le crocodile – même étonné de la question – «car c’est ma nature». Quant aux êtres humains, nos semblables doivent-ils ainsi s’entre-tuer de façon inéluctable car «c’est leur nature», se massacrer, se vautrer dans la barbarie ? L’histoire du monde de ces dernières semaines semble claironner une réponse funeste. Et cela fait des millénaires que cela dure. Les mâles doivent-ils se laisser aller à leurs pulsions primitives qui les poussent à «ensemencer» toute femelle disponible sur leur territoire ?
Oui répondent les violeurs car «c’est notre nature» ! Puis-je tuer mon voisin au seul prétexte qu’il m’importune, qu’il est différent de moi, que sa religion et ses coutumes ne sont pas les miennes, que sa couleur de peau, sa culture me sont étrangères ? Oui, oui, oui répondent les fanatiques, barbares, incultes et irresponsables car… «C’est notre nature» répondent-ils en chœur et avec conviction ! La «bonne nature» excuse ainsi bien des comportements, acceptables pour les animaux, mais indignes de l’humanité. Certes nous sommes toujours des animaux mais… des «animaux humains» ! Et c’est cette HUMANITE qui impose que nous luttions contre ce qu’elle a d’inhumain, n’en déplaise à ses respectueux inconditionnels : «La nature de l’homme est de lutter contre la Nature» !**
Allez bonne rentrée et à très vite ensemble et heureux aux XVIe journées de GENESIS les 11 et 12 septembre 2014.
*Scène du bal masqué de ARKADIN, film d’Orson Welles -1955.
**Albert Jacquard -Propos privés.
Article paru dans le Genesis N°180 (septembre 2014)
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