CONTRACEPTION – Les anti-pilules ne désarment pas : une série sans fin
La mise sur le marché des contraceptifs hormonaux (CH) ne cesse depuis 60 ans d’alimenter des combats entre ses partisans et ses opposants.
Première saison : la morale
« La pilule ? Jamais ! (…) On ne peut pas réduire la femme à une machine à faire l’amour ! (…) Si on tolère la pilule, on ne tiendra plus rien ! Le sexe va tout envahir ! (…) C’est bien joli de favoriser l’émancipation des femmes, mais il ne faut pas pousser à leur dissipation (…) Introduire la pilule, c’est préférer quelques satisfactions immédiates à des bienfaits à long terme ! Nous n’allons pas sacrifier la France à la bagatelle ! » Charles de Gaulle 1965
Puis pour le remboursement : « Les mœurs se modifient, nous n’y pouvons à peu près rien. » Mais « il ne faut pas faire payer les pilules par la Sécurité Sociale. Ce ne sont pas des remèdes ! Les Français veulent une plus grande liberté de mœurs. Nous n’allons quand même pas leur rembourser la bagatelle ! » toujours Charles de Gaulle 1967.
Un grand homme est aussi celui qui peut changer d’avis.
Sans oublier le débat surréaliste à l’Assemblée lors de l’adoption de la loi Neuwirth. (Décembre 1967)
Il a bien fallu admettre que le changement de société était inéluctable et que les « filles » auraient quoi qu’il en coûte une sexualité ;
il valait donc mieux les protéger de la grossesse non désirée, d’autant que ce risque ne rend pas les femmes plus vertueuses !
Deuxième saison : l’efficacité
Toutes les contestations concernant l’efficacité ont été tuées dans l’œuf par les résultats des études cliniques avec un indice de Pearl de plus de 99,5%. Qui dit mieux ?
Cependant l’efficacité d’un traitement ne se mesure pas seulement par son efficacité expérimentale même corrigée mais aussi par son efficacité dans la vraie vie, indice dit typique, résultante de l’efficacité intrinsèque, de l’observance et de la persistance de la prise. Cette persistance, elle, dépend de facteurs plus subtils comme la tolérance, les bénéfices non contraceptifs (BNC), le coût, ainsi que l’image véhiculée par les médias et les réseaux sociaux etc.
Ainsi des études ont montré que la persistance est multipliée par trois lorsque des BNC existent. En effet, la majorité des échecs de la contraception hormonale vient certes un peu de l’observance (capacité à suivre l’ordonnance comme un comprimé 21j/28 ou un par jour) mais surtout de la persistance (capacité à poursuivre la prescription). Pour améliorer cette dernière ont été proposées des prises dites continues avec des placébos lors des périodes d’arrêt, des prises enchaînant 3 plaques sans fenêtre, des CH avec des progestatifs de longue demi-vie, des CH avec changement par semaine (patch) ou par mois (anneaux).
Les BNC améliorent la persistance car même lors des périodes de célibat (de durée imprévisible car nul n’est à l’abri de l’amour !), une femme pour qui la CH améliore des douleurs abdominales telles que dysménorrhée, endométriose, ménorragies, ou une acné ou un hirsutisme n’interrompra pas cette CH.
Pour la tolérance objective des CH il est clair qu’une CH bien choisie améliore les douleurs mammaires, diminue la dysménorrhée, les douleurs ovulatoires, les carences martiales.
Le coût : certaines CH sont gratuites ou remboursées par la Sécurité Sociale et les mutuelles le cas échéant, d’autres ne sont pas remboursées, Il est regrettable que si vous avez une acné ou une pilosité excessive vous soyez condamnée à payer les CH adaptées, de votre poche. Double peine !
Troisième saison : les risques
Les premières publications sur les accidents cardiovasculaires sont apparues très rapidement (Lancet 1961) avec augmentation des risques coronariens :
infarctus du myocarde (IdM) d’accidents vasculaires cérébraux (AVC) et de thromboses veineuses (TEV). Ces risques ont été peu à peu minimisés par la diminution des doses d’éthynil estradiol à moins de 50 mg/j , et par l’introduction de CH à l’estradiol naturel (n’en déplaise à la ministre de l’époque). Plus récemment il est recommandé d’éviter les progestatifs seuls à forte dose sur de longue durée et après 40 ans. Mais les risques ont surtout été drastiquement réduits par la mise en évidence de facteurs de risque contre indiquant formellement ou relativement les estroprogestatifs (antécédents de pathologies vasculaires personnels ou familiaux, troubles métaboliques, âge avancé, migraines avec aura, surpoids…). La prise en compte de ces facteurs est fondamentale pour éviter l’immense majorité des risques : les CH sont des médicaments dont la prescription nécessite une solide formation, condition pas toujours respectée.
Cancer et pilule : les femmes ayant pris les CH ont moins de cancer du côlon, du foie, de l’endomètre et de l’ovaire. Elles ont un peu plus de cancer du col mais n’ont pas la même vie sexuelle. Pour ce qui est du cancer du sein le débat n’est pas clos. Le risque est potentiellement très faible et disparaît à l’arrêt. Rappelons que le risque de cancer du sein est très lié à l’âge de la première grossesse menée à terme ce qui n’empêche pas les femmes d’avoir des enfants de plus en plus tard et ceci grâce aux contraceptions en général.
Dernière minute : L’association entre contraceptions hormonales et risques cardiovasculaires, cancéreux et autres risques graves, n’est pas confirmée par des évidences de haut grades. Brabaharan JAMA 2022;5(1):e2143730. doi:10.1001/jamanetworkopen.2021.43730
Quatrième saison (aujourd’hui) : la qualité de vie
La pilule me fait grossir : aucune étude n’a permis de le confirmer. La pilule modifie mon caractère, me rend triste, diminue ma libido… voici ce que l’on lit dans des livres écrits par des journalistes (sans référencements), sur les réseaux sociaux et aussi ce que l’on entend dans nos cabinets. Difficile d’argumenter avec ces patientes : leur ressenti est subjectif, très difficile à évaluer et fortement influencé par le bruit de fond sociétal. Les études randomisées en double aveugle n’ont que rarement inclus ces critères dans les études de niveau 1. Les études observationnelles, du fait du caractère subjectif des troubles incriminés, ne peuvent donner un résultat fiable.
Aucune étude de niveau 1 n’a donné de signaux d’alerte sur ces items, pas plus les études de mise sur le marché que les études sur l’acné par exemple. On peut affirmer également que ces plaintes, récentes, sont postérieures à la médiatisation s’y rapportant.
Notons que la dernière pilule à l’estétrol, en cours de commercialisation, a évalué ces items sans confirmer ces assertions. Enfin aucune de ces plaintes n’est apparue dans l’une des grandes études épidémiologiques, la Nurse Health Study (plusieurs milliers de femmes suivies pendant 50 ans).
Ainsi des rumeurs non validées, infox ou fake news, sont en train de réussir là où les attaques contre les contraceptions hormonales mettant en cause la morale, l’efficacité, la tolérance, et les risques ont échoué. Je ne pense pas vivre la cinquième saison dans les 20 ans qui viennent. Nous vivons une époque formidable !
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts pour cet article.
Christian Jamin, Paris, 75008
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