Moment difficile pour la patiente et parfois aussi pour le médecin, la première consultation d’annonce d’un cancer du sein doit aboutir sur la légitimité du traitement, ses modalités et ses conséquences à court et à long terme. Ce moment fondateur pour l’avenir de la patiente exige un entretien de 45 minutes à une heure.
Le 28 novembre 1998, ont eu lieu les premiers Etats Généraux des patients : 11 000 malades réunis dans un amphithéâtre à La Défense vont réclamer transparence, droit à l’information dans le suivi de leur cancer. Cet événement fondateur sera inscrit bientôt dans la loi et fera l’objet de différentes modifications inscrites dans les plans cancer successifs.
En fait, souvent, l’oncologue n’arrive pas en première ligne dans l’annonce du cancer du sein : il s’agit parfois du médecin traitant, plus souvent du gynécologue, parfois du radiologue ou du chirurgien qui, successivement, sont amenés à voir dans un premier temps la patiente. On devrait donc plutôt parler de réunion d’informations que de consultation d’annonce ; dans tous les cas, la femme aura de toute façon du mal à «s’habituer» à avoir un cancer du sein. Cet événement dramatique et essentiel de sa vie suscitera de nombreuses interrogations qu’elle formulera auprès des interlocuteurs qu’elle sera amenée à croiser dans son parcours, interlocuteurs médicaux et paramédicaux, mais également à son entourage, proche ou moins proche (et bien sûr les médias : presse écrite, télévision, internet…). La consultation dite d’annonce en cancérologie aura pour objectif de figer les informations médicales réelles la concernant et d’essayer de recadrer les différentes interrogations et surtout les angoisses que cela suggère. Cette consultation sera à l’origine de la relation, souvent forte, que la femme aura avec son cancérologue et elle restera souvent mémorisée par la patiente.
Cette consultation initiale sera donc nécessairement une consultation longue, entre 45 minutes et une heure.
Lors de cet entretien, il faudra de toutes façons traiter les sujets suivants :
– Explications concernant la maladie (sa ou ses causes, comment le cancer évolue-t-il, quels sont les enjeux, etc.).
– L’ensemble de ces explications devra déboucher assez naturellement sur la légitimité du traitement préconisé. Bien évidemment, c’est surtout la chimiothérapie qui fera l’objet de beaucoup de discussions souvent douloureuses, voire difficiles.
– Les modalités du traitement, tant dans son déroulement que ses conséquences.
– Les conséquences du traitement à court terme comme à long terme.
– Beaucoup d’autres choses seront abordées lors de cette consultation grâce à un échange avec cette femme, souvent avec un accompagnant proche d’elle affectivement qui devra être intégré dans cette discussion.
Des questions reviennent presque constamment comme étant une préoccupation importante de ces femmes :
– Pourquoi ai-je ce cancer, pourquoi moi ? :
L’alimentation ou le stress sont souvent évoqués, il faut rappeler ici que le stress n’est pas retenu actuellement comme un facteur de risque de survenue du cancer du sein.
L’alimentation, le surpoids, le mode de vie, notamment l’absence d’activité sportive, ont été retenus récemment comme des facteurs pouvant augmenter le risque de cancer du sein. Il faut néanmoins insister pour rappeler qu’on ignore la cause de cette maladie en dehors des cancers « héréditaires » qui ne concernent que 5 % des cancers du sein ; les autres facteurs environnementaux ne sont pas supposés être à l’origine de plus de 25 % des cancers du sein. En ce qui concerne la problématique de l’origine du cancer, il ne faut pas hésiter à déculpabiliser la patiente qui, en aucun cas, n’est responsable de la survenue de sa maladie, ce qui est important pour qu’elle puisse également gérer son mode de vie ultérieurement.
– Comment faudrait-il que je vive demain, puis après le cancer, pour ne pas rechuter, pour ne pas faire un autre cancer ?
Les conseils qu’il faut donner à ce stade sont des conseils de bon sens. Il faut rappeler qu’il n’existe pas d’alimentation protégeant du cancer (curcuma, grenade, thé vert, etc.). Il n’existe pas non plus de remède miracle « vitamines, oméga 3, etc. » qui n’ont pas été démontrés comme apportant un plus en matière de cancer du sein. Certaines études, fondamentales ou même chez l’homme, ont parfois montré la nocivité de certains de ces agents chimiques. Globalement, ce qui été appelé les Médecines Alternatives Complémentaires (MAC), n’a pas fait l’objet d’étude réellement scientifique et approfondie, avec une méthodologie convenable pour évaluer leur intérêt ou leur nocivité. On recommande de plus en plus, dans le suivi du cancer du sein, la pratique du sport pour laquelle différents organismes ont été mis en place (CAMI), la pratique du sport a également été démontrée comme améliorant la tolérance de la chimiothérapie. Le surpoids est également à déconseiller fortement au décours d’un cancer du sein.
– Comment dois-je vivre pendant la chimiothérapie, les défenses immunitaires sont-elles atteintes ?
Globalement, là aussi, c’est surtout le bon sens qui doit être privilégié : il n’y a aucune raison d’interdire à ces patientes de voyager, d’éventuellement prendre l’avion, d’aller à la piscine… En ce qui concerne le soleil, il faut qu’elles en discutent avec leur oncologue, certaines drogues pouvant s’avérer photo-sensibilisantes surtout dans les jours suivants leur administration. Encore une fois globalement, il faut surtout que ces femmes, pendant la chimiothérapie, écoutent leur bon sens et vivent le plus normalement possible, en sachant que l’équipe médicale qui les a en charge est toujours disponible pour les conseiller. Bien sûr, en cas de symptômes préoccupants comme de la fièvre, une asthénie trop importante, un contact téléphonique au moins devra déclencher une prise en charge médicale pour gérer une éventuelle complication intercurrente.
– Quand mon cancer a-t-il commencé, peut-on le savoir ?
Il faut savoir expliquer le plus clairement possible le concept de la maladie cancéreuse microscopique qui conditionne et légitime les traitements adjuvants comme la chimiothérapie, la radiothérapie ou l’hormonothérapie ; après l’acte chirurgical initial qui est en général pratiqué, une partie fréquemment importante des femmes est d’ores et déjà guérie. Les traitements médicaux prescrits par l’oncologue sont des sécurités supplémentaires pour essayer de prévenir l’émergence et le développement d’une maladie cancérologique microscopique qui se serait installée au plan local (dans le sein : rôle de la radiothérapie et l’hormonothérapie), au plan régional (dans les ganglions, autour du sein : rôle de la chimiothérapie, la radiothérapie et l’hormonothérapie) ou à distance (dans les viscères : rôle de la chimiothérapie et de l’hormonothérapie). Cette maladie microscopique est un concept qui peut souvent leur paraître abstrait d’autant que le bilan d’extension pratiqué initialement va s’avérer négatif, il faut donc également l’expliquer aussi clairement que possible par la notion du seuil de sensibilité des examens du bilan d’extension. On rappellera que la propagation du cancer peut se faire par voie lymphatique (ganglion sentinelle ou curage positif) ou parfois, le cancer peut se propager directement par voie sanguine ne laissant dans ce cas aucune « trace » de son passage. Cette dissémination se fait dans les années précédant le diagnostic, le cancer débutant au niveau microscopique en moyenne 5 à 10 ans avant que la mammographie ne voie quelque chose. C’est souvent une notion difficile à comprendre et à entendre pour la patiente qui a eu l’impression de découvrir précocement son cancer.
– Comment pourrais-je travailler ?
La réponse à la question de l’activité professionnelle pendant une chimiothérapie est fonction à la fois du travail lui-même, de la liberté de la patiente à adapter ses horaires ou ses jours de présence, de la pénibilité de ce travail et bien sûr de l’importance pour la patiente, sociale et psychologique, d’une éventuelle cessation, même temporaire, d’activité professionnelle. Il faut donc adapter la réponse au cas par cas et en fonction du protocole de chimiothérapie et de sa tolérance. On expliquera à cette occasion, la grande variabilité de tolérance d’une chimiothérapie, imprévisible pour une malade ou pour une autre. Autant que possible, on s’attachera à essayer de conseiller une poursuite de l’activité professionnelle, tant les arrêts de travail, surtout prolongés, peuvent être générateurs de difficultés ultérieures voire de cessation d’activité définitive.
– Quand mes cheveux tomberont-il ? Quand repousseront- ils ?
Tous les médicaments de chimiothérapie ne font pas perdre les cheveux mais en matière de cancer du sein, beaucoup sont effectivement alopéciants. Lorsque l’alopécie apparaît, elle est assez constamment à deux semaines et demie après injection du produit responsable, et parfois précédée de sensation de prurit voire de douleurs au niveau du cuir chevelu. Les casques réfrigérants n’ont pas d’impact sur beaucoup de médicaments utilisés, même si les perfectionnements récents de ces casques laissent espérer de meilleurs résultats. Le problème doit être abordé précisément par l’oncologue en fonction du protocole de chimiothérapie choisi. C’est parfois un critère de refus de se faire traiter qu’il faut alors essayer de négocier au mieux.
En ce qui concerne la repousse des cheveux, en général, elle commence deux mois après l’arrêt d’une chimiothérapie alopéciante, les cheveux repoussant progressivement d’1 cm par mois, ils sont alors tout à fait sains et vigoureux et ne nécessitent pas de précaution particulière (teinture diluée, sans ammoniac, etc., qui n’ont jamais prouvé leur intérêt).
– Et si je ne faisais pas de chimiothérapie ?
Il faut réexpliquer ici que la chimiothérapie, comme les autres traitements adjuvants, n’est qu’une sécurité supplémentaire qui, en général, peut augmenter de 5 à 15 % au mieux les chances de survie. Ces chiffres peuvent paraître faibles. Néanmoins, il s’agit souvent de supprimer ainsi 20 à 30 % du risque de rechute métastatique. La rechute métastatique si elle survient n’est, dans la plupart des cas, pas guérissable et conduira finalement au décès de la patiente (10 000 morts par an en France par cancer du sein).
La consultation d’annonce nécessitera de la part de l’oncologue médical qu’il tienne avant tout un discours adapté à son interlocutrice :
– Tenir compte de sa capacité de comprendre.
– Tenir compte de son envie de savoir.
– Capacité de faire face à cette information.
Dans cette gestion qui est souvent difficile, la solitude d’une femme est souvent un handicap considérable pour aborder les difficultés et l’angoisse, en général, que génèrent ces discussions.
On s’attachera lors de cette consultation à décrire le parcours ultérieur de la patiente (Plan Personnalisé de Soins : PPS) et de délivrer des éléments rassurants :
– Parler de la guérison à chaque fois qu’on le peut.
– Expliquer qu’on travaille en équipe, y compris avec le médecin traitant et avec de nombreux spécialistes regroupés dans le Centre (RCP : Réunion de Concertation Pluridisciplinaire).
– Impliquer l’entourage dans ces discussions et dans cette prise en charge.
– Rappeler la disponibilité de l’équipe soignante qui se mettra à tout instant et durablement au service et à disposition de cette patiente afin, encore une fois, de lutter contre le sentiment de solitude inévitable face à toute maladie grave.
Sur le plan de la technique de communication, il est inutile de s’attacher à donner trop d’informations (par exemple les modalités et les conséquences de l’hormonothérapie devront faire l’objet d’une consultation ultérieure).
Lors de cette consultation initiale, on évoquera régulièrement la notion de guérison, de solidarité de l’équipe, pour réinjecter tout le long des notes positives. Il s’agit ici de donner de l’espoir à ces patientes (de calmer leur angoisse surtout) mais également, il faudra s’attacher à ne pas minimiser les enjeux, c’est-à-dire être clair, être honnête et ne pas cacher les difficultés et les risques de ce parcours. En la matière, la loi oblige ces dernières années les médecins à une information claire et complète, y compris sur des accidents rarissimes mais qui pourraient s’avérer graves.
Il faudra donc donner cette information en la relativisant quant à son caractère exceptionnel mais elle ne doit pas remettre en cause les options thérapeutiques.
Parmi les conséquences de la chimiothérapie, on s’attachera à décrire les conséquences immédiates, la toxicité de la chimiothérapie étant en partie améliorée par les soins de support. On rappelle que la tolérance à une chimiothérapie peut s’avérer extrêmement variable d’une patiente à l’autre et que parfois, c’est surtout sa mauvaise acceptation qui rend sa tolérance difficile.
En ce qui concerne les conséquences à long terme, elles peuvent s’avérer très importantes pour la qualité et le parcours de vie de ces femmes : la stérilité précoce peut être un écueil majeur pour une jeune femme souhaitant procréer et il peut s’agir ici d’un refus d’accepter la chimiothérapie après discussion et information précise. En ce qui concerne les conséquences sur une ménopause éventuellement précoce et surtout difficile à compenser (interdiction d’un traitement hormonal substitutif), les conséquences peuvent être beaucoup plus graves qu’il n’y paraît. On a très peu de moyens pour gérer confortablement des problèmes aussi fréquents que la sécheresse vaginale, la baisse de la libido, la tendance dépressive, la tendance au surpoids. Seule une hormonothérapie substitutive qui est donc en principe contre-indiquée, pourrait améliorer significativement ces problèmes. Cette conséquence à terme de la chimiothérapie et surtout l’incapacité de la traiter ne sont pas très souvent évoquées lors de la consultation d’annonce mais elles seront fréquemment au coeur des discussions ultérieures dans le suivi à long terme de ces patientes guéries et pour qui le cancer du sein aura constitué un tournant très important de la vie.
En conclusion
La consultation d’annonce cancérologique dans le cancer du sein est toujours un moment difficile pour la patiente et parfois pour le médecin : « vous avez bien un cancer, votre vie est en jeu, on n’a trouvé comme traitement que la chimiothérapie, qui est un traitement toxique, délabrant, générateur de séquelles, ce traitement peut apparaître, par certains côtés, pire que le mal… ». C’est toujours compliqué de bien annoncer de telles mauvaises nouvelles mais avec l’expérience, en prenant le temps, on peut sûrement rendre cette information, qui de toute façon est nécessaire, audible et faire de cette consultation d’annonce un moment fondateur dont la femme se souviendra et qui lui permettra, en partie, d’accepter sa maladie et de mieux se battre.
Le cancer reste souvent un véritable « tsunami » qui intervient fréquemment dans une vie déjà plus ou moins compliquée. Le médecin doit en être conscient : le cancer risque de déstabiliser un équilibre parfois déjà précaire au plan social, affectif et personnel, familial, financier, etc. Comme le dit le Docteur Isabelle Moley-Massol, « le malade est sidéré, il est bouleversé, à ce moment, il ne comprend pas les explications et le rationnel… L’information doit être progressive, adaptée, s’ajuster aux ressources, aux demandes et aux attentes du patient ».
On apprend au fil des années à « mieux faire l’annonce ». C’est un moment incontournable pour les patientes et pour le médecin, c’est un moment fondateur pour l’avenir de ces femmes. Le médecin doit toujours s’attacher à réfléchir de façon critique à sa manière de faire pour essayer de mieux faire ou de faire moins mal. L’important n’est pas seulement de délivrer des informations. La consultation d’annonce est maintenant, depuis plus de dix ans, inscrite dans le parcours des patients atteints de cancer en général, le cancer du sein en est un exemple particulièrement riche, mais difficile.
Jean-Michel Vannetzel – Président de l’Institut du Sein Henri Hartmann (ISHH), Clinique Hartmann
Article paru dans le Genesis N°187 (novembre/décembre 2015)
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