Chef du Pôle Femme Enfant, au service de gynécologie obstétrique du CHRU de Nîmes, le Pr Pierre Marès s’est orienté notamment vers la fécondation in vitro et la chirurgie pelvienne. Il mène depuis ses débuts une réflexion éthique autour de sa pratique, mais aussi de l’utilisation des nouvelles technologies. Entretien.
Pouvez-vous nous rappeler votre parcours professionnel et les grandes étapes de votre carrière ?
Après des études à Montpellier, j’ai suivi un cursus très classique : chef de clinique pendant trois ans, puis médecin hospitalier, universitaire, ensuite chef de service à Nîmes en 1982, et maintenant chef de pôle. Je me suis spécialisé dans la fécondation in vitro et la microchirurgie gynécologique quand débutaient ces disciplines. J’ai travaillé sur les troubles de la statique pelvienne et développé la chirurgie pelvienne, qui était négligée à l’époque, alors que cette pathologie renvoie à l’image et à l’identité de la femme. Dans le même esprit, je me suis aussi intéressé à la réhabilitation de la femme dans le post-partum.
Mon souhait serait de faire une journée du périnée et de développer un label maternité amie de la femme (en collaboration avec Chantal Fabre, sage-femme). L’incontinence d’urine et l’incontinence anale altèrent en effet la qualité de vie des femmes, pouvant conduire à de vrais états dépressifs en sus de l’altération physique. Depuis quelques années, je m’intéresse également aux douleurs pelviennes. Il s’agit là d’une forme de synthèse de toutes mes approches précédentes.
Enfin, ma pratique est liée à l’utilisation des nouvelles technologies. Le service a ainsi mis en place dans le Gard un des premiers réseaux de diagnostic prénatal en télémédecine, qui permet aux équipes médicales d’échanger des images pour améliorer la prise en charge des patientes.
Votre pratique est indissociable d’une réflexion éthique…
Ce n’est pas tant l’envie de me poser des questions éthiques que la confrontation que j’ai eu, alors que j’étais chef de clinique avec Bernard Hédon, à des questions que se posaient les couples sur la fécondation in vitro et auxquelles nous n’étions pas préparés. Ceci nous a conduits à mettre en place un groupe de réflexion pluridisciplinaire, composée aussi bien d’acteurs médicaux que d’acteurs religieux (aumônier, pasteur). Ce groupe s’est réuni régulièrement pour répondre à des questions médicales, spirituelles… qui portent du sens et auxquelles nous ne pouvons pas répondre tout seuls. De fait, cette démarche apportait par elle-même une dimension éthique. Chacun avait ses opinions et exprimait des avis très différents, mais que nous échangions. Je me souviens par exemple d’un jour où nous avons discuté de l’embryon et où un médecin pédiatre a commencé son intervention par cette phrase : «L’embryon…, mon frère…» et de notre première présentation qui aboutissait à une conclusion qui évoquait que l’enfant n’est pas un droit…
Où en est votre réflexion sur l’aide médicale à la procréation et la gestation pour autrui dans le cadre du mariage pour tous ?
Je suis chirurgien. De ce point de vue, l’assistance médicale à la procréation, à travers la fécondation in vitro, a été un progrès extraordinaire. Au départ, il s’agissait de venir en aide aux couples n’ayant pas pu avoir d’enfants. Mais petit à petit, on a pu faire dériver les indications de l’AMP. Concernant la gestation pour autrui, on fait rêver le couple sur la notion de l’enfant qui arrive, on défend les droits du couple qui veut un enfant, mais on oublie de présenter cette démarche en toute objectivité. On n’évoque pas les complications possibles pour la femme qui porte la grossesse. Mais que va-t-on lui dire en cas d’hémorragie de la délivrance, de déchirure du périnée, d’incontinence d’urine, de lésions périnéales définitives ? Et si l’enfant naît avec un handicap, qui va le garder ? Pour ma part, il ne s’agit pas de dire ‘oui’ par principe, mais ‘oui’ dans certains cas. Il faut en parler avec beaucoup d’humilité et moins de certitudes, ne pas se priver d’une possibilité thérapeutique en fonction des situations, réfléchir et être en mesure de fournir une réponse tenant compte de tous ceux qui sont concernés par la GPA. Une rupture conceptuelle est nécessaire. Une solution pourrait être la mise en place de commissions qui apporteraient leurs réflexions.
Mais les questions éthiques se posent également avec l’utilisation des nouvelles technologies, dans le diagnostic prénatal, la fin de vie, l’accompagnement…
Il faudra revoir l’enseignement et le mode de recrutement des enseignants, qui ne pourront plus être recrutés sur des critères des sciences fondamentales seulement, mais aussi des sciences humaines et pédagogiques. C’est ce que nous a appris la télémédecine.
Justement, quel est l’enjeu de la recherche au regard des questions éthiques que posent les progrès techniques ?
Les nouvelles technologies ont changé les pratiques à plusieurs niveaux. Nous faisons des visio-conférences tous les jours au CHRU de Nîmes avec des villes voisines et des médecins libéraux. Cela a bouleversé la notion d’espace-temps dans le diagnostic prénatal : deux sessions, à 1 semaine d’intervalle, suffisent pour porter un avis au lieu de six semaines auparavant.
Mais ce qui paraît un progrès extraordinaire peut aussi être ressenti comme une agression pour les couples, à qui on ne laisse plus le temps d’appréhender psychologiquement les conséquences du diagnostic. Il en est de même pour l’enseignement. La simulation est indispensable, mais les étudiants n’osent plus parler au patient, n’osent plus examiner un corps… A chaque invention technique, il faut réinventer la place de la dimension humaine. C’est cela qui nous donne le plaisir du travail et l’envie de continuer.
Votre service a une activité de recherche. Quelle prochaine évolution ou révolution faut-il attendre aujourd’hui en gynécologie obstétrique ?
Les évolutions peuvent s’envisager à plusieurs niveaux : la façon de prendre en charge le patient et son accompagnement par les indicateurs biologiques «embarqués», les progrès de l’imagerie, la génétique et la médecine prédictive avec la mise en place de démarches préventives personnalisées, l’utilisation des cellules souches… et la place du patient comme acteur de la décision. Par exemple, on sait, aujourd’hui, fabriquer des cellules souches à partir des cellules prélevées sur le vivant et non de l’embryon, le progrès est tout à la fois technique et éthique. Ce sont là les grands axes de réflexion à venir. Il faudra aussi revoir l’enseignement et le mode de recrutement des enseignants, qui ne pourront plus être uniquement recrutés seulement sur des paramètres fondamentaux, mais aussi cliniques, pédagogiques… C’est ce que nous a appris la télémédecine : ce n’est pas le chef de service, par exemple, qui est référent dans ces réunions, mais celui qui est compétent et celui qui est choisi comme référent par le patient…, qui peut d’ailleurs être différent selon les étapes de la prise en charge. Les schémas hiérarchiques actuels devront être réorganisés et surtout reconceptualisés.
Avec le recul, quel bilan tirez vous de «l’affaire» des pilules de 3e et 4e génération, ainsi que de la crise du THM ?
Les gynécologues obstétriciens français ont eu raison de s’opposer au ministère de la Santé sur la question des pilules. Il existe des variations minimes selon les pilules. Il aurait été possible de donner des conseils de prudence, au lieu de cet excès de précaution qu’a préféré le ministère. Alors que nous avions des informations et des chiffres à lui fournir, celui-ci n’a voulu entendre qu’un seul discours, et n’a pas suivi les spécialistes de la contraception. De même concernant le THM.
Que vous inspire l’affaire de la maternité d’Orthez ? Remet-elle en cause la médecine de proximité comme le craignent certains?
Le problème de la maternité d’Orthez est qu’il n’y a souvent que des médecins remplaçants dans ces structures ! La conséquence
en est un suivi et une sécurité insuffisants. Il serait préférable de fermer certaines maternités et de mettre en place des consultations avancées de proximité. Mais on gère de l’émotionnel, de l’image, et pas la qualité. Il n’est pas possible pour les médecins de travailler isolés. Il faudrait mettre en place des outils de communication, des éléments de consultation à distance… Au lieu de cela, les politiques ont un discours passéiste, les pratiques sont inappropriées et les outils modernes ne sont pas utilisés. Arrêtons de faire croire qu’il y aura un médecin dans chaque village. Cessons d’être démagogue, mais traitons les Français comme des adultes responsables. Un accès aux soins dans les meilleures conditions reste possible…
Propos recueillis par Dominique Magnien
BIOGRAPHIE
➔ Né en 1947 à Montpellier.
➔ Chef du Pôle Femme Enfant, service de gynécologie obstétrique, CHRU de Nîmes.
➔ Professeur des Universités.
➔ Membre du CNU de gynécologie obstétrique.
➔ Activités de recherche : pathologie vasculaire engynécologie obstétrique (thrombophilies), pathologie chirurgicale pelvienne et prothèses…
Article paru dans le Genesis N°182 (janvier/février 2015)
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