Le col utérin à sang pour cent
CONTEXTE CLINIQUE
Les saignements d’origine cervicale sont un motif fréquent de consultation en gynécologie praticienne, cependant peu explorés dans la littérature.
Les étiologies sont multiples, allant du bénin au (pré-) malin concernant toutes les femmes à tout âge.
Les conduites à tenir sont peu standardisées, et leur prise en charge repose principalement sur l’expérience / expertise propre du praticien.
Dans ce court article nous envisagerons les principales situations cliniques rencontrées dans le cadre d’une consultation classique dans un cabinet de gynécologie.
LES PHÉNOMÈNES PHYSIOLOGIQUES : L’ECTROPION
L’ectropion cervical est défi ni par une ectopie glandulaire au delà de 5 mm de l’orifice cervical. Il intéresse les patientes en période d’activité génitale principalement : les métrorragies post coïtales en premier lieu, les leucorrhées voire les douleurs et dyspareunies sont les principaux motifs de consultation. Devant un col rouge exposé avec un speculum, il est important de voir les papilles recouvertes de l’épithélium glandulaire ce qui permet d’affirmer qu’il s’agit bel et bien d’un ectropion et il n’est pas choquant d’utiliser un colposcope s’il est à notre disposition. Il est de bon ton de rechercher une grossesse débutante et de vérifier si n’existe pas un déséquilibre de la balance hormonale en faveur des estrogènes à l’origine de cet ectropion.
Le traitement ne se conçoit que devant des manifestations cliniques et en évitant toute intervention susceptible d’obérer la physiologie du col utérin (amputation même minime, sclérose sténosante…). A ce titre, la cryothérapie peut se pratiquer au cabinet (geste simple rapide indolore et donne de bons résultats avec 92% de succès dès la première application1-3. A noter que l’on peut observer à la suite de la procédure une mélanose cervicale sans gravité4. Pour les lésions très étendues, certains auteurs ont proposé des vaporisations laser (source potentielle d’atrophie cervicale), l’utilisation de thérapeutiques plus coûteuses et peu exploitées en France tels que les ultrasons focalisés5 et la destruction par micro-ondes6.
LES DYSTROPHIES MALPIGHIENNES
L’atrophie ménopausique
Les saignements d’origine cervicale sont en réalité souvent des spottings (et que les patientes rapportent à des « pertes » en raison de leur couleur marron) et au speculum on note un col fragile qui saigne au contact avec des vaisseaux apparents et une atrophie vaginale. Le traitement est naturellement celui de l’atrophie avec association d’une estrogéno-thérapie locale (et systémique selon les manifestations associées) et d’un traitement trophique du chorion à base d’acide hyaluronique (acide hyaluronique 10 jours et estrogénothérapie locale 20 jours par mois). A noter la sureté d’emploi de ce traitement en particulier sur les risques de cancer (sein et endomètre) et cardio-vasculaires7.
Les érosions
On retrouvera la notion d’un traumatisme cervical (en lien avec un rapport sexuel, un examen gynécologique, un accouchement, une infection…). L’important est d’écarter une ulcération herpétique (cf infra), et surtout une pathologie maligne invasive avec une ulcération irrégulière sur un col déformé tuméfié. Le traitement repose sur l’abstention ou un traitement antiinfectieux local (en l’espèce plus préventif que curatif).
Les dystrophies cicatricielles
Elles sont observées après conisation, laser « appuyé » et surtout électro-cautérisation. Un traitement trophique local (combinant estrogènes locaux et acide hyaluronique) peut être proposé après que l’on ait écarté une infection et une récidive locale d’une pathologie HPV induite.
LES DYSTROPHIES GLANDULAIRES
Les polypes
On les découvre à l’examen clinique justifié par des métrorragies spontanées ou post-coïtales, des leucorrhées dans un contexte d’hyper-estrogénie. Leur dégénérescence (HPV induite ou non) est rare (3,7% dans une série récente) et justifie pleinement leur exérèse (bistournage en utilisant une pince à polype fenêtrée qui ne broiera pas le polype pour le pathologiste) et une exploration de la cavité utérine à la recherche d’autres polypes pouvant eux aussi relever d’une exérèse pour examen anatomo-pathologique8.
L’adénose cervicale
L’adénose réfère immédiatement au DES Syndrome et ses conséquences malformatives sur les organes de reproduction et le col utérin où la conséquence la plus grave était l’adénocarcinome à cellules claires du vagin9. Toutefois, selon la NCI Third Generation Study il n’existe pas de risque cervical transgénérationnel10. L’adénose hors DES existe
cependant en particulier chez les patientes sous Tamoxifene avec un risque faible de cancérisation cervico-vaginale, et des lésions HPV induites dans 2 à 20% des cas justifiant une surveillance clinique et biologique. Une régression spontanée est observée dans 60% des cas avec l’âge. Les traitements proposés lorsque la patiente est gênée par les saignements comportent des vaporisations laser ou des exérèses ERAD avec un risque accru de sclérose post-thérapeutique11.
L’ENDOMÉTRIOSE CERVICALE
La présentation clinique est faite de lésions maculaires hémorragiques diffuses, ou d’un nodule bleuté classique siégeant sur le col utérin (Figure 1)
Les lésions peuvent êtres primitives ou plus souvent secondaires à un geste chirurgical (conisation, curetage)12. Il est de bon ton de rechercher une endométriose pelvienne associée au moin cliniquement (interrogatoire et examen clinique). Le traitement (vaporisation laser plutôt qu’électro-coagulation, excision ERAD) ne doit être proposé que chez les patientes symptomatiques, les exceptionnels cas de cancérisation n’imposant pas de surveillance spécifique13.
La déciduose gravidique
Il s’agit d’un phénomène physiologique survenant lors de la grossesse : les cellules conjonctives du chorion endométrial volumineuses et cohésives « remontent » à la surface épithéliale du col formant des îlots qui érodent l’épithélium entraînant une réaction inflammatoire source des saignements. Le tableau colposcopique varie selon la migration des cellules déciduales vers la surface et leur localisation : sous malpighienne donnant des plages maculaires bien limitées blanchâtres, des nodules translucides pouvant s’ulcérer (figure 2), et sous glandulaire avec un aspect des papilles glandulaires à sommet blanc sous acide acétique coalescentes et trop épaisses pouvant prendre un aspect polypïde (figure 3).
Les infections cervicales
Il s’agit en règle d’ectropion surinfecté par des divers germes (trichomonas avec signes cliniques associés) ou plus fréquemment par chlamydia trachomatis : on a alors un aspect de cervicite avec leucorrhées anormales, une glaire « louche » et un ectropion trop « fragile » qui saigne au moindre contact. Il faut alors penser aux autres infections sexuellement transmissibles, rechercher une infection haute et s’assurer d’un prélèvement de l’endocol en utilisant un test d’amplification des acides nucléiques (TAAN Duplex chlamydia trachomatis et nesseiria gonorrhae). En l’absence d’infection haute une prescription d’Azithromycine 1 gramme en une seule prise est recommandée.
On mettra à part les lésions herpétiques cervicales évoluant dans un contexte herpétique, donnant des lésions multiples pouvant déborder sur le vagin, ulcérées parfois à fond « sale » qui peuvent en imposer pour des cancers invasifs dans leur forme ulcérante.
Les lésions dysplasiques : Le piège
Le saignement dans les lésions dysplasiques est un signe de gravité et le piège est celui du col rouge que l’on prend trop vite pour un ectropion : à l’examen sans préparation, il n’est pas observé de papilles glandulaires, on peut observer un blanchiment suspect après acide acétique qui imposera des biopsies diagnostiques, on peut même noter dans les formes les plus évoluées une absence de réaction acidophile mais on se méfiera d’une déformation du col, d’orifices glandulaires et déformés par une couronne acidophile et de vaisseaux pathologiques (peu flexueux, non ramifiés).
Carla Sousa1, Estelle Tromelin1, 2, Mathilde Le Moigne1, Jean Levêque1, 2
1Département de Gynécologie Obstétrique et Reproduction Humaine – CHU Anne de Bretagne, Rennes 2Département d’Oncologie Chirurgicale – CRLCC Eugène Marquis, Rennes
RÉFÉRENCES
1. Legros R, Coupez F. Traitement de l’ectropion et des dysplasies bénignes du col de l’utérus par cryothérapie. Sem Hop. 1974;50:1279-83.
2. Yildiz S, Alay I, Eren E, Karaca I, Gultekin G, Kaya C, et al. The impact of cryotherapy for symptomatic cervical ectropion on female sexual function and quality of life. J Obstet Gynaecol. 2021;41:815-20.
3. Alvarez Bravo A. Cryosurgery of the uterine cervix. Our experience in 3,184 cases. Ginecol Obstet Mex. 1991;59:105-11.
4. Hytiroglou P, Domingo J. Development of melanosis of uterine cervix after cryotherapy for epithelial dysplasia. A case report and brief review of the literature on pigmented lesions of the cervix. Am J Clin Pathol. 1990;93:802-5.
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7. Crandall CJ, Hovey KM, Andrews CA, Chlebowski RT, Stefanick ML, Lane DS, et al. Breast cancer, endometrial cancer, and cardiovascular events in participants who used vaginal estrogen in the Women’s Health Initiative Observational Study. Menopause. 2018;25:11-20.
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10. Titus L. Evidence of intergenerational transmission of diethylstilbestrol health effects: hindsight and insight. Biol Reprod. 2021;105:681-6.
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12. Wong FW, Lim CE, Karia S, Santos L. Cervical endometriosis: case series and review of literature. J Obstet Gynaecol Res. 2010;36:916-9.
13. Kvaskoff M, Mahamat-Saleh Y, Farland LV, Shigesi N, Terry KL, Harris HR, et al. Endometriosis and cancer: a systematic review and meta-analysis. Hum Reprod Update. 2021;27:393-420.