Chef du service de gynécologie obstétrique et médecine de la reproduction à Sèvres depuis juillet 1992 puis, depuis mars 2015, du Centre hospitalier des Quatre Villes à Saint-Cloud, le Dr Joëlle Belaisch-Allart dirige l’un des plus anciens centres d’assistance médicale à la procréation – son service a notamment vu naître en 1982 le 2e bébé «éprouvette» en France. Entretien.
Pouvez-nous nous rappeler les étapes clés de votre carrière ?
Après des études en médecine à la Pitié Salpetrière et mon internat des Hôpitaux de Paris en 1977, j’ai été nommée chef de clinique assistant dans le service du Pr. Emile Papiernik à l’hôpital Antoine Béclère, de 1981 à 1984. Je suis ensuite devenue praticien hospitalier en 1984, d’abord dans le service du Pr Papiernik jusqu’en 1990, puis dans le service du Pr Roland Taurelle à l’hôpital Boucicaut, de 1990 à 1992. J’ai été nommée chef du service de gynécologie obstétrique et médecine de la reproduction à l’hôpital de Sèvres le 1er juillet 1992. Suite à la fusion des hôpitaux de Sèvres et de Saint-Cloud le 1er janvier 2006, les plateaux techniques ont été réunis sur le site de Saint-Cloud, où mon service a finalement déménagé le 2 mars 2015. Je dirige donc désormais le service unique de gynécologie obstétrique et médecine de la reproduction du Centre hospitalier des Quatre villes à Saint-Cloud.
Votre service est spécialisé dans la prise en charge de l’infertilité du couple. Quelle est la prévalence de l’infertilité aujourd’hui et comment a-t-elle évolué ces dernières années ?
Les épidémiologistes estiment que 15 à 25% des couples sont confrontés à un problème d’infertilité à un moment de leur vie (1). L’infertilité augmente-t-elle ? Nous constatons bien une augmentation des déclarations par les couples de leurs difficultés à concevoir (2), mais l’interprétation est difficile pour plusieurs raisons : une médiatisation très forte des traitements de l’infertilité, la possibilité que les couples soient plus impatients ou moins résignés, et la difficulté de faire la part des facteurs biologiques, sociétaux et biologiques.
A Sèvres, en 2014, nous avons réalisé près de 700 ponctions en vue de FIV ou d’ICSI (micro-injection de spermatozoïdes), 300 inséminations intrautérines et 300 transferts d’embryons congelés. Nous pensons avoir la même activité, sinon plus, dans nos nouveaux locaux.
Quelle est la part de chaque option thérapeutique dans le traitement de l’infertilité ?
Comme tous les centres, nous «flirtons» avec les 70% d’ICSI, contre 30% de FIV. Les infertilités masculines augmentent et l’ICSI permet de diminuer les cas sans transferts d’embryons, même si elle n’est pas la panacée universelle ! Il y a une place pour chaque traitement selon l’étiologie. Dans le service, j’ai tenu à m’entourer de collaborateurs aux talents divers et à les aider à acquérir leur spécificité. Deux de nos praticiens sont plus chirurgiens que les autres. Un autre s’est spécialisé dans le drilling ovarien. Il est essentiel, dans un service qui prend en charge l’infertilité, que toutes les options soient offertes pour les femmes, mais il est également essentiel que tous les praticiens trouvent leur place et puissent s’épanouir.
«Il y a désormais une volonté d’exclure les professionnels de l’AMP de la réflexion qui me choque profondément. L’avis des médecins ne peut être balayé.»
Comment le couple intervient-il dans ce choix et la prise en charge de son infertilité ?
La place du couple est certes essentielle, mais il faut reconnaître qu’il choisit souvent en fonction de ce que lui explique le médecin ! J’explique souvent les alternatives possibles à mes patients, mais souvent, la réponse est «mais que feriez-vous, vous ?»
Quel est actuellement le taux de réussite des techniques d’AMP ?
L’Agence de biomédecine a publié en juillet 2014 les résultats de l’année 2012 : en moyenne, en France, tous âges confondus, une tentative sur 5 (20%) aboutit à la naissance d’un bébé. Ces chiffres varient selon l’âge des femmes, la cause de l’infertilité, le rang de la tentative, le nombre d’embryons transférés et, bien sûr, les centres, mais les résultats de chacun sont fonction des patientes acceptées autant que de la qualité du centre. Si l’on accepte de parler seulement en grossesse clinique (taux d’hCG supérieur à 1 000 unités /l) ou échographique (sac gestationnel vu à la première échographie) et non en accouchement, donc sans attendre les 9 mois, on peut avoir des résultats plus récents. Ainsi, à Sèvres où nous acceptons pourtant les femmes «jeunes dans la vie, âgées pour la reproduction» (c’est-à-dire les 38-42 ans), notre taux de grossesse clinique en 2014 a été de 37 % par ponction et 41 % par transfert.
Le taux de grossesses multiples est très bas en France, contrairement à d’autres pays. Quelle en est la raison ?
Les pays nordiques ont des taux de grossesse unique supérieurs aux nôtres en raison d’une politique acharnée de transfert d’un seul embryon, mais ils prennent en charge des femmes plus jeunes que nous. A l’inverse, aux Etats-Unis, le taux de grossesse gémellaire, bien qu’en baisse, reste plus élevé que chez nous. Je pense que nous sommes en France, désormais, dans une bonne moyenne, le taux de grossesse gémellaire a beaucoup baissé depuis les débuts de la FIV.
Quels sont les progrès accomplis ces dernières années et ceux à attendre ?
Les progrès majeurs de ces dernières années sont l’ICSI, la vitrification, la culture prolongée (le taux de grossesse se situe autour de 50% si on transfère un embryon à 5 jours de vie !). Dans le futur, ce sera l’obtention et la sélection de l’embryon qui va s’implanter, mais cette pratique sera-t-elle autorisée en France ?
Autre progrès, facile en théorie : je souhaiterais que l’autoconservation ovocytaire pour demande personnelle soit autorisée. Les femmes de 40 ans qui auraient autoconservé leurs ovocytes ne sortiraient plus en larmes de nos bureaux et le don d’ovocytes s’améliorerait : en effet, les femmes ayant autoconservé leurs ovocytes mais obtenu une grossesse spontanée pourraient donner leurs ovocytes conservés.
Est-il toujours aussi difficile d’obtenir des ovules par don ?
Oui, le don d’ovocytes reste difficile en France. La loi a mis sur le même plan don d’ovocytes et don de sperme, ce qui est pour moi une aberration. Les deux gestes sont nobles, mais l’un est beaucoup plus difficile et demande beaucoup plus de temps et de contraintes que l’autre ! Je suis favorable à un dédommagement des donneuses… comme beaucoup de médecins.
Vous avez été membre, notamment, du Comité consultatif national d’éthique. Celui-ci a rendu en 2010 un avis négatif sur la gestation pour autrui (3), et doit se prononcer sur les questions sociétales liées à l’AMP. La société française est-elle prête, a-t-elle suffisamment débattu, au-delà du climat polémique qui entoure cette question ? Quelles sont les dérives à craindre ?
J’ai été membre du CCNE de 2009 à 2013, cela a été une expérience inoubliable, qui m’a permis de comprendre son fonctionnement et ses limites. Je pense qu’il faut relativiser les avis du Comité, qui n’est que consultatif !
Il faut signaler aussi que, sur les 40 membres actuels, il n’y a plus une seule personne qui pratique elle-même l’AMP, c’est vraiment regrettable. Il y a désormais une volonté de la société d’exclure les professionnels de l’AMP de la réflexion qui me choque profondément. L’avis de la société est important, mais celui des médecins de l’AMP ne peut être balayé. Je n’ai pas peur des dérives : on ne doit pas interdire une technique sous prétexte qu’une utilisation abusive est possible, sinon le progrès n’existerait pas.
Propos recueillis par Dominique Magnien
(1) Slama, 2012.
(2) Léridon, 2007.
(3) Par 33 voix contre 7. Le Dr Belaisch-Allart faisait partie de ces «7 rebelles» qui ont signé avec Claude Sureau une note annexe demandant une autorisation encadrée de la GPA.
BIOGRAPHIE
➔ Mariée, deux enfants («Ce qui est tout aussi important que tout le reste !»).
➔ Chef du pôle Femme-Enfant, Centre hospitalier des Quatre Villes (Saint-Cloud).
➔ Professeur associé au Collège de médecine des Hôpitaux de Paris depuis 2002.
➔ Présidente du Groupe d’étude de la FIV en France (GEFF) en 2006, 2009, 2011, 2012 et 2014.
➔ Vice-présidente depuis 2007, puis présidente depuis 2014 de la Société française de gynécologie (SFG).
➔ Vice-présidente du Collège national des gynécologues obstétriciens français (CNGOF) depuis 2005.
➔ Membre du Comité médical et scientifique de l’Agence de biomédecine depuis 2005.
➔ Membre du Comité consultatif national d’éthique CCNE) de 2009 à 2013.
➔ Membre de l’Administrative Committe de l’European Society of Gynecology depuis 2013.
➔ Coordinatrice scientifique des Journées de gynécologie obstétrique et fertilité (que Jean Cohen lui a transmises en 2001).
➔ Chevalier dans l’Ordre national de la Légion d’honneur en 2014.
Article paru dans le Genesis N°184 (mai 2015)
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