Une femme de conviction
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QUELLES SONT LES GRANDES ÉTAPES DE VOTRE CARRIÈRE ?
Nommée interne des Hôpitaux de Paris en 1977, je n’ai pas hésité un instant à faire de la gynéco obstétrique, ont suivis 3 ans de clinicat à l’Hôpital Antoine-Béclère, c’était la grande époque Papiernik, Frydman, Testart, la naissance d’Amandine le 1er bébé éprouvette (comme on les appelait à l’époque) français. Je suis tombée dans l’ AMP et j’y suis restée ! Je suis devenue Praticien Hospitalier à Béclère en 1984 et jusqu’au départ d’Émile Papiernik à Cochin après 18 mois à Boucicaut j’ai eu le plaisir de succéder en juillet 1992 à Vincent Loffredo et Jean Cohen à Sèvres, le début d’ une nouvelle vie.
Se retrouver chef de service à 40 ans… C’était une expérience géniale, passionnante et… un peu difficile. A l’époque il n’y avait pas de formation à la fonction chef de service ( sauf 3 jours organisés par l’AP où je me souviens encore des recommandations de Jean de Kervasdoué ). On apprenait sur le tas…
L’hôpital Jean Rostand à Sèvres était un petit hôpital chaleureux mais qui ne pouvait pas résister aux restructurations du paysage hospitalier. En 2006 il a été fusionné avec l’Hôpital de Saint-Cloud. J’étais encore naïve, j’ai ainsi découvert que la politique était plus importante que la raison médicale et que la maternité de Sèvres qui aurait pu, qui aurait dû rejoindre l’Hôpital Ambroise-Paré et sa pédiatrie a été transférée à Saint-Cloud où il y avait déjà une maternité et pas de pédiatrie parce que les maires l’avaient décidé malgré l’avis des experts consultants ou médecins !
Les fusions hospitalières sont toujours un moment difficile pour les équipes. Et là encore j’ai découvert que la seule aide était celle que l’on s’apportait soi-même et j’ai créé des réunions mixant les équipes et team building, 2ème leçon de chose ! Et c’est ainsi que ma troisième vie professionnelle a débuté à Saint-Cloud en mars 2015. 3 hôpitaux Béclère, Jean Rostand Sèvres et Saint-Cloud ont ainsi successivement été ma passion.
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VOUS ÊTES LA 1ÈRE FEMME À PRÉSIDER LE CNGOF, COLLÈGE NATIONAL DES GYNÉCOLOGUES ET OBSTÉTRICIENS FRANÇAIS. COMMENT PENSEZ-VOUS METTRE VOTRE EMPREINTE ?
Le CNGOF est la grande société savante qui regroupe les gynécologues et obstétriciens de France quel que soit leur statut public universitaire ou non ou libéral et toutes les surspécialités ( Je disais avant sub spécialité parce que pour moi, elles sont toutes une partie de la Gynéco-Obstétrique mais le « sub » a été mal compris alors disons « sur » spécialité) : l’obstétrique, la gynécologie médicale ou chirurgicale, l’oncologie et la médecine de la reproduction. Ces orientations sont bien représentées dans nos instances dirigeantes avec 3 secrétaires généraux :
– Obstétrique : Cyril Huissoud
– Gynécologie médicale : Geoffroy Robin
– Chirurgie : Pierre Collinet…
– Et moi-même pour la Médecine de la reproduction.
De même nos 3 vice-présidents représentent l’une les universitaires Alexandra Benachi, l’autre les hôpitaux généraux Pierre Panel et le 3ème les libéraux Olivier Multon.
Le collège a 50 ans et en janvier 2021 je suis devenue la 1ère femme Présidente. Les femmes devenant de plus en plus majoritaires tant en médecine qu’en gynécologie obstétrique, il n y a au fond rien d’étonnant. Plus sérieusement, c’est quand même une petite révolution.
Promouvoir la gynécologie obstétrique française est un de mes buts et le fait que grâce à Philippe Descamps le prochain congrès international de la FIGO se déroulera à Paris est une victoire.
Représenter et parfois défendre nos collègues est une autre tâche. Le sujet des « violences obstétricales » empoisonne actuellement nos relations avec les patientes et il faut rapidement revenir à un climat plus serein faute de quoi il ne restera plus un GO (Gynécologue et Obstétricien et non gentil organisateur !) en France.
Mis à part le cas des vrais violeurs qui commettent des abus sexuels et dont la place est en prison. Il faut expliquer aux femmes et au public qu’un examen médical peut être mal ressenti, peut être douloureux, peut être inapproprié, mais ne devrait pas être qualifié de viol.
Il faut absolument dépassionner le débat. Expliquer aux femmes que l’accouchement n’est pas toujours aussi rose que les magazines féminins le disent ! L’accouchement en lui-même est parfois une violence quel que soit l’empathie de la sage-femme ou de l’obstétricien.
Je cite volontiers (avec son autorisation) l’exemple de ma fille. 1er accouchement à 38 semaines d’un petit bébé de 2,7kg à Saint-Cloud en 2 heures. Accouchement de rêve lui a dit toute l’équipe. Ainsi est né mon premier petit fils Matteo.
5 ans plus tard, loin de Saint-Cloud, 41 semaines d’aménorrhée, 3,7kg et 10 heures de travail malgré toute la gentillesse de l’équipe qui l’accueillait : accouchement vécu comme douloureux et violent. Ainsi est née ma petite fille Léa.
Sarah étant fi lle de GO elle a bien compris que ce n’était pas l’équipe qui était en cause mais le poids du bébé… Et n’a pas critiqué l’équipe bien au contraire ! Bien sûr il faut reconnaître que tous les GO ou toutes les SF ne sont peut-être pas aussi empathiques que les femmes le souhaiteraient et que certains gynécologues doivent changer leur façon d’être.
Mais ces médecins représentent une minorité qui ne peut pas, ne doit pas être sans arrêt mis au premier plan par les médias. J’ai vu avec consternation pleurer au staff du matin de jeunes collègues très douces et très touchées par les plaintes indues de certaines femmes « Je ne voulais pas d’épisiotomie, je vous l’ai dit mais je ne voulais pas non plus de déchirure » !
Dans un climat serein on pourrait expliquer, parler de la taille de la tête du bébé et de la taille du vagin. Il faut recréer un climat de bienveillance et de respect mutuel entre les femmes et les soignants c’est un autre de mes buts. La rédaction de la charte de l’examen en gynécologie obstétrique a été une réponse immédiate et une Recommandation pour la pratique (RPC) est prévue sur ce sujet.
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VOUS ORGANISEZ UN GRAND CONGRÈS, QUELLES EN SERONT LES GRANDES THÉMATIQUES ?
Paris Santé Femme qui devait se tenir en janvier Porte de Versailles se déroulera finalement les 11, 12 et 13 mai 2022. Ce congrès a l’originalité de réunir 22 sociétés savantes du domaine de la GO. Nous y parlerons donc de toute la spécialité ! Aussi bien d’obstétrique, d’échographie, que de chirurgie, de gynécologie médicale, de colposcopie, d’oncologie et de médecine de la reproduction
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QUELS ONT ÉTÉ POUR VOUS LES PROGRÈS MARQUANTS DE LA GYNÉCOLOGIE DURANT LES DÉCENNIES RÉCENTES ?
Je ne peux pas ne pas parler de l’AMP ! Louise Brow est née en 1978. C’est à la fois hier et en même temps très loin. En 40 ans et 9 millions de bébés de par le monde plus tard, la révolution de la FIV a permis à de nombreux couples infertiles de devenir parents. Tout est loin d’être gagné mais la nouvelle loi de bioéthique représente une petite révolution sociétale ! Je ne peux pas tout citer mais l’évolution vers la chirurgie ambulatoire est une autre révolution. Je suis admirative des chirurgiens ( des patientes !) quand je vois des patientes ayant eu une hystérectomie coelio-vaginale assistée rentrer le matin et sortir le soir ! Je suis enfin très admirative de la chirurgie robotique !
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VOUS ÊTES CHEFFE DU SERVICE DE GYNÉCOLOGIEOBSTÉTRIQUE ET MÉDECINE DE LA REPRODUCTION ET CHEFFE DU PÔLE FEMME-ENFANT AU CENTRE HOSPITALIER DES 4 VILLES. QUELS ONT ÉTÉ LES GRANDS AXES DE DÉVELOPPEMENT DE VOTRE SERVICE ?
A Saint-Cloud nous avons fini par réussir la fusion entre 2 équipes. C’était une gageure ! Nous avons un service de gynécologie où l’ambulatoire représente plus de 80%. Nous essayons d’être une maternité bienveillante malgré les 3 000 naissances et surtout malgré la COVID et enfin nous avons développé un service d’AMP de pointe grâce à un biologiste de talent que je ne remercierai jamais assez de nous avoir rejoints.
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QUELLES INFLUENCES OU INSPIRATIONS ONT DIRIGÉ VOTRE VIE PROFESSIONNELLE ? QUELS ONT ÉTÉ VOS COMBATS OU VOS AMBITIONS QUI VOUS ONT PORTÉ ET CONTINUERONT À VOUS PORTER ?
La défense de l’hôpital public, la laïcité, l’égalité homme/femme ont toujours été et restent mes 3 « moteurs ».
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QUE VOUS RESTE-T-IL À ACCOMPLIR ? AVEZ-VOUS DES PROJETS QUE VOUS SOUHAITERIEZ VOIR SE CONCRÉTISER ?
Oui. La défense des urgences obstétricales et gynécologiques qui sont méconnues de nos politiques. On parle toujours des réformes et ou des primes pour les urgences médicales ou chirurgicales, mais les urgences obstétricales et encore plus les urgences gynécologiques sont les grandes oubliées de toutes les reformes.
Mon autre combat :
L’auto-conservation ovocytaire est à peine autorisée dans la loi (à partir de 29 ans et avant 37 ans et seulement dans les centres publics autorisés). C’est à ce jour moins de la moitié des 104 centres d’AMP en France. Cette auto-conservation devrait être possible dans tous les centres d’AMP publics ou privés et sans nouvelle autorisation donnée par les SROS après 2023 ! Depuis le décret du 30 décembre 2021, l’auto-conservation est possible dans la quarantaine de centres déjà autorisés à la préservation de la fertilité pour raison médicale (qui doivent continuer à prioriser la conservation pour raison médicale ) et dans les rares centres préalablement autorisés au don d’ovocyte (qui avaient déjà le droit d’auto conserver mais exclusivement dans le cadre du don d’ovocyte ), ce qui limite beaucoup sa pratique en France.
Si l’autoconservation n’est possible que dans la quarantaine de centres déjà autorisés à la préservation de la fertilité pour raison médicale, cela revient à ne pas l’autoriser puisque ces centres devront à juste titre privilégier les raison médicales qui ne peuvent attendre ( ex avant chimiothérapie ).
Enfin, mais là je sais rêver, redonner du sens, du pouvoir, du respect aux médecins qui travaillent à l’hôpital. Il faut une vraie direction mixte médecin, administration à l’hôpital. Sinon on n’y arrivera jamais et l’hôpital continuera à se vider de ses soignants.
La fameuse phrase de Sarkozy « Il faut un seul pilote à l’hôpital : le directeur » a fait beaucoup de mal à l’hôpital public et créé beaucoup de désenchantement chez les médecins hospitaliers !
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AURIEZ-VOUS UN CONSEIL À DONNER À UN JEUNE QUI S’INSTALLE ?
Attention ! les conseils des anciens ne sont pas toujours les bienvenus !
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VOUS SOUTENEZ BEAUCOUP LES SAGES-FEMMES. POUVEZ-VOUS NOUS DIRE POURQUOI ?
Je suis frappée comme beaucoup de mes collègues par le fait que dans la vraie vie au quotidien dans nos services les GO et les SF travaillent ensemble sans problème, malgré les dissensions éventuelles des organismes officiels ! Alors c’est vrai, je soutiens mon équipe !
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VOUS ÊTES TRÈS ENGAGÉE AU SUJET DE LA LOI BIOÉTHIQUE. POUVEZ-VOUS NOUS DIRE LES BIENFAITS ET LES DÉSAVANTAGES DE CE PROJET DE LOI.
En théorie, les couples de femmes et les femmes seules, dénommées femmes non mariées dans la loi, vont pouvoir être prises en charge. C’est une véritable révolution et c’est bien mais… En pratique, elles vont consulter leurs gynécologues ou les centres d’AMP qui vont les adresser au CECOS le plus proche pour obtenir la précieuse paillette de sperme. Dans quel délai l’obtiendront-elles ? Nul ne sait, mais pas plus rapidement que les couples hétérosexuels qui attendent 1 an voire plus. L’autoconservation ovocytaire sans indication médicale sera théoriquement dans les établissements publics ou privés non lucratifs autorisés. Pourquoi éliminer les centres privés qui réalisent plus de la moitié des tentatives d’AMP en France ?
Je crains que le tourisme procréatif n’ait encore de belles perspectives ! Le droit aux origines était inéluctable à l’heure des tests génétiques. Sa mise en place risque de poser quelques problèmes. A partir de septembre 2022 un donneur de sperme, une donneuse d’ovocyte, un couple donneur d’embryon qui ne voudrait pas communiquer son identité, ne pourra plus donner. Quelles en seront les conséquences sur le don ?
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts pour cet article.
Joëlle BELAISCH ALLART
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