En tant que gynécologue médicale des années fastes et de la révolution féministe d’après 68, après avoir combattu pour la contraception, l’IVG et la prise en charge de la ménopause avec les femmes et pour les femmes, j’avoue être souvent désemparée face à celles qui rejettent de principe ces traitements obtenus de haute lutte. Quand ce n’est pas le médecin lui-même qui est accusé de connivence « avec l’ennemi », qu’est l’industrie pharmaceutique. J’ai désormais l’impression de mener une lutte quotidienne contre les femmes et face aux femmes du fait de cette perte grave de confiance.
Les thérapeutiques gynécologiques ont été le théâtre d’avancées concrètes et déterminantes. Le vaccin anti-HPV et la disparition du cancer du col dans certains pays comme l’Australie, la prévention par le test HPV, l’autoconservation ovocytaire, des contraceptions médicales moins risquées et mieux supportées dont les bénéfi ces additionnels sont importants, un THM à la française désormais exporté au plan international, pour ne citer que les exemples les plus marquants de cette véritable révolution.
Or les gynécologues font face aujourd’hui au retour en force de la « philosophie de la nature » et de toutes ses dérives, une nature qui par définition serait toujours bénéfique. Cette ambiance « écolo-bio » et l’hormonophobie qui l’accompagne touchent même certains professionnels de santé qui la valident et la cautionnent.
Cette involution dessert en fait la santé des femmes. Sous prétexte de les protéger des méfaits d’une médicalisation excessive inutile voire néfaste, on assiste à un retour à des méthodes naturelles archaïques qui ont fait la preuve de leur inefficacité au long cours, que ce soit pour la contraception ou pour l’accouchement.
Tout se passe comme si, après plusieurs décennies de progrès continus, tout s’était soudain pétrifié. Les médicaments sont plus volontiers laissés à la charge des patientes quand il s’agit de ceux des femmes ; on presse les jeunes mères à sortir précocement des maternités, rentabilité oblige, on les incite à accoucher dans des maisons de naissance voire pire chez elles, car là, pas besoin de leur payer une péridurale, ni la présence d’un médecin à disposition, alors que persiste une morbi-mortalité maternelle et périnatale toujours excessive.
Les Autorités de Santé participent de cette régression à coup de ce sacro-saint principe de précaution, qui, lorsqu’il est brandi à outrance, paralyse. Le principe de la bonne nature, associé au principe de précaution font supprimer certains médicaments qui sont remplacés souvent par… RIEN ! Et aujourd’hui je fais le pari qu’aucune pilule n’aurait son Autorisation de Mise sur le Marché !
Or Dame Nature est loin d’être toujours bonne mère et les françaises ne devraient pas oublier qu’elles doivent leur espérance de vie record supérieure à 85 ans aux progrès de la médecine, aux antibiotiques, aux vaccins, à la contraception, à la médicalisation des accouchements et à légalisation de l’avortement.
Quoiqu’en disent les réseaux sociaux et leurs gourous autoproclamés, la physiologie féminine n’est pas obligatoirement bonne pour les femmes. Autrefois, beaucoup mouraient en couche ; elles accouchaient dans la douleur ; à quarante ans, elles en paraissaient déjà 60 ou 70. Il n’y avait alors pas besoin de THM. Les femmes mouraient souvent avant la ménopause. Le retour au naturel n’est pas une panacée loin s’en faut car les femmes sont programmées pour mettre au monde 12 enfants ou vivre 7 ans de menstruations avant une ménopause invalidante pour la majorité d’entre elles.
En France en 2021, il n’y a plus que 6% des femmes ménopausées (400 000) qui ont accès à un traitement, alors qu’elles étaient 2 millions de femmes en 2002.
On peut donc parler d’une réelle défaillance que ne vivent pas les Américaines qui elles sont à nouveau traitées quand elles en ont besoin. Peut-être le doit-on à la disparition transitoire de la gynécologie médicale (aujourd’hui les derniers CES de GM partent en retraite) mais les répliques de la WHI terrorisent encore les éventuels nouveaux prescripteurs, alors que le retour de balancier a déjà eu lieu aux USA.
Gageons que les RPC de 2021 sur le THM redonneront aux nouveaux prescripteurs des raisons d’aider les femmes et d’améliorer leur santé autant qu’on se préoccupe de celle des hommes, avant que l’industrie pharmaceutique ne se désengage de ce marché peu rentable (c’est déjà le cas de certains patchs).
Enfin je garde l’espoir d’un réveil de femmes courageuses, informées et confiantes, prêtes à relever le défi de leur santé en se laissant aider par des médecins progressistes comme l’ont fait leurs mères et leurs grand-mères quand fut mise sur le marché la « pilule » une des révolutions majeures dans l’émancipation féminine du XXème siècle.
Brigitte LETOMBE, Paris, 75008
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