Souvenons-nous.
François Mitterrand était Président de la République. Pierre Bérégovoy était Premier ministre. Bernard Kouchner, ministre de la Santé, Michel Sapin, ministre de l’Economie et du Budget.
Après une série d’affaires mettant en cause les relations entre les industriels et les professionnels de santé, une loi dite DMOS (loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 portant Diverses Mesures d’Ordre Sociales) était votée.
Ce n’était (presque) que le début.
Plusieurs textes postérieurs viendront modifier le dispositif.
Mais déjà, la loi DMOS avait introduit un article ambitieux et fort posant une prohibition de principe : « Est interdit le fait, pour les membres des professions médicales [ndlr : on pense d’abord aux médecins], de recevoir des avantages en nature ou en espèces, de façon directe ou indirecte, procurés par des entreprises assurant des prestations, produisant ou commercialisant des produits pris en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale. »1
Près de 30 ans plus tard, chacun parle encore de « la loi DMOS », vite qualifiée de loi « anti-cadeaux ». Cette loi Bérégovoy de 1993 ambitionnait de moraliser un secteur de la santé bénéficiant des largesses de l’industrie.
Elle est venue compléter un dispositif déjà existant interdisant certaines pratiques et certains avantages.
La déontologie médicale n’était pas absente même s’il n’est pas toujours aisé d’y porter une juste appréciation avec notre regard de 2021. « Toutefois, l’alinéa précédent ne s’applique pas aux avantages prévus par conventions passées entre les membres de ces professions médicales et des entreprises, dès lors que ces conventions ont pour objet explicite et but réel des activités de recherche ou d’évaluation scientifique, qu’elles sont, avant leur mise en application, soumises pour avis au conseil départemental de l’ordre des médecins et notifiées, lorsque les activités de recherche ou d’évaluation sont effectuées, même partiellement, dans un établissement de santé au responsable de l’établissement, et que les rémunérations ne sont pas calculées de manière proportionnelle au nombre de prestations ou produits prescrits, commercialisés ou assurés. »
Au fond, chacun comprend le principe : les deniers de l’assurance maladie ne doivent pas servir à financer les voyages, restaurants et loisirs des professionnels de santé, ni à générer des comportements – prescriptions notamment- qui se détourneraient des exigences de la qualité des soins.
Ce cadre anti-cadeaux, nous le savons, a encore évolué vers plus de règles et de moralité, depuis 1993.
L’Industrie participait très largement aux échanges scientifiques et finançait quasiment sans limite les congrès, la formation médicale et l’ensemble des frais liés au déplacement de chaque professionnel de santé (transport, hébergement, restauration). Parfois avec des activités annexes financées. Certains industriels organisaient des pratiques aujourd’hui incompréhensibles (ex : versement d’argent au lancement d’un produit).
Entre ces extrêmes (d’une part, financement de véritables formations professionnelles ou d’échanges scientifiques et d’autre part, pratiques inacceptables), se trouvait toute une série de situations « entre deux » : larges dons aux associations professionnelles loi 1901 – notamment de FMC – séminaire médical à caractère touristique, financement d’études de phase IV, financement de matériel ou d’équipement médical laissé sur place après les études, etc.
Après avoir d’abord apprécié les services rendus par l’Industrie, notre société a davantage porté son regard sur le revers de la médaille : l’achat de prescriptions, qui plus est, aux frais de la Princesse, la Sécurité Sociale.
La loi DMOS aurait-elle contribué à jeter l’opprobre ? à généraliser un esprit de suspicion sur les acteurs de la santé ?
Un encadrement moins strict des relations avec les industriels présentait bien des avantages (le terme est aussi ici utilisé au sens commun) notamment en termes d’échanges scientifiques.
L’industrie pharmaceutique jouissait d’une certaine aura, en France notamment et n’avait pas tendance à être systématiquement suspectée de pratiques contraires à l’intérêt public et à la santé individuelle. L’argent coulait à flot.
La confiance entre professionnels de la santé et industrie était à son apogée, entretenue grâce à des rencontres fréquentes et à des échanges sur les prises en charges et sur les travaux de chacun. Les professionnels de santé et l’industrie n’étaient pas a priori présumés suspects.
De fait, dès la mise en œuvre de la loi DMOS, les pratiques ont évolué.
Les laboratoires, prompts à respecter la loi, en ont eu une interprétation restrictive.
Puis progressivement, les règles se sont rigidifiées et bureaucratisées sous couvert de garanties apportées à la qualité des soins et au bon usage des deniers de l’assurance maladie.
L’enfer est pavé de bonnes intentions.
Ces règles actuelles semblent parfois portées par un dessein inachevé entre la lutte anti-corruption et la chasse aux sorcières. Elle laissent un goût amer de suspicion porté sur les acteurs de la santé. Le système n’a malheureusement pas encore trouvé la voie de l’équilibre en posant un cadre garant de la confiance, indispensable à la qualité des soins.
CHANGEMENT DE REGARD
Tirons quelques traits presque grossiers.
Elle est aujourd’hui un simple instrument.
Le « bon médecin » d’alors fréquentait les congrès médicaux et de nombreux confrères, se formait largement le soir après son travail, invité par l’Industrie. Le « bon médecin » d’aujourd’hui peut se dispenser de congrès. Il doit d’abord être indépendant, et pour l’être vraiment, il doit se garder de (tout/trop de) liens avec l’Industrie.
Ce changement paradigmatique participe de la grande inversion de notre époque avec de nouvelles préoccupations colorées et porteuses d’une nouvelle éthique. A l’instar de la procréation médicalement assistée qui ne nécessite(rait) plus de père, ce qui était moralement ou éthiquement inacceptable devient non seulement possible, mais constitue la règle et inversement.
Suite au prochain numéro sur les règles applicables concernant l’interdiction d’avantages.
Thierry Casagrande, Avocat
Référence :
1. Art. L. 365-1 alinéa 1 du Code de la santé publique. C’est l’article 47 de la loi n° 93-121 du 27 janvier
1993 portant diverses mesures d’ordre social, qui crée l’article L.365-1.
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