L’infection par le coronavirus a profondément désorganisé la prise en charge des patientes notamment lors de la première vague du printemps 2020. Travaillant dans un CHU, nous avons accueilli de nombreux malades atteints par la COVID ce qui a amené à annuler et à reculer un certain nombre d’interventions chirurgicales en raison de la transformation des salles de réveil en salles de réanimation : annulation et report des interventions pour lésions bénignes ou à risque, annulation des reconstructions mammaires, report des interventions pour carcinome canalaire in situ et dans un nombre de cas limités, proposition de se faire opérer dans d’autres structures moins concernées initialement par la COVID comme les Centres de lutte contre le cancer. Nous avons dû également modifier nos prises en charge, proposer de débuter des traitements par hormonothérapie première ou par chimiothérapie première chez des patientes que nous aurions autrement opérées d’emblée, adaptation des protocoles de chimiothérapie, recours fréquent à l’hospitalisation à domicile, pseudo-consultations par téléphone…
Les équipes ont été désorganisées : déjà par la contamination, c’était l’époque où nos autorités nous expliquaient que les masques ne servaient à rien et qu’en dehors des personnels d’accueils nous n’en avions pas besoin. Dès mi-mars 2020 plusieurs médecins, infirmières et aides-soignantes ont été contaminés et ont dû s’arrêter augmentant ainsi la charge de travail de leurs collègues. Nous avons également renforcé les secteurs COVID+ qui avaient besoin de bras.
Parallèlement le dépistage et le suivi radiologique se sont arrêtés avec un arrêt complet des mammographies de dépistage tant dans le cadre du dépistage organisé que dans le cadre du dépistage sur prescription individuelle, avec une fermeture de l’ensemble des structures pendant environ 3 mois et une reprise lente de l’activité radiologique courant mai 2020. La deuxième vague a eu moins d’impact avec cependant une diminution de l’activité radiologique au mois d’octobre 2020 et nous n’avons pas rattrapé l’activité des années antérieures. On note une diminution des activités radiologiques interventionnelles (microbiopsies, macrobiopsies…) Le dépistage organisé était déjà mal en point sur Paris avec une participation parmi les plus faibles de l’hexagone, il va falloir espérer que cet épisode ne casse pas complètement cette dynamique. Un certain nombre de femmes en ont « profité » pour ne pas effectuer de dépistage, heureuses de ne pas aller au-devant des soucis… D’autres avaient peur d’aller à l’hôpital, dans les structures de soins en général et d’y attraper la COVID.
Les consultations par téléphone ont permis de garder un lien mais elles ne remplacent pas l’examenclinique, on a observé quelques patientes avec notamment des rechutes axillaires dont le diagnostic a été différé en raison de cet absence d’examen. On a eu l’impression de voir davantage de tumeurs localement avancées, des études chiffrées sont cependant difficiles à mener.
Une méta-analyse publiée en 2020 et regroupant 1 272 681 patients atteints de différents cancers a montré qu’un retard de 4 semaines dans la détection d’un cancer était associé à une augmentation de la mortalité d’environ 6-8 %. Concernant le cancer du sein un délai de 8 semaines pour la chirurgie serait associé à une augmentation de la mortalité de 17% et un délai de 12 semaines augmenterait le risque de 26%. Les auteurs évoquent qu’un délai de 12 semaines pour toutes les patientes ayant un diagnostic de cancer du sein sur une période d’un an en Grande Bretagne seraient responsables d’un excès de 1400 décès.
(Timothy P Hanna et al BMJ 2020;371:m4087 http://dx.doi.org/10.1136/bmj.m4087)
Il est donc important de ne pas trop différer nos prises en charge et de ne pas « sacrifier » les femmes atteintes d’une pathologie mammaire, de sensibiliser les femmes à la reprise du dépistage, et de tous nous motiver pour la vaccination à condition d’avoir accès aux vaccins et ainsi de pouvoir le proposer à nos patientes, notamment en cours de chimiothérapie. Ce qui n’était pas le cas début mars 2021
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts envers cet article.
Marc Espié Centre des Maladies du Sein, Hôpital Saint-Louis, Paris
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