HPV EN GYNĒCOLOGIE, NOUVELLES PRATIQUES EN MARCHE
2020 est l’année du remboursement du test HPV.
Est-ce un grand progrès selon vous et pourquoi ? C’est un progrès parce que le test nous permet d’évoluer vers un dépistage plus ciblé qu’il ne l’était jusqu’à présent. En effet le recours au frottis, un outil dont on dispose depuis plus de 70 ans, a permis de réduire considérablement le nombre de cancers du col mais s’est révélé après plusieurs années d’exploitation assez imparfait. Il ne permettait pas d’isoler les personnes vraiment à risque et débouchait sur un dépistage un peu grossier pour toutes les femmes avec le même rythme.
De robustes données scientifiques basées sur l’utilisation du test HPV comme outil de dépistage primaire indiquent qu’il représente 10 à 12% des femmes de plus de 30 ans, de concentrer les efforts de dépistage sur cette population à risque et donc de libérer en toute sécurité la population non à risque d’un dépistage trop rapproché. D’une part, le test HPV permet d’abord et avant tout de libérer 88 à 90% des femmes de plus de 30 ans d’un dépistage trop rapproché comme on le faisait jusqu’à présent avec la cytologie. Aujourd’hui les preuves sont suffisantes et assez solides pour dire que lorsqu’une femme est HPV négative après l’âge de 30 ans, le risque pour qu’elle développe un cancer et le risque d’un précancer est très faible dans l’intervalle de 3 à 5 ans. C’est ce qui permet donc d’espacer de 5 ans les dépistages en toute sécurité comme le proposent les recommandations actuelles de la HAS.
Tous les 5 ans après un test HPV négatif : ce délai est-il de toute sécurité ?
Il est vrai que certaines femmes peuvent être un peu en marge. On observe à peu près 2% de tests HPV négatifs (qualifiables de « faux négatifs ») chez des femmes ayant des pathologies à risque non détectées par le test soit pour des raisons d’échantillonnage soit pour des raisons de technique utilisée.
Par ailleurs, après un test HPV négatif, on ne sera plus en dépistage de routine pour certaines catégories de patientes pour lesquelles l’intervalle du dépistage HPV à 5 ans n’est pas applicable. D’abord les femmes symptomatiques c’est-à-dire celles présentant des métrorragies provoquées et chez qui même si le test HPV est négatif, il est nécessaire de réaliser une colposcopie. Les femmes ayant eu des dépistages antérieurs très espacés ou pas de dépistage du tout ne peuvent pas être dépistées à 5 ans. Par exemple, si une patiente de 40 ans, n’ayant jamais eu de dépistage de sa vie, présente un test HPV négatif, il ne faudra pas conclure que parce qu’elle est HPV négative à l’instant t, qu’elle peut être reconvoquée dans 5 ans. Cette patiente doit être soit testée à nouveau pour confirmer la négativité du test HPV soit ré-explorée d’une autre façon. Il y a aussi les patientes avec des antécédents de lésions de haut grade traitées qui sont également à risque et il est établi que lorsqu’elles sont HPV négatives dans le cadre de leur suivi, elles sont testées HPV tous les 3 ans et non tous les 5 ans. Enfin, les femmes immunodéprimées sont également à risque et une vigilance particulière même en cas de test HPV négatif à un instant t sera de mise.
Et si cette femme HPV est exposée dans un délai inférieur à 5 ans ?
La question d’une nouvelle exposition à l’HPV durant les 5 ans qui séparent 2 tests HPV négatifs peut se poser. En réalité, l’histoire naturelle des infections HPV fait que lorsqu’on est exposée à un HPV dit « à risque », il faut encore un certain délai pour que des lésions précurseurs apparaissent. Ce délai varie en fonction de l’âge entre 2 et 5 ans voire 8 ans et on a donc le temps de les rattraper au dépistage suivant.
Que faire en présence d’un test HPV positif ?
Les patientes présentant un test HPV positif ne sont pas nécessairement à risque de pré-cancer pour plusieurs raisons. D’abord les tests que l’on utilise se présentent sous la forme de différentes trousses qui ne permettent pas toutes de distinguer les types d’HPV détectés. Par exemple, le risque du à un type 16, 33 ou 31 diffère d’une exposition à un type 66. Donc selon le type viral auquel la femme aura été exposée, elle sera plus à risque de développer une lésion précurseur. Si un test HPV est positif, cela n’indique pas avec certitude l’existence d’une lésion sous-jacente. Ce d’autant qu’un test HPV positif peut correspondre à une exposition très récente, où le virus est silencieux, ou à une exposition datant de quelques mois avec un virus toujours silencieux sans anomalie ou avec des anomalies mineures. Les anomalies à risque peuvent apparaître plusieurs mois ou années après l’exposition lorsqu’elles se révèlent. Une positivité virale n’est pas systématiquement associée à une lésion de haut grade. Cela signifie que la démarche qui vise à dépister avec un test HPV ne suffit pas, il faut encore se rapprocher le plus possible des patientes ayant des lésions et de préférence de haut grade. C’est la raison pour laquelle on ne doit pas se précipiter à explorer ces patientes testées HPV positives mais plutôt de les trier avec un test complémentaire. La France (recos HAS) a fait le choix d’un triage par la cytologie. Ce qui permet pour celles qui ont une cytologie positive d’orienter vers une colposcopie et pour celles qui ont une cytologie négative de les reconvoquer un an plus tard et réaliser un nouveau test HPV. Si le test HPV un an plus tard est toujours positif, ce qui pourrait témoigner d’une persistance virale, ces femmes sont envoyées en colposcopie pour exploration complémentaire.
Ainsi s’il n’y a pas de tri de la population HPV positive, on s’expose à inquiéter inutilement les patientes, à recourir abusivement à des colposcopies, à poser des sur-diagnostics et mettre en place des sur-traitements qui n’ont pas lieu d’être.
Cependant, il est vrai que l’approche du tri par le frottis si elle a fait la preuve sur de nombreuses études que la sensibilité et la spécificité pour les CIN HG est très satisfaisante, certaines nuances sont à souligner. En effet un test HPV positif un an après, sans confirmer une réelle persistance virale, peut orienter vers une colposcopie sans garantir qu’elle soit nécessaire et comme on ignore quel est le virus détecté il est impossible de conclure avec certitude à une persistance virale certaine.
L’absence de génotypage exact (exceptés 16 et 18) des HPV potentiellement oncogènes est-elle satisfaisante ?
Sur les 15 HPV étiquetés à haut risque qui touchent la sphère génitale, seulement 6 ou 7 sont associés à 90% des pré-cancers et des cancers. Si dans le résultat du test HPV, on dispose des génotypes et si on identifie un génotype qui appartient à ce groupe des « 6- 7 à risque », il faut redoubler de vigilance. En particulier la présence d’un HPV 16, représente un risque de 15 à 18% d’avoir une CIN3, c’est-à-dire près d’une femme sur 6. Dans ce cas, en disposant de l’information sur l’HPV 16 au départ, les américains recommandent de pratiquer une colposcopie sans faire de triage par la cytologie. Il est ainsi possible de stratifier le risque de CIN HG en fonction du génotype présent.
Ce nouveau remboursement va-t-il désormais modifier le comportement des médecins dans le dépistage ?
Nous sommes dans une phase de transition qui peut durer plusieurs mois ou années. Le frottis est instauré depuis de très nombreuses années, et je ne pense pas que tous les professionnels vont du jour au lendemain basculer du dépistage cytologique au dépistage virologique. Le dépistage virologique exige de la pédagogie et de l’information pour ne pas commettre d’erreur. Le dépistage cytologique était plus simple : en cas de frottis anormal, la colposcopie s’imposait. Le dépistage virologique impose des règles pour limiter ses effets délétères.
A mon sens, les praticiens vont prendre le temps de comprendre les algorithmes, l’histoire naturelle de la maladie et d’assimiler ce nouveau paradigme de dépistage basé sur le niveau de risque. Il va donc falloir encore un peu de temps et il n’est pas impossible durant cette période de transition que beaucoup de praticiens continuent à pratiquer le dépistage cytologique avec un recours additionnel au test HPV pouvant représenter un surcoût. Il faut aussi bien comprendre qu’il y avait un rituel lié au frottis : les patientes venaient consulter régulièrement leur gynécologue pour faire leur frottis. Beaucoup s’étonnent d’ailleurs qu’il n’est plus utile de pratiquer le frottis classique. Si un test HPV revient négatif, le praticien pourra rassurer sa patiente, espacer les tests de dépistage mais il poursuivra sa surveillance annuelle d’un point de vue général et gynécologique pour le suivi et le dépistage du cancer du sein, la contraception, ou tout autre motif de consultation. Les dépistages rapprochés pour cette population n’auront plus lieu d’être. Même si certaines pourraient être exposées durant les 5 ans à un virus à risque, le délai d’évolution en général long vers des lésions de haut grade permettra de les rattraper au test suivant. C’est un nouvel état d’esprit.
Ne pensez-vous pas qu’il y aura tout de même des « perdues de vue » après rappel pour test HPV positif ?
Si un test HPV revient positif, la cytologie permettra de sélectionner et de reconvoquer la patiente 1 an après en cas de cytologie négative pour refaire un test HPV. Une des alertes de cette démarche est qu’elle expose en effet, en particulier en pratique de ville, à des perdues de vue qui peuvent aller jusqu’à 30 à 50% des femmes. C’est pourquoi ce test HPV en dépistage primaire doit s’inscrire dans l’organisation plus globale du dépistage mis en place actuellement dans les territoires de façon à ce qu’il y ait un système de convocation systématique. Le dépistage espacé ou en 2 temps exige forcément la mise en place d’un système spécifique faisant intervenir les praticiens, les centres de gestion du dépistage organisé pour ne pas perdre de vue les patientes qui doivent revenir. C’est aussi un des enjeux critiques parce qu’un espacement trop important expose à une forme de relâchement qui pourrait conduire les femmes à revenir non pas après 5 ans mais encore plus tard.
Les guidelines ont beaucoup évolué. Quel est votre point de vue ?
Je pense que les recommandations sont utiles, elles peuvent être exploitées et c’est une bonne chose. Le dépistage HPV tel qu’il semble se mettre en place est l’aboutissement de plusieurs années d’effort. L’objectif maintenant est de mettre en œuvre ces recommandations dans les meilleures conditions. Ces guidelines vont certainement évoluer car l’approche de dépistage HPV sans prendre en compte les génotypes ne permet pas d’identifier précisément la population la plus à risque de lésions de haut grade. Chez les femmes HPV + en population générale, le risque de développer un CIN3 anormal est de 4%.
Avec la cytologie, le risque est de 0,5%. D’autres évolutions pourraient se profiler en fonction des résultats des études en cours. Si le test réalisé donne un résultat avec un génotype, une information additionnelle sur le risque pourrait orienter à réaliser une colposcopie d’emblée. Avec un résultat de test HPV en génotype et si un type 16 est identifié, le risque de développer un CIN3 est de 15 à 18%. C’est 4 fois plus qu’avec un test cocktail et cela permet de cibler un peu plus. Si un type 33 est détecté, le risque passe à 7%. D’autres pistes possibles sont encore en cours d’évaluation. L’identification de la protéine p16 est un autre axe. La difficulté avec la p16 aujourd’hui réside dans le fait que la détection est réalisée par l’œil humain, elle n’est pas automatisée et donc fragile avec une reproductibilité médiocre. L’évolution possible serait d’automatiser cette approche pour capitaliser sur le fait que la p16 sur le long cours donne une information assez précise sur le risque, de l’ordre de 15% à 20% dans la population générale. Une autre approche est la méthylation. Elle se manifeste lorsque le cycle cellulaire se perturbe. La méthylation a été associée à un risque de lésion de haut grade de l’ordre de 50%. Enfin le séquençage des génotypes HPV permet d’affiner ce risque et les études préliminaires montrent par exemple que sur les types 16, certains variants seraient moins actifs que d’autres et ce sera probablement la solution d’avenir.
Que pensez-vous de la vaccination universelle (filles & garçons) ?
Le premier aspect concerne le vaccin lui-même qui a évolué de 4 valences à 9 valences. Ce vaccin à 9 valences comporte les types 6, 11 pour protéger contre les condylomes acuminés, auxquels sont adjoints 7 valences de papillomavirus à risque qui représentent 88% des pré-cancers et des cancers. Auparavant on protégeait des pré-cancers du col à 60%, aujourd’hui on protège à 88%. On obtient ainsi une protection très forte qui est l’équivalent de celles contre les condylomes acuminés. En effet, les patients vaccinés ne font plus de condylomes acuminés parce que les types 6-11 sont associés à 90% de ces lésions. On élimine quasiment la maladie. De la même façon, la perspective est l’éradication sur le long terme des CIN hg et des cancers sous réserve d’une couverture vaccinale forte. L’avantage du vaccin à 9 valences est essentiellement sur le col parce que 40% des pré cancers et 30% des cancers sont induits par d’autres types viraux que le 16 et le 18.
A contrario, au niveau des pré-cancers/cancers anaux ou vulvaires où 85 à 90% des lésions cancéreuses sont associées à l’HPV 16, il n’y a pas de valeur ajoutée par rapport au précédent vaccin. Pour les cancers associés à l’HPV dont on sait aujourd’hui qu’ils représentent 30 à 50% de ces cancers, c’est le type 16 qui est dominant donc là non plus il n’y a pas d’impact par rapport au précédent vaccin.
Les recommandations sur la vaccination des jeunes filles : 11-13 ans pour la population cible idéale (schéma 2 doses), 14-19 ans révolus pour le rattrapage (schéma 3 doses). La couverture vaccinale était de 27-28% juste avant la COVID et d’à peu près à 20% aujourd’hui. Cela est très insuffisant pour mesurer plus tard un impact sur la santé publique. L’idée de vacciner le garçon repose sur 2 arguments.
Le premier consiste à dire que comme les jeunes filles sont peu vaccinées, il est possible de limiter la circulation du virus en vaccinant le garçon, ceci n’ayant de sens que si le garçon a une couverture vaccinale significative. Le deuxième point c’est que le garçon est moins immunisé naturellement que la fille. Par ailleurs l’infection par le HPV perdure la vie durant de manière constante alors que chez la jeune fille les infections HPV diminuent avec l’âge. Le garçon continue à être contaminant toute la vie quand la jeune fille a une prévalence qui diminue avec l’âge. Le troisième point c’est que chez le garçon il existe des pathologies propres en particulier le condylome acuminé, les pré cancers et cancers anaux dont la prévalence est très élevée chez les homosexuels et les immunodéprimés. Au global on enregistre chaque année en France 6 500 cancers HPV induits hommes et femmes confondus et l’homme rassemble ¼ de ces cancers.
Comment motiver les français face à leurs réticences légendaires de la vaccination ?
C’est un sujet complexe. Je pense que la responsabilité relève d’abord des professionnels. Lorsqu’une perte de confiance est constatée cela peut être lié au fait que certains professionnels ne sont pas convaincus ou sont parasités par des informations infondées. Un certain nombre d’entre eux n’ont pas mesuré l’impact que pouvait avoir cette vaccination, probablement parce qu’ils ne voient pas les maladies ou leurs conséquences. Il reste encore un travail important de pédagogie, de formation à déployer auprès des professionnels.
Du côté de la population, il faudra poursuivre les efforts pour expliquer les enjeux de cette vaccination : quelle protection cela va apporter aux enfants d’aujourd’hui et quel impact à l’âge adulte. D’ailleurs les mamans les plus motivées sont celles qui ont été concernées par des traitements. Il faut continuer à rassurer sur l’innocuité des vaccins parce qu‘il y a eu beaucoup de parasitage et beaucoup d’informations infondées qui ont circulé et qui ont été prises pour argent comptant quand la littérature scientifique va tout à fait dans l’autre sens. Il faut noter également l’importance du timing. Le meilleur moment pour vacciner se situe entre 11 et 13 ans révolus. Vers 14-19 ans, c’est encore un bon moment de rattrapage qu’il faut exploiter. Quand on dépasse ces âges-là, la vaccination peut protéger à titre individuel mais son impact en termes de santé publique est faible.
On observe une augmentation des cancers oro-pharyngés et anaux dans les 2 sexes, comment les prévenir davantage ?
Cette augmentation est démontrée aux États-Unis et il n’y a pas de raison de penser que ce soit différent dans les autres pays qui ont les mêmes comportements sexuels. Les cancers oropharyngés induits par l’HPV représentent 60 voire 70% du total dans les études aux États-Unis, en France ce serait de l’ordre de 30-40%. Ces cancers surviennent pour 2/3 chez les hommes, 1/3 chez les femmes et ce sont des cancers où malheureusement il n’y a pas de dépistage. Le seul moyen efficace de bloquer le processus c’est la vaccination. Aucun essai clinique d’envergure n’est mené dans cette indication du vaccin car pour réaliser un essai sur ces cancers qui apparaissent chez les hommes de plus de 50 ans, il faudrait les suivre sur 35 ans au moins. Néanmoins les arguments sont suffisamment robustes pour indiquer que cette protection est très probable.
Aux États-Unis, l’indication de la vaccination comme prévention des cancers oropharyngés HPV-induits est admise. C’est un sujet important, les gynécologues n’y sont pas confrontés directement mais en France près de 1600 cancers oropharyngés HPV-induits surviennent chaque année.
Concernant l’impact de la vaccination, la démonstration de l’efficacité du vaccin en vie réelle a été faite avec plus de 300 millions de doses distribuées. Lorsqu’une une couverture vaccinale importante est atteinte, les condylomes acuminés sont quasiment éradiqués, les infections HPV sont réduites d’environ 70%, les pré-cancers sont réduits de l’ordre de 60 à 70% chez les jeunes filles avec le vaccin quadrivalent. Jusqu’à présent l’impact de la vaccination sur les cancers du col n’avait pas été mesuré. Une étude récente menée en Suède démontre, dans de très larges populations, une diminution du cancer invasif du col de 88% chez les sujets vaccinés avant l’âge de 17 ans comparé aux jeunes femmes non vaccinées de moins de 30 ans. C’est la première démonstration de l’impact du vaccin HPV sur le cancer invasif du col.
L’auteur déclare les liens d’intérêt suivants : JM a coordonné les essais cliniques des vaccins HPV et évalué l’intérêt clinique de certains test HPV
DR JOSEPH MONSONEGO
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