Le dépistage du cancer du col de l’utérus en France aujourd’hui
Le principal objectif du dépistage du cancer du col de l’utérus est de pouvoir diagnostiquer les lésions précancéreuses dont le traitement évite l’évolution vers le cancer. Ce dépistage doit s’inscrire dans une politique plus large de prévention où interviennent à la fois les progrès technologiques avec l’émergence de nouveaux outils de dépistage et aussi bien sûr la vaccination anti HPV. Le remplacement du frottis par le test HPV a été récemment recommandé par la Haute autorité de Santé pour les femmesâgées de plus de 30 ans. L’organisation du dépistage au niveau national semble être un préalable à ce changement d’outils de dépistage qui requiert des procédures de triage indispensables.
Partout dans le monde l’absence de dépistage constitue le facteur de risque majeur de cancer du col de l’utérus. Dans les pays développés cette absence ou insuffisance est le plus souvent observée chez les femmes âgées de plus de 50
ans ou issues de milieux socio-économiques défavorisés.
L’outil de dépistage doit obéir à un certain nombre d’impératifs : innocuité totale, réalisation simple et reproductible, faible coût et fiabilité en termes de sensibilité, spécificité et valeurs prédictives. La sensibilité d’un test est fondamentale en cancérologie afin de limiter les faux négatifs du test potentiellement graves pour un individu, mais à l’inverse la spécificité est requise pour un dépistage de masse afin d’éviter les explorations diagnostiques dispendieuses et anxiogènes voire les sur-traitements en cas de test faussement positif.
Les recommandations françaises confirmées en 2010 par la Haute Autorité de Santé (HAS) préconisaient un dépistage par frottis cervical chez toutes les femmes ayant eu des rapports sexuels, à partir de 25 ans et jusqu’à 65 ans basé sur un frottis prélevé tous les 3 ans après deux frottis normaux à un an d’intervalle. Les nouvelles recommandations annoncées par l’HAS en juillet 2019 préconisent le remplacement du frottis par la recherche du génome des HPV (papillomavirus humain) oncogènes (test HPV) a été recommandé par l’HAS en juillet 2019 chez les femmes de plus de 30 ans, tout en maintenant un dépistage par frottis chez les femmes âgées de 25 à 29 ans1. Ce changement intervient dans le contexte de généralisation du dépistage organisé à toute la France.
Nous présenterons ici quelques données d’actualité concernant à la fois la généralisation de l’organisation du dépistage en France et le remplacement du frottis, outil habituel du dépistage, par la recherche du génome des HPV oncogènes pour les tranches d’âges entre 30 et 65 ans. Nous analyserons également très brièvement l’adaptation des modalités de dépistage pour les femmes vaccinées contre l’infection HPV tout en sachant qu’il s’agit de perspectives d’avenir à la fois plus lointaines et surtout largement tributaires de la couverture vaccinale.
Situation actuelle en France
Actuellement on estime en France le nombre de nouveaux cas annuels de cancers invasifs du col à 3 000 et celui des décès à 1 000. Il s’agit de la deuxième cause de mortalité par cancer chez les femmes âgées de moins de 45 ans2. Parallèlement on constate en France, comme dans de nombreux autres pays, une augmentation de l’incidence des lésions précancéreuses3,4. L’exposition des femmes à un risque accru d’infection HPV, lié à l’évolution des comportements sexuels pourrait en être une des causes principales. Différentes études rétrospectives des antécédents de dépistage cytologique de patientes traitées pour un cancer du col de l’utérus indiquent qu’entre 60 et 70% d’entre elles n’avaient jamais eu de frottis ou que très occasionnellement avec un dernier frottis remontant à plus de trois ans avant la découverte du cancer.
L’organisation du dépistage du cancer du col de l’utérus
Les experts de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et du Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) s’accordent pour dire que le meilleur remède à cette faible participation est l’organisation avec un système d’invitation des femmes. En France, l’arrêté du 4 mai 2018 prévoit la généralisation à l’échelle nationale du dépistage organisé du cancer du col de l’utérus5. Sa mise en œuvre est fondée sur un système d’invitations/ relances des femmes n’ayant pas participé spontanément au dépistage dans les 3 dernières années, un suivi de l’ensemble des femmes dont le test de dépistage est positif (qu’elles aient participé spontanément ou qu’elles aient été invitées par courrier à participer au dépistage).
L’analyse du frottis sera prise en charge à 100%, c’est-à-dire gratuite, pour les femmes invitées. La généralisation du dépistage organisé à l’échelle nationale a pour objectif d’atteindre un taux de couverture dans la population cible de 80 %, tout en facilitant l’accès au dépistage des populations vulnérables ou les plus éloignées du système de santé. Notons que cet objectif a été atteint dans une campagne pilote menée en Alsace6 qui réduit le nombre de cancers diagnostiqués et de décès liés à ces cancers de 16,1 % et 19,5 % respectivement par rapport au dépistage individuel avec un coût annuel de 1,05 € par femme à dépister soit 22 700 € par année de vie sauvée 7.
Le changement d’outil pour ce dépistage
• Justification du test HPV
L’infection HPV représente le facteur nécessaire mais non suffisant dans la genèse des CIN et du cancer du col utérin. Le remplacement du frottis par la recherche du génome des HPV oncogènes (test HPV) a été recommandé par l’HAS en juillet 2019 chez les femmes de plus de 30 ans car la sensibilité pour le dépistage primaire des lésions précancéreuses et cancéreuses du col de l’utérus est significativement supérieure, bien que la spécificité soit significativement plus faible. Le dépistage des femmes âgées de 25 à 30 ans reste basé sur l’utilisation du frottis 1.
La sensibilité généralement supérieure à 95% et la valeur prédictive négative proche de 100 % confèrent aux patientes âgées de plus de 30 ans avec un test HPV une protection vis-à-vis des CIN2+ environ deux fois plus longue que celle associée au frottis normal. L’espacement optimal entre deux tests HPV semble de ce fait pouvoir être porté à au moins 5 ans. Cette stratégie apparaît la plus coût efficace selon une modélisation mathématique menée sous l’égide de l’INCa 8.
Le centre national de référence (CNR) des HPV publie une liste à jour des milieux liquides validés pour la recherche d’ADN HPV et des trousses compatibles pour ce dépistage. Les critères de validation clinique des tests HPV utilisés sur des prélèvements réalisés par des cliniciens ont fait l’objet de recommandations reconnues à l’échelle internationale 9.
• Signification d’un test HPV positif
Afin de bien comprendre la signification d’un test HPV positif et surtout les modalités de prise en charge des résultats, il convient de rappeler ici quelques bases concernant l’infection HPV. L’infection HPV est le témoin d’une activité sexuelle. Elle survient précocement après le début des premiers rapports sexuels. La transmission de l’HPV se fait principalement par contact direct entre peau et muqueuses lors des rapports sexuels avec un taux de contamination estimé en moyenne à 40% [5 à 100%] au cours d’un rapport sexuel et une période d’incubation en moyenne de 3 mois mais pouvant s’étendre jusqu’à 10 ans 10, 11. La contagiosité très élevée de l’infection à papillomavirus a été confirmée par des travaux basés sur la concordance des phénotypes viraux entre partenaires sexuels. Le facteur principal d’infection HPV est le nombre de partenaires sexuels au cours de la vie, et, comme corollaire, la précocité du début de l’activité sexuelle. L’infection HPV est l’infection virale sexuellement transmissible, la plus fréquente. On estime qu’environ 70% des femmes sexuellement actives rencontreront un HPV de type oncogène (hr HPV) lors de leur vie et que 90% de ces infections virales guérissent spontanément au bout de 3 ans 12. Cette clairance virale est influencée par l’ancienneté de
l’infection, le tabagisme, et le statut immunitaire du sujet.
Le risque de développement des lésions de haut grade chez une patiente infectée par HPV et la rapidité d’évolution dépend de nombreux facteurs à la fois liés à l’HPV (type, charge virale ….) et à l’hôte.
Par exemple le risque de survenue d’une lésion CIN 3+ à trois ans en cas d’infection persistante d’HPV 16 est de 30,5 % alors qu’il n’est que de 6,23 % en cas de persistance d’HPV à haut risque non 16-18 13. Les délais de développement du cancer à partir des CIN 3 varient en moyenne entre 5 et 20 ans, mais des évolutions plus rapides sont régulièrement rapportées. Ces durées d’évolution moyennes concordent avec les observations épidémiologiques qui permettent de constater des écarts de 10 à 20 ans, entre le pic d’incidence des CIN 2-3, et celui des cancers invasifs.
• Les recommandations de prise en charge des tests HPV positifs
Dans les toutes nouvelles recommandations de l’HAS, les algorithmes de prises en charges des femmes HPV positives tenant compte de la moins bonne spécificité de ce test de dépistage reposent sur un triage cytologique afin de réduire les sur-diagnostics et sur-traitements 1.
La valeur prédictive positive du test HPV, de l’ordre de 30 à 40 %, s’explique par le fait que la majorité des infections à HPV sont transitoires, et sans aucune conséquence clinique pour les patientes. De ce fait, un triage pertinent doit être fait avant le recours à la colposcopie. La stratégie de triage la mieux documentée est l’examen cytologique (au seuil ASC-US pour atypie épidermoïde de signification indéterminée). La cytologie anormale (ASC-US+) requiert une colposcopie à l’inverse une cytologie normale nécessite un suivi avec un test HPV 12 mois plus tard. Si le test HPV de contrôle à un an est positif, une colposcopie doit être faite ; si le test HPV de contrôle à un an est négatif, un nouveau test HPV de dépistage doit être proposé 5 ans plus tard. Dans le cadre de l’organisation qui se met parallèlement en place, les centres régionaux du dépistage organisé du cancer du col de l’utérus devront être en capacité d’aider les professionnels de santé pour promouvoir cette mise en œuvre conformément aux recommandations. Compte tenu de la spécificité plus faible du test HPV par rapport au frottis nous restons persuadés que la mise en place d’une organisation efficace reste un préalable indispensable. À ce jour tous les pays (Pays Bas, Australie, Nouvelle Zélande…) dans lesquels le test HPV a été introduit en dépistage primaire disposaient d’une organisation du dépistage déjà ancienne et pleinement effective.
• Le dépistage par auto-prélèvement
Le test HPV peut être fait à partir d’un autoprélèvement avec une bonne fiabilité pour le dépistage des lésions CIN2+. Pour faire participer les femmes qui échappent encore au dépistage, l’auto-prélèvement constitue une démarche qui permet de vaincre deux des principaux freins: la réticence vis-à-vis de l’examen gynécologique et les problèmes matériels d’accès aux structures de dépistage (coût, démographie médicale, accessibilité « géographique »). Il reste à évaluer la compliance des patientes pour le suivi gynécologique en cas de résultats positifs et pour la répétition des tests négatifs tous les 5 ans. Il est en effet primordial que les femmes ayant un test HPV+ sur un auto-prélèvement soient orientées vers un clinicien pour la réalisation d’un examen cytologique de triage 14.
L’AVENIR LOINTAIN CONCERNE L’ADAPTATION DU DÉPISTAGE POUR LES FEMMES VACCINÉES
Grâce à leur complémentarité, le dépistage et la vaccination mis en œuvre de façon optimale devraient aboutir à une réduction du risque individuel de cancer du col de l’ordre de 97–99 % 15. Une étude populationnelle menée en Suède a montré une diminution de 88% (66%-100%) du taux d’incidence des cancers du col chez les femmes âgées de 10 à 3 ans qui avaient été vaccinées par Gardasil® avant l’âge de 17 ans 16.
En France, treize ans après l’introduction et le remboursement de cette vaccination la couverture vaccinale reste faible et totalement insuffisante. Les derniers taux cumulés de vaccinations complètes à l’âge de 16 ans concerne l’année 2018 et ne dépassent pas 25 % 17. Tablant sur une augmentation sensible de la couverture vaccinale dans les prochaines années, il convient dès maintenant de s’interroger sur les modalités optimales du dépistage à mettre en œuvre tant en termes d’outils, de cible, de fréquence et d’organisation.
Il faut par conséquent anticiper pour les jeunes femmes qui auront été vaccinées (avant l’infection par HPV) à la fois une diminution plus importante de la prévalence des HPV 16 ou 18 et une diminution également plus importante de celle qui correspondrait à une authentique infection persistante et non pas un simple portage transitoire lié à une contamination sexuelle récente.
L’élimination des génotypes 16 et 18 par la vaccination des jeunes filles va considérablement diminuer le potentiel évolutif des lésions qui ne seront plus qu’associées aux HPV non vaccinaux. La progression en cancer sera moins fréquente et le délai pour aboutir à une invasion sera significativement plus long. Une adaptation des modalités du dépistage avec un début plus tardif et une périodicité moindre est proposée dans les pays où la couverture vaccinale est élevée.
CONCLUSION
Le dépistage organisé assure à la fois une sécurité augmentée et une meilleure équité pour les patientes, une baisse des coûts pour la société, et une aide précieuse pour les professionnels de santé pour la prise en charge recommandée des anomalies. Cette organisation est un préalable au dépistage par test HPV qui requiert des procédures de triage indispensables. En France, la couverture vaccinale est dramatiquement faible et ne permet à ce stade ni de modifier la stratégie de dépistage, ni d’espérer la disparition du cancer du col de l’utérus. Dans d’autres pays la couverture vaccinale élevée permet d’envisager un dépistage avec un début plus tardif et une périodicité moindre.
L’auteur ne déclare pas de liens d’intérêt
J.-J. Baldauf 1,2, L. Lecointre 1, J. C. Stoll1, E. Faller1, T. Boisrame 1, C-Y. Akladios 1,2
1Département de Gynécologie et d’Obstétrique ; Hôpital de Hautepierre ; Hôpitaux Universitaires de Strasbourg
2 EA3181, Université de Franche-Comté, Université Bourgogne Franche-Comté, Besançon
RÉFÉRENCES
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