David Elia, rédacteur en chef de Genesis, fait le point des progrès vécus par les gynécologues et évoque les défis à venir pour cette spécialité.
Quelles sont les avancées les plus importantes en gynécologie ces dix dernières années ?
Le vaccin HPV, bivalent ou quadrivalent en 2005 et 2006 et, plus récemment, la version nonavalente constitue une avancée majeure, car il s’agit d’un défi absolu au cancer du col
causé par les papillomavirus qui tuent 3000 Françaises par an. Sont aussi concernés le cancer de l’anus, moins connu : le risque est en croissance importante chez les femmes, et les cancers ORL : des amygdales, langue, bouche. Deux cancers non détectables, pour lesquels aucun dépistage n’existe. Autant il est possible de détecter le cancer du col de l’utérus via le frottis et le test HPV, autant il n’existe rien pour les cancers de l’anus et ORL.
Ces virus causent d’importants dégâts, tuant les individus ou les laissant dans des conditions de qualité de vie déplorables. Je regrette qu’il y ait si peu de praticiens français favorables à la vaccination HPV, car seules 22 % des femmes sont vaccinées alors que l’objectif est de 60 %. Dans certains pays – Angleterre et Allemagne par exemple – 80 % des femmes sont vaccinées. En Australie, toutes les filles sont vaccinées et la vaccination des garçons est en cours. Heureusement que la Ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a fait avancer les choses en imposant la vaccination obligatoire s’opposant de front contre le lobby anti-vaccin qui on le sait est florissant dans notre pays. Une autre innovation, l’arrivée d’Esmya®, acétate d’ulipristal, médicament qui module les récepteurs de la progestérone et permet pour la première fois de traiter les fibromes dont 15 à 20 % d’entre eux vont générer des menorragies
considérables, altérant la qualité de vie et contraignant à des hystérectomies chez la femme de 45 à 50 ans qui va ainsi « perdre son utérus », voire ses ovaires. Or, les ovaires ne périclitent pas pas à la ménopause et, s’ils ne produisent plus de progestérone, d’oestrogènes et d’ovules, ils continuent de produire des androgènes, hormone mâle dont on sait l’importance pour le tonus et la sexualité des femmes. Jusque-là, il n’y avait pas de traitement médical des fibromes, nous prescrivions de la progestérone à posologies suffisantes pour tarir les saignements, mais ne résolvant pas son potentiel de croissance éventuel. La prise d’Esmya® par voie orale fait cesser les saignements en une semaine et diminue le volume de ces fibromes.
Si ce médicament présente une avancée majeure, il a généré de façon réellement exceptionnelle chez certaines femmes une insuffisance hépatique parfois grave puisque des patientes
ont dû être transplantées et certaines ont décédé. Après un moratoire ayant suspendu sa commercialisation, l’EMA (European Medicines Agency) a autorisé à nouveau sa prescription mais en exigeant un contrôle systématique des enzymes hépatiques des patientes toutes les 4 semaines.
Quels sont les plus gros défis que la gynécologie doit relever à l’avenir ?
Il y a de moins en moins de gynécologues médicaux, profession en voie d’extinction. Ces quinze dernières années, peu de gynécologues médicaux ont été formés en raison de la disparition du diplôme. Le diplôme ressuscité ensuite n’aura pas suffi à pérenniser la profession.
En parallèle, les sages-femmes ont vu leurs prérogatives augmenter : prescription de la contraception, dépistage, échographie, pose d’un stérilet et IVG médicamenteuse. Des gynécologues « en herbe » qui n’ont pas toute la formation nécessaire pour connaître les pathologies et qui, de fait, doivent orienter les patientes vers un gynécologue si pathologie suspectée ou avérée. Elles sont quelques milliers à s’être installées en cabinet libéral. Un des plus gros challenges des années à venir sera de former cette profession qui pourrait réellement remplacer les gynécologue. C’est mon souhait et cela passera par une extension du nombre des années d’études.
L’intelligence artificielle, appliquée à la gynécologie, permettra à la patiente de saisir un certain nombre de données et de procéder elle-même au diagnostic, de voir les traitements proposés. Bien évidemment, le médecin va changer de rôle. Il devra vérifier la cohérence du diagnostic, le traitement… La communication orale est importante dans notre culture humaine : le médecin annonce, explique, écoute, compatit, conseille… Néanmoins, nous ne serons pas les premiers impactés puisque les radiologues et les dermatologistes expérimenteront en premier lieu la réalité de la place du médecin. Ce dernier devra accepter que ce nouvel outil vienne bouleverser sa façon d’exercer son métier et… savoir rebondir pour faire de la médecine de meilleure qualité.
J’espère aussi que cessera très vite la mise au pilori des experts et des « sachants » que l’on observe un peu partout, notamment sur les réseaux sociaux. Les avancées ayant donné plus de libertés aux femmes (Loi Veil, contraception, traitement de la ménopause) sont actuellement battues en brèche, les femmes privilégiant le retour « à la nature ». Il faut retrouver la confiance aux « sachants », faire en sorte que les réseaux sociaux, les forums ne soient pas le vecteur d’information privilégié des patientes. Le « gynéco bashing » très actuel doit cesser, les relations entre médecins et patientes étant basées sur un respect mutuel et confiance. Par ailleurs, je regrette que certains sujets de santé publique par exemple l’ostéoporose n’intéressent plus personne. Ni les laboratoires, ni les autorités, alors qu’il serait utile de relancer la prévention de certaines pathologies.
La pratique des gynécologues a-t-elle beaucoup évolué ?
Oui, beaucoup. Nous voyons bien qu’au fil des recommandations et quelles que soient les pathologies, les pratiques évoluent à une vitesse folle.
La gestion des maladies telles par exemple que les dysplasies du col et cancer du col enregistrent ainsi des avancées rapides ces vingt dernières années. On ne les traite plus du tout de la même manière. Les sociétés savantes de gynécologie, l’ANSM (ex-AFSSAPS), la HAS ont bien travaillé en publiant des référentiels destinés aux médecins.
Et il est certain que les pratiques existantes aujourd’hui soient devenues obsolètes dans 20 ans, ainsi va la vie !
La gynécologie va-t-elle pouvoir bénéficier de la digitalisation de la société au travers de l’intelligence artificielle ?
Elle existe déjà au travers de la digitalisation des dossiers médicaux, des communications entre médecins via des applications dédiées et de la téléconsultation qui va révolutionner les pratiques, le travail des médecins, notamment la façon dont ceux-ci s’occupent du patient puisque l’examen n’est pas systématiquement nécessaire à chaque consultation. Dans quelques années, les médecins ne feront plus la même chose que nous lorsque nous recevons des patientes.
L’intelligence artificielle aura quelques difficultés à se mettre en route mais elle va devenir un outil très prisé en raison du nombre décroissant de médecins.
Quelle est votre ambition pour les prochains numéros de GENESIS ?
L’industrie pharmaceutique, qui a traditionnellement aidé à la formation des médecins en finançant des stands sur les congrès ou en leur offrant leur presse, se désengage progressivement. Nous sommes dans une période de mutation. Il faut que les médecins acceptent de payer leurs publications. La plupart des revues ont disparu ou traversent des difficultés financières croissantes. GENESIS persiste, le nombre de numéros annuel a diminué, mais la revue tient toujours la route car elle a toujours plu et fait envie aux annonceurs. Il reste quelques congrès, mais les laboratoires ont, là encore, fait leur choix et privilégié ceux où il y a le plus de monde. S’ils disparaissent, il ne restera plus que les DPC et pourquoi pas le mode de formation qui a vraiment l’air de s’organiser et qui devrait perdurer.
Selon vous, quel message porteront les prochaines générations de gynécologues ?
Je ne suis pas certain que les gynécologues portent un message si ce n’est celui de la prévention, du dépistage du cancer du col de l’utérus, du cancer du sein et des ovaires et de la vaccination contre le HPV. J’espère qu’ils ne s’enfermeront pas dans une indifférence les uns vis-à-vis des autres. Actuellement, les gynécologues vivent assez mal ce qui se dit sur eux, sur leurs pratiques et l’on entend peu ou pas sur ce sujet les très nombreuses femmes qui en sont pourtant satisfaites depuis des années. Il faut que cette relation de confiance existante entre praticien et patiente perdure pour le médecin bien sûr mais surtout pour les femmes.
La gynécologie est-elle encore une spécialité qui suscite des vocations ?
Tout d’abord, 80% des gynécologues ou plus sont des femmes et elles ont un grand appétit de savoir comment fonctionnent leurs corps. Je pense que cette spécialité continuera toujours de leur plaire. Aujourd’hui, la spécialité de Gynécologue/obstétricien se développe beaucoup au détriment de la gynécologie médicale et, dans le futur, cette dernière sera sans doute – c’est mon avis – assurée par les sages-femmes qui auront étendu leurs champs de compétence. Les gynécologues médicaux deviendront alors les experts à consulter en dernier recours.
C’est un métier passionnant : nous sommes acteurs de la reproduction humaine dans tous ses aspects : nous l’inhibons, nous la facilitons, nous l’interrompons, nous l’accompagnons …
Oui les femmes ont vraiment besoin d’un médecin à part entière, car le « système » de la reproduction est si sophistiqué qu’il connaît de multiples mini-pannes de la puberté à la post ménopause La profession n’est donc pas près de disparaître. Cela dit il n’est pas exclu – et cela existe bien sur déjà – que les médecins généralistes deviennent aussi leurs médecins de confiance après en avoir acquis la compétence en suivant un D.U de Gynécologie : bienvenus au sein de cette spécialité pas comme les autres et si passionnante.
Propos recueillis par Nathalie Bastide
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts pour cet article.
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