Le risque cardio-vasculaire de la femme est impacté par l’action des oestrogènes et des progestatifs, notamment, lors de la prise de contraception orale, lors de la grossesse et à la ménopause. Le point avec un cardiologue.
Selon vous, les pathologies cardio-vasculaires de la femme existent-elles ? Si oui, quelles sont leurs particularités ?
Aujourd’hui, nous pouvons parler de gynécardiologie, la cardiologie des femmes. Celles-ci sont très impactées par leur statut hormonal :
- Lors de la prise d’une contraception combinée avec oestrogène de synthèse.
- Quand elles sont enceintes, état qui entraîne un état prothrombotique avec une insulino-résistance renforcée.
- Lors de la ménopause.
Ce statut hormonal va impacter la maladie artérielle et le métabolisme des glucides et lipides. Autrefois, les symptômes de la maladie ont été étudiés sur des cohortes masculines. Or la maladie des femmes, tant sur le plan de l’anatomie que des symptômes, est très différente.
Selon vous, la pilule oestroprogestative expose-t-elle à un sur-risque cardiovasculaire ?
La pilule oestroprogestative expose les femmes qui ont une maladie génétique de la coagulation et qui l’ignoraient jusque-là, à un sur-risque cardiovasculaire. Elle provoque des phlébites et des embolies pulmonaires, mode de révélation de ce trouble de l’hémostase.
Sur des femmes présentant des contre-indications, un risque artériel et un risque veineux coexistent. Le risque veineux apparaît lors de la première année de la prise de contraception (effet starter). Il est lié :
- aux oestrogènes de synthèse et au type de progestatif qui lui est associé ;
- au tabagisme ;
- au surpoids et à l’obésité ;
- au fait d’être diabétique compliqué ;
- aux migraines avec aura qui constituent aussi une contre-indication à la prescription d’une contraception combinée.
Le risque veineux, de phlébite et d’embolie concerne toutes les contraceptions avec éthinyloestradiol. Il dépend du type et de la dose d’oestrogène, du type et de la dose de progestatif, ceci quelle que soit la voie d’administration : orale, anneau vaginal ou patch, ce dernier se différenciant de l’anneau à base d’oestrogènes naturels administrés au moment de la ménopause. L’éthinyloestradiol, oestrogène de synthèse, pour être actif, doit passer par le foie, ce qui active la coagulation et active le métabolisme lipidique. Le risque dépend également de l’âge : après 35 ans il est majoré, après 40 ans le type de contraception doit être impérativement revu.
Concernant les progestatifs purs, il n’y a aucune contre-indication, hormis pour les progestatifs injectables que l’on donne principalement en milieu psychiatrique, qui favorisent l’hypertension et la rétention hydrosodée. Le risque artériel est dix fois moins important que le risque veineux et n’existe quasiment pas si les contre-indications sont bien respectées. Il dépend de la dose, mais pas du type de progestatif dans les 3 cas suivants :
- les femmes de plus de 35 ans qui fument énormément ;
- la femme migraineuse avec aura ;
- la femme ayant déjà eu un accident artériel.
Le risque spontané d’infarctus, qui est de 2,2 à 30 ans est multiplié par 10 pour les fumeuses. Il est de 7 à 40 ans atteignant les 60 pour les fumeuses. Ajoutons que l’association pilule-tabac est une des premières causes d’AVC de la femme jeune. Elle multiplie par 6 le risque d’AVC, l’association migraine-contraception le multiplie par 9 et l’association tabac-pilule-migraine par 34. En France, les contraceptions qui contiennent de l’éthinyloestradiol exposent à un risque veineux et artériel.
Le plus important est de bien tenir compte de l’ensemble des contre-indications lors de la prescription.
La ménopause est-elle un facteur de protection artérielle ?
C’est l’inverse, le fait d’être ménopausée constitue un facteur de sur-risque cardio-vasculaire qui apparait significatif dans les 5 ans qui suivent l’arrêt complet des règles. Les femmes sont ménopausées dès le moment où elles ont souvent vécu une année sans règles avec souvent des symptômes climatériques tels que les bouffées de chaleur, l’irritabilité, les douleurs articulaires ou encore les troubles du sommeil révélateurs d’une carence en oestrogènes.
Et pour les femmes qui bénéficient d’un stérilet Mirena®, le retrait du stérilet au diagnostic de ménopause ou un dosage sont nécessaires.
Le syndrome métabolique précédant l’arrêt des règles entraîne une prise de poids sournoise suivie d’un syndrome vasculaire. En effet, les artères vont se rigidifier progressivement, la couche de cellules endothéliales tapissant l’intérieur des artères va se mettre en stress oxydatif, rigidifiant et hypertrophiant celles-ci avec, en parallèle, un métabolisme lipidique défavorable, une glycémie élevée qui favorisent le développement de la maladie athéromateuse.
Cette prise de poids est de type androïde, avec une localisation au niveau de l’abdomen. Cette graisse abdominale est toxique car les adipocytes sont des organes endocrines propres qui vont sécréter des facteurs d’inflammation et privilégier le métabolisme lipidique défavorable : hypertriglycéridémie, le HDL bas, le LDL élevé.
Quelle est l’influence du traitement hormonal de la ménopause sur le risque cardiovasculaire ?
Le schéma de traitement français a été impacté par la WHI 1 qui concernait des femmes non représentatives de la population française, ménopausées depuis au moins 10 ans, obèses et diabétiques, présentant déjà des risques vasculaires. Nous savons aujourd’hui qu’il ne faut surtout pas prescrire de traitement hormonal à cette catégorie de femmes.
L’analyse en sous-groupe des femmes plus jeunes, en périménopause, âgées de moins de 60 ans (période qualifiée de « fenêtre d’intervention »), a montré qu’un traitement par voie orale avec des progestatifs particuliers (non prescrits en France), avait un effet neutre sur le risque d’accident neuro cardiovasculaire, et que le sur-risque de cancer du sein n’était pas nettement significatif. Depuis, des études prospectives, en ouvert, non randomisées 2, ont été réalisées. Elles démontrent qu’il n’y avait pas de sur-risque et qu’apparemment les femmes étaient protégées. Néanmoins, une controverse entre « pro-traitement » et « anti-traitement » subsiste.
Le schéma français reposant sur la prescription d’oestrogènes par voie transdermique avec progestérone naturelle ou rétroprogestérone n’entraîne pas de sur-risque de thrombose ou de cancer et aurait même un effet protecteur sur le cancer colorectal selon plusieurs études menées en ouvert et métaanalyses.
Après 65 ans, les femmes ayant bénéficié du traitement auront un endothélium imprégné par les oestrogènes par voie externe (moins efficace que la voie orale), et une prise de poids limitée, elles garderont un profil lipidique favorable. L’étude Swan 3 sur les bouffées vasomotrices associées à un sur-risque d’accident coronaire démontre que le traitement est bénéfique. En termes de recommandations, le NICE 4 ainsi que les recommandations du Consensus International de la ménopause 5 font bien la part des choses.
Une hygiène de vie saine chez la femme est la meilleure des protections, elle comprend :
- l’activité physique régulière,
- la lutte contre la sédentarité,
- la limitation des apports en sel,
- l’arrêt du tabac.
Le risque d’infarctus du myocarde augmente-t-il chez la femme jeune ?
Il faut faire attention à ce que l’on dit. C’est la proportion de femmes jeunes prise en charge pour un infarctus du myocarde qui augmente. Chez celles-ci, nous pouvons expliquer l’infarctus essentiellement par l’exposition au tabagisme et par l’environnement de la patiente : plus de sédentarité et d’obésité. La maladie cardiovasculaire est une maladie de l’environnement avec une part de génétique. Mais, en valeur absolue par deux mais « plus de trois fois plus » (c’est dans le même BEH mars 2016) nombre total d’infarctus, il y a toujours plus de 3 fois plus d’infarctus chez les hommes que chez les femmes, mais la proportion de femmes jeunes (de moins de 50 ans) augmente de 5 % par an depuis les 10 dernières années. Une tendance également constatée dans la BPCO et le cancer pulmonaire.
Est-il toujours vrai que les études réalisées en cardiologie le sont plus sur des hommes ?
Les essais cliniques et thérapeutiques français intègrent 30 % de femmes. À titre de comparaison, aux États-Unis, le programme Go Red de l’American Heart Association permet de financer des programmes entièrement dédiés aux femmes. En Europe, grâce au soutien du Pr Angela HEM, les choses bougent, de plus en plus de fonds européens sont dédiés à des programmes centrés sur les femmes.
La Fédération française de Cardiologie a prévu et financé plusieurs études, dont un score de risque dédiés aux femmes de la cohorte E3N, programme d’un montant de 600 000 euros ayant démarré en septembre 2017. L’objectif est de démontrer que les scores de risque, notamment le score européen ou le score de Framingham, ne sont pas adaptés aux femmes, car il n’est pas tenu compte de leur statut hormonal et de leurs risques spécifiques.
Une autre étude, dénommée BACCARAT , toujours en cours, évalue si la radiothérapie du sein, telle que pratiquée aujourd’hui, induit une toxicité cardiaque. Enfin, une étude des registres français post MONICA porte sur la prescription post-infarctus incomplète chez la femme. En effet, les femmes sortent avec moins de statines, moins de bêtabloquants après un infarctus, des inhibiteurs de l’enzyme de conversion qui ne sont pas prescrits aux doses thérapeutiques nécessaires.
Croyez-vous que la communication sur le risque cardio-vasculaire chez la femme soit suffisante ? Le gynécologue doit-il s’investir davantage ?
De gros efforts ont été faits et nous avons été très aidés par les médias. Un manifeste a été signé avec l’Association des journalistes médicaux (AJMED), de nombreux passages médiatiques assurés et des émissions dédiées. Au final, nous avons réussi à sensibiliser la population. Les femmes ont compris qu’elles pouvaient être touchées par les maladies cardio-vasculaires. Depuis, elles viennent en consultation avec une lettre de leur médecin traitant demandant un bilan cardio-vasculaire.
Les gynécologues constituent un maillon fort. Des campagnes d’information et des supports de communication soutenus par nos partenaires leur sont destinés. Ils sont depuis, beaucoup plus réceptifs à la thématique que les cardiologues eux-mêmes, notamment les plus jeunes. D’ailleurs, la plupart des patientes reçues en consultation pour réaliser un bilan sont envoyées par des gynécologues.
À Lille, nous travaillons actuellement avec l’Institut Coeur Poumon du CHU. Dans le cadre du parcours de soins Coeur-Artère-Femme -parcours gynécardiologique de la femme- une fiche cardio-vasculaire avec alerte rouge est mise à disposition des gynécologues afin que les patientes soient renvoyées très tôt en cardiologie. Toute situation à risque hormonal est détectée. Les professionnels doivent être en alerte sur les symptômes leur permettant d’aller plus loin dans les explorations cardio-vasculaires. À l’inverse, nous orientons les patientes chez le gynécologue notamment en cas de rupture du suivi gynécologique.
Actuellement, la Fédération Française de Cardiologie soutient une étude multicentrique WAMIF avec la Société Française de Cardiologie (Dr Stéphane Manzo, coordinatrice) sur l’infarctus chez la femme de moins de 50 ans ). Elle dispose aussi d’une Commission « Coeur de femmes » composée de gynécologues, cardiologues, anesthésistes au fait des plus récentes informations liées à la prise en charge globale de la patiente. Tous les professionnels de santé en lien avec les femmes et notamment les plus précaires ou éloignées des soins doivent être sensibilisés : pharmaciens, médecins du travail, centre de santé, médecins en PMI.
Propos recueillis par Nathalie Bastide
Le professeur Claire Mounier-Vehier déclare ne pas avoir de liens d’intérêts pour cet article
RÉFÉRENCES
1. Risks and benefits of Estrogen Plus Progestin in Healthy Postmenopausal Women : Principal Results From the Women’s Health Initiative Randomized Controlled Trial, Journal of American Medical Association, Vol 288, N°3, 2002
2. Schierbeck LL et coll; Effect of HRT onCV events in recently postmenopausal women :a randomised trial. BMJ oct 2012
3. Chung HF, Pandeya N, Dobson A, Kuh D, Brunner E, Crawford S, Avis N, Gold EB, Mitchell E, Woods NF, Bromberger J, Thurston R, Joffe H, Yoshizawa T, Anderson D, Mishra G, The role of sleep difficulties in the vasomotor menopausal symptoms and depressed mood relationships: an international pooled analysis of eight studies in the InterLACE consortium Psychology of Medicine 2018:Psychological Medicine 0, 1–12
4. nice.org.uk/guidance/ng23
5. Consensus international sur la traitement de la menopause, Climacteric
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