Selon l’organe ou le risque considéré, les conséquences respectives de l’âge et de la ménopause sont soit indépendantes, soit synergiques ou additives soit antagonistes ce qui doit rendre prudent dans l’interprétation des études et la prévision des effets des thérapeutiques.
La ménopause survient en moyenne à l’âge de 51 ans et il est le plus souvent extrêmement difficile pour ce qui est de l’altération de l’état de santé après cet âge de faire la part entre, d’une part, ce qui revient aux conséquences à court ou long terme de la carence hormonale et, d’autre part, ce qui revient au vieillissement lié à des facteurs endogènes ou exogènes. Il est possible aussi que les manifestations de l’âge et de la ménopause aient des effets synergiques.
L’une des approches possibles pour faire la part des choses serait de comparer les manifestations cliniques de femmes ménopausées ou non :
• étudier les conséquences de l’insuffisance ovarienne prématurée : malheureusement celle-ci est quasiment toujours traitée quand cela est possible, et quand cela ne l’est pas, elle est plus souvent liée à une castration chimique provoquée par une pathologie lourde et les conséquences de cette pathologie interfèrent avec celles de la castration et les conséquences à long terme de la castration sont malheureusement souvent non observées.
• essayer de séparer les manifestations cliniques physiopathologiques et biologiques de la ménopause et du vieillissement et de voir d’une part si elles diffèrent.
D’autre part on peut tenter d’évaluer si la prise d’un traitement hormonal modifie l’évolution des manifestations. Si tel est le cas, au moins une partie d’entre elles sont liées à la carence hormonale, et dans le cas contraire les manifestations sont purement liées à l’âge ou au vieillissement exogène.
Le syndrome climatérique : de la post cinquantaine
Il est lié uniquement à la carence hormonale. En effet les manifestations classiques, à savoir bouffées de chaleur, sueurs nocturnes, douleurs diffuses et sécheresse vaginale sont inexistantes en cas de vieillissement tant que l’imprégnation hormonale persiste. Ces manifestations surviennent uniquement s’il y a eu une imprégnation hormonale préalable, quel que soit l’âge, et sont d’autant plus marquées que la carence est plus profonde, et n’apparaissent que si la carence est d’origine centrale. Leur durée peut être supérieure à vingt ans, même si elles semblent plus liées à la brutalité de l’apparition de la carence qu’à sa profondeur.
La modification de la fertilité
Elle est bien antérieure aux signes de carence hormonale, et nous avons là à faire très certainement à un effet lié à l’âge. La carence hormonale a simplement une origine commune au vieillissement ovarien. Par ailleurs la carence hormonale aggrave les troubles de la fertilité par un effet différent en jouant sur l’appareil génital lui-même et non pas sur la qualité de l’ovulation et la capacité de fertilisation des ovules.
Le système cardio-vasculaire
Il existe une origine mixte à l’apparition du risque cardio-vasculaire chez la femme : tout d’abord bien évidemment comme chez l’homme le vieillissement artériel avec l’apparition de facteurs de risque métaboliques associés a un effet direct du vieillissement. Cependant la carence hormonale est un facteur indépendant du risque coronarien comme le prouvent les études ayant comparé à âge égal le risque coronarien chez la femme ménopausée ou non. De plus l’augmentation par deux de la mortalité coronarienne de la femme ovariectomisée avant 45 ans en est la preuve. En corrigeant la carence hormonale par l’apport œstrogènes en postménopause immédiate diminue l’athérogénèse, même si celle-ci se développe ultérieurement dans sa composante liée à l’âge. Sur le plan biologique la ménopause s’accompagne d’anomalies du métabolisme lipidique tant hépatique qu’endothélial, qui sont différentes de celles observées lors du vieillissement, mais proches de celles observées lors des hyperlipémies génétiques. On est donc ici dans un système de synergie entre le vieillissement chronologique, le vieillissement génétique par anomalies métaboliques et le vieillissement hormonal. Si l’apport d’hormones en début de ménopause prévient l’augmentation de l’athérogénèse, en revanche à distance de la ménopause, lorsque les plaques d’athérome sont constituées, l’apport œstrogènes par voie orale a un effet de déclenchement d’accidents liés à des fissurations de plaques, et l’adjonction de progestatifs augmente les risques de thrombose. Cette augmentation paradoxale du risque coronarien lors de traitements hormonaux par voie orale ne permet pas d’exclure un rôle de la carence en œstrogènes dans le vieillissement artériel.
Le cerveau
Au niveau du cerveau, il existe une corrélation entre le risque de maladie d’Alzheimer et l’âge de la ménopause, une ménopause précoce multipliant par 8 le risque de démence. Il semble donc qu’il s’agisse là encore de phénomènes synergiques. Mais il est bien difficile dans les troubles cognitifs de séparer l’effet de l’âge, l’effet d’une démence de l’effet vasculaire. Quant à la preuve de l’effet préventif des œstrogènes, il existe des arguments pour penser que le traitement de la carence en œstrogènes ralentirait l’apparition des démences pourvu qu’il soit débuté avant 65 ans, mais aucune preuve clinique ne permet de l’affirmer de manière « basée sur les preuves » aujourd’hui du fait de la longueur des traitements nécessaires et des effets négatifs probablement d’origine artérielle, observés dans les grandes études d’intervention.
L’os
Pour ce qui est de l’os, l’âge comme la ménopause conduisent à une fragilité osseuse pathologique dénommée ostéoporose. La physiopathologie de l’ostéoporose liée à l’âge et de l’ostéoporose par carence en œstrogènes est fondamentalement différente. Le déficit osseux lié à la perte des œstrogènes est lié à une augmentation de la destruction osseuse par les ostéoclastes alors que le vieillissement est lui en rapport avec une diminution de l’activité ostéoblastique, à savoir de construction. Là encore nous sommes dans un système d’effet synergique mais cette fois totalement indépendant. In fine cet effet synergique explique la survenue plus précoce d’environ 10 ans de l’ostéoporose chez la femme, comparé à l’homme qui garde lui une sécrétion d’androgènes toute sa vie.
Le sein
Le cancer du sein est indéniablement une pathologie liée à l’âge. Son incidence augmente avec l’âge pour atteindre une acmé à environ 60 ans soit après 10 ans de carence hormonale. Il est semble-t-il paradoxal que l’augmentation du cancer du sein apparaisse alors que la femme est carencée depuis près de 10 ans et que l’apport d’hormones augmente le risque de cancer du sein. Toute la polémique et la difficulté d’interprétation de ces données paradoxales viennent d’une méconnaissance de l’histoire naturelle du cancer du sein. Celui-ci évolue sur une très longue durée avec des premières anomalies survenant plusieurs dizaines d’années avant que la maladie elle-même n’existe. Le cancer du sein est de ce fait lié à l’âge, d’où son apparition tardive dans la vie. Par ailleurs les traitements hormonaux contenant des progestatifs artificiels ont un effet prolifératif de tumeurs hormono dépendantes préexistantes, ce qui explique donc l’augmentation apparente du risque lors de la prise d’un traitement hormonal. Par ailleurs il n’est pas prouvé que cet effet prolifératif soit totalement lié aux stéroïdes eux-mêmes mais pourrait dépendre d’un effet indirect impliquant les facteurs de croissance comme l’insuline et l’IgF1. L’estradiol endogène ou exogène diminue ces facteurs de croissance (effet protecteur des œstrogènes seuls), la carence hormonale les augmente (effet négatif de la ménopause), les progestatifs artificiels les augmentent (effets négatifs de certains THM), les œstrogènes associés à la progestérone ou la rétro progestérone sont neutre sur ces facteurs de croissance.
L’évolution du morphotype
L’évolution du morphotype est indiscutablement liée à l’âge, avec dès 30 ans une augmentation du tour de taille, et de ce fait des risques métaboliques. Ceci survient alors même que la carence en œstrogènes est loin d’apparaître. Il semble par ailleurs que la ménopause soit un facteur aggravant de cette manifestation du vieillissement. Une des explications en vogue actuellement est qu’en réalité la modification du morphotype serait liée à un défi cit age dépendant d’un autre axe hormonal : l’axe somatotrope.
La ménopause aggrave ce déficit somatotrope, expliquant l’augmentation des modifications morphologiques liées à la ménopause qui viennent potentialiser les modifications liées à l’âge.
La peau
Il est bien connu que le vieillissement cutané est dépendant de l’âge d’une part, et d’autre part de toxiques exogènes comme le soleil ou le tabac. Il existe cependant de forts arguments pour penser que la carence en œstrogènes aggrave les phénomènes de vieillissement cutané, en particulier en diminuant la synthèse de collagène et d’acide hyaluronique qui viennent donc aggraver l’amincissement cutané et la baisse de la teneur en eau de la peau. Il est également probable que le vieillissement de la composante élastique de la peau majoritairement liée à l’âge soit aussi aggravé par la carence en œstrogènes.
Le système génito-urinaire
Là encore les implications sont complexes déficit musculaire lié à l’âge débutant à 30 ans aggravé par la ménopause mais aussi par les traumatismes obstétricaux, hypertonie vésicale d’origine inconnue mais aggravée par la carence en œstrogènes liée à la ménopause, effet peut être délétère de l’apport oral œstrogènes sur le muscle et enfin effet négatif de la diminution de l’activité sexuelle, diminution liée seulement en partie à la carence hormonale.
Pour conclure on peut dire que vieillissement, facteurs exogènes et ménopause ont soit des effets totalement indépendants, il s’agit par exemple du syndrome climatérique, soit des effets identiques mais additifs, comme les troubles coronariens, des troubles d’origines différentes mais synergique, citons l’effet osseux ou génito-urinaires et enfin des effets antagonistes comme les cancers du sein. Cette analyse doit nous conduire à beaucoup de modestie dans la prévision des effets de nos thérapeutiques sur tel ou tel symptômes. Elle doit aussi nous rendre prudent dans l’interprétation des études certes informatives comme WHI mais dont l’interprétation erronée a conduit à de graves effets négatifs.
Dr Christian JAMIN
L’ auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts pour cet article
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