La consultation pour ménorragie est une situation extrêmement fréquente et cependant moins codifiée qu’il n’y parait. De fait, de très nombreuses alternatives thérapeutiques sont apparues depuis 15 ans et ont conduit récemment à la rédaction de recommandations en Angleterre du National Institute for Health and Care Excellence (NICE) (1) ainsi que des recommandations pour la pratique clinique (RPC) en France sous l’égide du Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français (2).
Cette situation pose la problématique de la cohérence médicale car selon le professionnel consulté, la réponse thérapeutique est souvent variable.
Ainsi un(e) gynécologue médical(e) insistera probablement sur les traitements médicaux et leurs avantages en regard des risques d’une thérapeutique chirurgicale ; un chirurgien gynécologue s’orientera vers un traitement chirurgical souvent radical à savoir une hystérectomie trop souvent encore réalisée par laparotomie alors qu’un gynécologue spécialiste de l’hystéroscopie vantera les mérites du traitement conservateur.
Comment intégrer la patiente dans ce choix thérapeutique?
Les guidelines du NICE accordent deux chapitres à cette question. Le premier intitulé «Education and information provision» que l’on peut traduire par «Eclairage et mise à disposition de l’information» et un deuxième intitulé «Choice». La lecture détaillée de ces chapitres et des références citées est riche d’enseignements.
Les femmes, selon leur individualité, souhaitent des solutions différentes.
- Bourdrez (3) dans une étude Néerlandaise publiée en 2004 nous apprend que 85% des patientes présentant des ménorragies traitées par la pose d’un Mirena® préfèrent s’exposer à un risque d’échec thérapeutique de 50% plutôt que de subir une hystérectomie. 70% des patientes programmées pour une endométrectomie préfèrent cette solution à une hystérectomie même si là encore le risque d’échec doit être de 50%.
- A l’inverse 85% des patientes programmées pour une hystérectomie avaient choisi cette option parce qu’elles voulaient une solution radicale à leur problème de saignements.
- Dans une autre étude concernant les patientes ayant optées pour une embolisation des artères utérines, Nevadunsky aux Etats-Unis nous apprend que 39% de ces patientes considèrent l’utérus comme une source de féminité et que 58% des patientes considéraient que sa conservation participe au maintien de l’image d’elles-mêmes et de leur sexualité (4).
Nous ne les informons pas assez
Les patientes sont très désireuses d’informations et une étude anglaise de 1998 montre que seules 44 % des femmes traitées pour ménorragies se considéraient bien informées. (5)
Plus récemment un article autour de l’hystérectomie pose la question de savoir à quelle décision chirurgicale les patientes devaient participer et comment. (6)
Dans cette étude portant sur les réponses à un questionnaire postal, les réponses positives sur l’obtention de l’information allaient de 24 à 75% suivant les aspects considérés (conservation ou non du col – voie d’abord chirurgicale). Le corollaire est que 26 à 65% des patientes considéraient avoir eu une information insuffisante en fonction des différents points évoqués et que par ailleurs aucune des patientes ne considérait avoir eu trop d’information.
Enfin Garrud nous démontre qu’une information précise sur les risques chirurgicaux n’augmente pas l’anxiété des patientes. (7)
La décision médicale doit être partagée
Les patientes veulent donc une information claire, facile à comprendre mais surtout une décision médicale partagée.
En 2006, Longo comparait trois types de consultations réalisées par 20 médecins généralistes sur 4 types de pathologies chroniques dont des ménorragies et des symptômes post ménopausiques. (8)
Ces médecins devaient d’abord réaliser 240 consultations sur un modèle standard. La moitié d’entre eux ont ensuite été formés à la communication sur les risques, l’autre moitié à la décision médicale partagée et ont alors à nouveau réalisé 240 consultations. Puis ces médecins ont ensuite reçu la formation qu’ils n’avaient pas encore reçue (soit communication des risques, soit décision médicale partagée) et ont alors réalisé 120 consultations.
Un questionnaire adressé ensuite aux patientes nous apprend principalement deux choses. Tout d’abord, les points les plus importants pour les patientes sont d’avoir un praticien à l’écoute et une information facile à comprendre.
De plus une consultation avec un médecin formé à la DMP (décision médicale partagée) augmente l’importance accordée par les patientes à la faculté d’écoute de leur médecin alors qu’une consultation avec un médecin formé à la communication du risque diminue l’importance accordée par la patiente à la facilité de compréhension de l’information.
C’est-à-dire qu’une fois que les médecins ont été formés à la communication du risque, obtenir une information facile à comprendre devient moins prioritaire pour les patientes qui veulent désormais plutôt une décision médicale partagée.
Cette participation de la patiente à la décision est donc pour le NICE une question éthique. Cela permet aux patientes de retirer le bénéfice maximum du traitement proposé puisqu’il a le plus de chance de répondre à leurs attentes et par voie de conséquence, d’améliorer les taux de satisfaction ainsi que l’adhésion au traitement. De plus, il améliore l’autonomie de la patiente et sa capacité à se prendre en charge.
Une revue systématique sur les supports d’aide à la décision montre que ceux-ci augmentent la connaissance des patientes en moyenne de 18,75% et diminue de 9% les conflits décisionnels liés aux manques d’informations. (1) Cependant ceci ne modifie pas les résultats en termes de satisfaction, d’anxiété ou de morbidité.
Le fascicule du NICE
Ce petit fascicule propose tout d’abord neuf questions à poser à son médecin :
- S’il-vous-plait, donnez-moi davantage de détails à propos des examens nécessaires.
- Quels sont les délais pour obtenir ces examens et leurs résultats?
- S’il-vous-plait, expliquez-moi pourquoi vous avez décidé de me proposer plus particulièrement ce traitement.
- Quels sont les avantages et les inconvénients de ce traitement ?
- Comment ce traitement va-t-il m’aider, quel effet va-t-il avoir sur mes symptômes et sur ma vie quotidienne ?
- Quelle amélioration dois-je en attendre ?
- Combien de temps cela va-t-il prendre avant que j’observe une différence ?
- Quels sont les risques liés à ce traitement ?
- Quelles sont les autres options au traitement que vous me recommandez, y a-t-il des documents écrits que je pourrais obtenir sur le traitement en question ?
(Tableaux 1 et 2)
Note : Les effets secondaires fréquents apparaissent dans 1 cas sur 100. Les effets secondaires rares apparaissent dans 1 cas sur 1000. Les effets secondaires exceptionnels ne sont pas notés ici.
Comparatif des traitements médicaux
De plus ce fascicule propose deux tableaux sur les alternatives thérapeutiques dont nous vous proposons ici une traduction. Ces tableaux tiennent compte des recommandations médicales en les classant en traitement à envisager dans un premier temps puis à envisager dans un second temps et enfin dans un troisième temps.
En outre les notions d’effets contraceptifs ou de préservation de la fertilité y ont une place importante.
Enfin les effets secondaires sont classés par ordre de fréquence : fréquents s’ils sont de l’ordre du pour cent, moins fréquents s’ils sont de l’ordre du pour mille, rares s’ils sont de l’ordre du pour dix mille et exceptionnels s’ils sont de l’ordre du pour cent mille.
Nous pensons que l’utilisation d’un tel outil devrait permettre d’améliorer la cohérence médicale et l’intégration des préférences des patientes dans le choix thérapeutique des ménorragies. Et ce qui peut apparaître comme consommateur de temps au départ, est en fait un gain qualitatif qui se traduira par un gain de temps certain en cas de complication ou de plainte, mais aussi tout simplement en cas d’échec thérapeutique.
Pierre Panel, Arnaud Le Tohic, Ludovic Friederich, Alix Naveau, Julien Niro et Emmanuel Bailly – Centre Hospitalier de Versailles
RÉFÉRENCES
1 . www.nice.org.uk/nicemedia/live/11002/30401.pdf ; consulté le 26/10/13
2. www.cngof.asso.fr/D_TELE/RPC_fibrome_2011.pdf ; consulté le 26/10/13
3. Bourdrez P., Marlies Y. Bongers M., Mol B. Treatment of dysfunctional uterine bleeding : patient preferences for endometrial ablation, a levonorgestrel-releasing intrauterine device, or hysterectomy. Fertil Steril 2004; 82; 160-66.
4. Nevadunsky N.S., Bachmann G.A., Nosher J., Yu T. Women’s decision- making determinants in choosing uterine artery embolization for symptomatic fibroids. J Repro Med. 2001; 46(10) : 870-4
5. Sculpher M.J., Dwyer N., Browning J., Horsley S., Cullimore J. A survey of women’s preferences regarding alternative surgical treatments for menorrhagia. Health Expect 1998 nov; 1(2) : 96-1005
6. Entwistle V., Williams B., Skea Z., MacLennan G., Bhattacharya S. Which surgical decisions should patients participate in and how ? Reflections on women’s recollections of discussions about variants of hysterectomy. Soc. Sci Med 2006 ; 62 : 499-509.
7. Garrud P., Wood M., Stainsky L. Impact of risk information in a patient education leaflet. Patient Ed and Counselling 2001; 43; 301-4.
8. Longo M.F., Cohen D.R., Hood K., Edwards A., Robling M., Elwyn G., Russel L.T. Involving patients in primary care consultations: assessing preferences using discrete choise experiments. Br J Gen Pract, 2006;56 : 35-41
Article paru dans le Genesis N°180 (septembre 2014)
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