Chef du service de gynécologie obstétrique au CHU de Nantes, le Pr Patrice Lopès plaide pour une information des femmes la plus transparente possible, sur le THM ou encore le papillomavirus. Entretien avec un homme de convictions passionné par son métier.
Pouvez-nous nous rappeler les étapes clés de votre carrière ?
J’ai commencé en 1973 comme interne des hôpitaux de Lille, où j’ai fait deux ans et demi de chirurgie viscérale. Durant la 2e année de mon internat, j’ai passé six mois à Strasbourg, dans le service d’obstétrique du Pr Gandar, une école de la rigueur toute «alsacienne» qui a formé mon esprit de décision en matière de comportement médical et de suivi des protocoles. Puis j’ai eu la chance d’aller à Paris dans le service du Pr Sureau, où j’ai cette fois-ci bénéficié d’une autre école obstétricale, proches des centres de réflexion et de recherche. Après ma thèse et six mois au Centre anti-cancéreux de Lille, j’ai été nommé, en 1979, chef de clinique à Nantes (où j’ai fait toute ma carrière), dans le service du Pr Lerat. Il m’a accueilli très chaleureusement, un peu comme un fils. J’ai ensuite été chef de service de 1988 à 2002, date à laquelle les deux services de gynécologie et d’obstétrique ont été regroupés en un seul et dont j’ai été renommé chef de service en 2014.
Vos centres d’intérêt sont variés…
Je suis chirurgien, j’adore la chirurgie gynécologique, l’endoscopie, mais je tiens également à la gynécologie médicale, et ce dans une approche multidisciplinaire. J’ai ainsi créé en 1990 le premier DIU de sexologie au niveau des 7 CHU de l’Ouest, avec le Dr François-Xavier Poudat, qui est psychiatre. Je me suis également intéressé assez tôt à la ménopause.
Vous présidez le Gemvi, Groupe d’étude sur la ménopause et le vieillissement hormonal…
Quels ont été les temps forts de son 5ème Congrès annuel, en novembre dernier à Nantes ?
Je citerai la prise en charge de la ménopause et le rappel de certains bénéfices du THM quand il est donné tôt après la ménopause pour la prise en charge du syndrome climatérique, la prévention probable des maladies cardiovasculaires si le traitement est précoce, et fondé sur la prise d’estrogènes par voie percutanée… Nous avons aussi discuté les recommandations de la HAS. Celles-ci ont en effet été réécrites par un groupe dont on ne connaît pas la composition, au nom du principe d’indépendance. Nous souhaitons au contraire, au sein du Gemvi, que les liens avec l’industrie pharmaceutique soient connus en toute transparence. La santé des femmes est au centre de nos préoccupations et nous avons des convictions. Nos liens avec l’industrie ne nous font pas perdre notre objectivité quand il s’agit de traiter et de faire de la prévention.
Y a-t-il toujours controverse aujourd’hui autour du THM et du risque cardiovasculaire ?
La controverse est toujours là. Je crois que la grande étude américaine WHI était biaisée et a trompé le monde médical dans la mesure où, s’il s’agit bien d’une étude scientifique épidémiologique prospective randomisée, elle a cependant été réalisée avec des progestatifs dont on sait qu’ils peuvent entraîner le plus de risques et d’effets secondaires (voie orale, initiation du traitement chez des femmes de plus de 60 ans…).
Quelles en sont les conséquences ?
Il faut bien reconnaître qu’actuellement, très peu de femmes débutent le traitement : 8 à 12 % seulement contre 30 à 40 % avant 2002. Il nous semble que toute une génération de femmes est ainsi sacrifiée. N’ayantpu bénéficier de ce traitement, elles auront des risques accrus, en particulier de fractures. D’un autre côté, nous prenons en compte les risques du THM, à mettre en balance avec ses bénéfices. Je pense en particulier aux risques du développement des cancers microscopiques qui n’auraient peut-être pas évolué sans traitement hormonal. Il faut donner cette information et nous la donnons sur le site du Gemvi. On estime par exemple qu’un cancer du sein pourrait être révélé chez environ 6 femmes pour 1 000 après 10 ans de THM. Le risque est donc très faible, il n’a d’ailleurs pas été validé pour toutes les hormones, puisqu’il est sans doute inférieur pour la progestérone naturelle ; en revanche, une étude de 2014 montre que celle-ci augmente légèrement le risque de cancer de l’endomètre après 5 ou 10 ans de traitement. On estime également que les œstrogènes peuvent entraîner une petite augmentation du risque de cancer de l’ovaire (1 cas sur 8 000 selon l’étude de Morch).
«Comme beaucoup d’équipes, nous avons à Nantes contribué au développement de la chirurgie la moins invasive possible par cœlioscopie (traitements de cancer, prélèvements ganglionnaires…). Je défends une chirurgie a minima adaptée à la femme»
Où en sont aujourd’hui la prévention et le dépistage des cancers gynécologiques ?
Au-delà de la ménopause, il s’agit là d’un domaine qui m’intéresse particulièrement. Je déplore que le dépistage des lésions du col utérin ne repose pas actuellement sur la recherche du papillomavirus. Le milieu gynécologique, sous prétexte de ne pas affoler les femmes porteuses du virus, préfère ne pas les informer. Or, le risque de transmission au partenaire est réel et peut occasionner des cancers (ORL). Cela pourrait à mon sens générer des risques de plaintes pour des personnes qui, plus tard, diront que l’on savait mais qu’on ne les a pas informées. C’est un vrai débat de fond. On doit informer d’autant plus que la vaccination anti-HPV devrait empêcher un grand nombre de cancers. La vaccination devrait à mon sens également intéresser les jeunes garçons entre 11 et 13 ans (comme cela se fait aux Etats-Unis, en Autriche ou en Australie), pour éviter la contamination éventuelle des jeunes filles et le développement chez les garçons de cancers du pénis ou de l’anus. D’ailleurs, le vaccin a depuis cette année l’AMM pour la prévention du cancer de l’anus, mais le Comité de vaccinations n’a pas encore statué sur le remboursement dans cette indication.
Par ailleurs, la moitié des femmes ne feraient pas de frottis du col de l’utérus…
Je dirais que 30 à 40 % des femmes n’ont pas de frottis, et c’est à déplorer. Mais une méta-analyse de 2014 montre que la recherche du virus est plus pertinente que le frottis.
Lors du congrès, une tableronde a notamment porté sur le dépistage et la prévention du cancer de l’ovaire en postménopause…
Il n’y a pas de dépistage généralisé applicable actuellement. L’échographie et les tests biologiques sont souvent insuffisants. Mais, et ce sera le dépistage de demain, il est très probable qu’on puisse détecter parprise de sang des mutations génétiques qui prédisposent au cancer de l’ovaire ou des cellules cancéreuses ovariennes en circulation, permettant un diagnostic précoce et améliorant les chances de survie. Le progrès viendra de là. On l’a vu récemment pour le cancer du poumon. C’est un thème de recherche que les équipes doivent développer.
Votre service a été le premier à utiliser la stérilisation par voie hystéroscopique, il y a plus de 10 ans. Où en est-on aujourd’hui ?
C’est un domaine qui a particulièrement marqué ma carrière. La stérilisation est en France sousemployée chez la femme, mais aussi chez l’homme. Depuis une vingtaine d’années, avec le Pr Lerat, nous nous sommes battus pour faire reconnaître la stérilisation comme une contraception définitive et pour éviter qu’elle soit considérée comme une atteinte à l’intégrité du corps humain (la fin des années 90 a été de ce point de vue un retour en arrière). La loi Aubry de juillet 2001 sur l’avortement a finalement intégré les deux articles permettant la stérilisation humaine, alors qu’entre 1995 et 2001, celle-ci pouvait relever du pénal. Le système Essure a été un deuxième combat à mener. La première étude française sur la stérilisation par hystéroscopie, sans anesthésie générale et en ambulatoire, a été réalisée à Nantes en 2000-2001. Suite au refus, en 1995, des anesthésistes d’intervenir au nom de la loi sur l’intégrité du corps humain, nous voulions en effet absolument qu’une méthode sans anesthésie puisse être proposée. Il se trouve que la loi Aubry est sortie juste à ce moment-là. Mais l’hystéroscopie rencontrait aussi des réticences de la part des organismes de santé et des politiques, qui ne voulaient pas rembourser le système Essure chez toutes les femmes de la même façon. Mais Marisol Touraine a permis, en 2012, que le remboursement de cette méthode soit acquis pour toutes les femmes dans le cadre de la loi du 4 juillet 2001. Depuis 2010, la voie hystéroscopique a dépassé la technique de stérilisation par cœlioscopie. Environ 35 000 à 40 000 personnes sont concernées en France. C’est encore insuffisant, compte tenu du fait que la pilule œstroprogestative après 40 ans entraîne une augmentation du risque thrombo-embolique ou de cancer du sein. La méthode Essure est alors une alternative à la pilule.
Propos recueillis par Dominique Magnien
BIOGRAPHIE
➔ Chef du service de gynécologie obstétrique au CHU de Nantes, Hôpital Mère Enfant.
➔ Professeur des universités depuis 1986.
➔ Directeur de l’enseignement de la sexologie pour les 7 CHU de l’Ouest.
➔ Président du Groupe d’étude sur la ménopause et le vieillissement hormonal (Gemvi).
➔ Description de l’état de dénervation neuromusculaire du myomètre en fin de grossesse (avec le Dr Alain Lhermitte) et du protocole court pour la fécondation in vitro, avec l’utilisation des analogues de la GNRH pour améliorer la stimulation ovarienne (1986, avec les Prs Charbonnel et Barrière).
➔ Auteur du Manuel de sexologie (avec le Dr François- Xavier Boudat, réédité en 2014) et du Guide pratique de la ménopause (avec le Dr Florence Trémollières, réédité en 2005).
Article paru dans le Genesis N°183 (mars/avril 2015)
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