Les propriétés biologiques et les mécanismes d’action des acides hyaluroniques sont de mieux en mieux définis et ouvrent la voie à une compréhension des échanges tissulaires et moléculaires dans le milieu extra- cellulaire. C’est la base de leur utilisation en injection pour corriger les troubles de la trophicité vulvo-vaginale.*
Que retenir du deuxième congrès mondial en gynécologie reconstructrice cosmétique et Esthétique qui vient d’avoir lieu ce mois de mai 2017 à Madrid ?
Plus de 50 orateurs venant d’Amérique du Nord, du Sud mais aussi d’Europe de l’Est, d’Israël, d’Egypte, du Liban et même de Taiwan ! et une toute petite représentation française pour un programme scientifique alléchant, avec une revue de toutes les techniques combinant gynécologie conventionnelle et nouvelles alternatives en restauration génitale : plasties des petites et grandes lèvres, reconstructions vulvo clitoridienne après mutilations ainsi que les techniques non-chirurgicales ou mini invasives s’intéressant aux corrections fonctionnelles et esthétiques vulvo-vaginales par lasers, radiofréquences, ultrasons focalisés… et puis bien sûr les différentes utilisations de produits injectables : toxines botuliques pour les traitements des vaginismes « réfractaires », plasma enrichi en plaquettes (PRP) pour une « régénération » tissulaire et muqueuse, les « infiltrations » de graisse seule ou associée à des vaginoplasties chirurgicales pour l’amélioration de la reconstruction fonctionnelle et plastique sans oublier évidement les injections d’acide hyaluronique pour le traitement des dysfonctions vulvo-vaginales et des syndromes génito-urinaires de la ménopause par des équipes espagnoles, argentines et françaises (of course !).
En périphérie de ce programme scientifique éclectique de nombreux « workshops » étaient organisés pour rappeler l’importance de l’industrie dans la mise à disposition de toutes ces technologies à l’origine d’une croissance exponentielle des indications thérapeutiques : SGUM, troubles de la tonicité vulvo-vaginale, prolapsus, incontinences urinaires, dysorgasmies, vaginisme, dyspareunies…
Sous ce chaud soleil Madrilène qui venait de voir dans le même temps la victoire du Real de Madrid en demi-finale de la ligue des champions et celle de Rafael NADAL en finale des masters 1000, j’ai senti le besoin irrésistible de « revenir aux fondamentaux », (langage rugbystique) pour mieux réfléchir sur les enjeux de ces nouveaux développements.
- Mécanismes d’action de l’acidehyaluronique
La compréhension des mécanismes d’action de l’Acide Hyaluronique pour son utilisation dans la sphère vulvo-vaginale m’a semblé être un exemple idéal de retour aux « sources » !
– Depuis la découverte en 1934 de l’acide hyaluronique par Meyer et Palmer1 dans l’humeur vitrée, son utilisation industrielle pour la première fois dix ans plus tard dans l’industrie alimentaire (en tant que substitut du blanc d’œuf dans la pâtisserie !) sa première application dans les procédures de chirurgie humaine oculaire en 1959 et à partir des années 80-85 son utilisation dans de nombreuses indications médicales et chirurgicales en rhumatologie, chirurgie viscérale, gastroentérologie, médecine esthétique et très récemment en gynécologie fonctionnelle et plastique: QUELLE EXTRAORDINAIRE ÉPOPÉE!!
– Les propriétés biologiques et les mécanismes d’action de l’acide hyaluronique (HA) ou plutôt des acides hyaluroniques encore appelés hyaluronan ou hyaluronate sont de mieux en mieux définis et ouvrent la voie à une compréhension complexe mais précise des échanges tissulaires et moléculaires dans le milieu extra cellulaire (MEC).
L’HA est un sucre naturel, sa structure chimique est faite d’un polymère pouvant contenir la répétition, jusqu’à 25000 fois, du monomère di saccharidique : N acè tyl – D glucosamine lié au D glucuronic acid, qui en fait le seul membre de la famille des glucoaminoglycanes (GAG) à être non sulfaté et sans noyau protéique. Cela lui permet de servir de matrice sur laquelle se fixent jusqu’à une centaine de chaines de proteoglycanes sulfates(2).
Ces structures supramoléculaires de taille considérable peuvent«entrapper»de larges quantités d’eau et d’ions pour maintenir l’hydratation et la turgescence des tissus.
In vivo l’HA est prédominant dans la matrice extra- cellulaire (ECM), il est synthétisé par une classe d’enzymes (Hyaluronan – synthetases : Has) situées à la face interne des membranes plasmatiques, qui permettent la constitution des chaines de polymères en additionnant les monomères de GAG et les extrudent vers le milieu extracellulaire.
Il existe trois isoformes de Hyaluronan synthétase : HAS1, HAS2 et HAS3, qui correspondent aux di érents emplacements géniques sur les chromosomes dédiés3,4,5.
Dans la biosynthèse de l’HA : HAS1 (la moins active) et HAS2 (la plus active durant le développement embryonnaire) sont à l’origine d’acides hyaluroniques de haut poids moléculaires avec de longues chaines ; HAS3 (la plus active chez l’adulte) permet la synthèse de courtes chaines de polymères d’HA à faibles poids moléculaires.
L’HA est dégradé par une famille de six di érentes enzymes appelées Hyaluronidases (HAases) qui vont hydrolyser les chaines d’HA en segments courts avec un turn over de la totalitéde l’HA corporel (environ 15g par individu) en 3 jours !6
Cette dégradation enzymatique est accélérée par la production de radicaux libres (ROS) dans tous les processus inflammatoires ainsi que dans le vieillissement7 .
Les fonctions biologiques des HA dépendent en grande partie de leurs poids moléculaires et par leurs interactions avec leurs récepteurs membranaires respectifs dont 12 sont actuellement identifiés : (CD44, RHAMM, ICAM-1, TRL-4, TSGG, GHAP, LYVE1…)7bis
– Les chaines longues sont les plus actives sur le maintien et l’intégrité de la structure tissulaire avec stimulation des fibroblastes et production de fibres de collagènes garantissant le maillage de la matrice.
Elles ont une activité antioxydante par la captation des radicaux libres et sont médiatrices dans les processus inflammatoires avec un rôle important dans la prolifération et la différenciation cellulaires8.
– Les chaines courtes : Hautement bioactives jouent un rôle essentiel sur la stimulation de l’angiogenèse avec la prolifération de l’endothélium cellulaire (EC) et l’ouverture de néovaisseaux par stimulation des facteurs proangiogéniques : Matrix métalloprotéinases (MMP), Vascular endothélial growth factor (VEGF), Vascular permeability factor (VPP) et Endothélial progenitor cells (EPCS)9,10.
- Perspectives
Si la compréhension du rôle de l’acide hyaluronique dans la captation et le maintien des molécules d’eau, de l’hydratation des tissus et de la conservation de l’intégrité de la matrice extracellulaire garant de la bonne santé tissulaire est largement établie, de nouveaux horizons s’ouvrent dans la compréhension des mécanismes de génération, captation et relargage de biomolécules nécessaires à la qualité d’oxygénation et de vascularisation tissulaire 10bis, 11,12.
L’évolution rapide des technologies permettront dans un futur proche d’utiliser les acides hyaluroniques comme des outils pouvant transporter des biomatériaux à type de nanoparticules dans la matrice extracellulaire13,14.
Grâce à des réseaux inter pénétrés (cross-linked) en trois dimensions d’HA et de collagènes qui assureront une durabilité d’action dans le temps et d’un réservoir de nano molécules pro-angiogéniques solubles, de nouvelles possibilités thérapeutiques s’appuyant sur la néo-organisation architecturale durable de la microcirculation permettront d’assurer la régénération des fonctions tissulaires déficientes15.
Les injections actuelles d’acides hyaluroniques dédiés pour corriger les troubles de la trophicité génitale sont les premiers pas d’une aventure passionnante.
- Conclusion
C’est en comprenant mieux les mécanismes intimes d’action de L’ACIDE HYALURONIQUE malgré la complexité biologique inhérente aux rôles ubiquitaires de ces molécules, que nous pourrons justifier la pertinence de la recherche et la confirmation des hypothèses émises par des études telles que celles que nous mettons en place grâce à notre groupe de recherches (GRIRG www.grirg.org) au sein du CHU de Nîmes dans le service du Pr MARES pour évaluer les bénéfices et les risques des injections d’acide hyaluronique dans la sphère génitale.
Les challenges scientifiques valent bien les exploits sportifs Madrilènes qui nous donnent aussi l’exemple de l’exigence, de la ténacité et de l’ambition !!!
Hasta luego Madrid !
1. Meyer J, Palmer JW. The polysaccharide of the vitreous humor. J Biol Chem 1934; 107:629-34.
2. Laurent TC, Fraser JR. Hyaluronan FASEB J 1992;6:2397-404.
3. SChoenfelder M, Einspanier R. Expression of hyaluronan synthases and corresponding hyaluronan recptors is diffe- rentially regulated during oocyte maturation in cattle. Biol Reprod 2003;69:269-77.
4. Toole BP. Hyaluronan: from extracellular glue to pericel- lular cue. Nat Rev Cancer 2004;4:528-39.
5. Itano N, Kimata K. Mammalian hyaluronan synthases. IUBMB Life 2002;54:195-9.
6. Stern R. Hyaluronan catabolism: a new metabo- lic pathway. Eur J Cell Biol 2004;83:317-25.
7. Slevin M, West D, Kumar P, Rooney P, Kumar S. Hyaluronan, angiogenesis and malignant disease. Int J Cancer 2004;109:793-4.
7bis. Evanko SP, Johnson PY,BraunKR,UnderhillCB, Dudhia J,Wight TN. Platelet- derived growth factor sti- mulates the formation of versican-hyaluronan aggre- gates and pericellular matrix expansion in arterial smooth muscle cells. Arch Biochem Biochem Biophys 2001; 394:29-38.
8. Lai PH, Chang Y, Chen SC, Wang CC, Liang HC, Chang WC, Sung HW. Acellular biological tissues containing inherent glycosaminoglycans for loading basic fibroblast growth factor promote angiogenesis and tissue regeneration. Tissue Eng 2006; 12:2499-508.
9. Zhang YW, Su Y, Volpert OV, Vande Wode GF. Hepatocyte growth factor/scatter fac- tor mediates angiogenesis through positive VEGF and negative thrombospondin 1 regulation.
10. Rastinejad F, polverini PJ, Bouk NP. Regulation of the activity of a new inhi- bitor of angiogenesis by a cancer suprressor gene. Cell 1989;56-345-55.
10bis. Folkman J. Toward an understanding of angioge- nesis : search and disco- very. Perspect Biol Med 1985;29:10-36.
11.Hanahan D, Folkman J. patterns and emer- ging mechanisms of the angiogenic switch during tumorigenesis. Cell 1996;86:353-64.
12. Laschke MW, Harder Y, Amon M, et al. Angiogenesis in tissue engineering : brea- thing life into constructed tissue substitutes. Tissue Eng 2006; 12:2093-104.
13. Arnold F, West DC. Angiogenesis in wound healing. Pharmacol Ther 1991;52:407-22.
14. Erin L. Pardue, Samir Ibrahim & Anand Ramamurthi (2008) Role of hyaluronan in angiogenesis and its utility to angioge- nic tissue engineering, Organogenesis.
15. Hyaluronic acid and extracellular matrix : a pri- mitive molecule ?
B.-V. Nusgens. Laboratoire de Biologie des Tissus Conjonctifs, GIGA- Recherche, Université de Liège, Belgique. Elsevier Masson.
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