Le prix d’un médicament : une équation impossible ?
Je suis inquiet : il me semble que les considérations économiques d’un médicament ou d’un test priment de plus en plus sur le service réel rendu aux patient(e)s au moment de fixer leurs prix. Quelques exemples : Oncotype DX®, test génomique (qui permet de surseoir la chimiothérapie des cancers du sein dans environ 30 % des cas) n’est toujours pas pris en charge par la SS, au contraire d’autres nombreux pays. Et il a fallu attendre 1 an avant que tous les malades d’hépatite C bénéficient du remboursement du nouveau traitement AAD fort cher (antiviraux à action directe). Plus : l’ulipristal acétate 5 mg, modulateur des récepteurs de la progestérone est, de mon point de vue, une véritable révolution thérapeutique des myomes symptomatiques. Pourtant la HAS vient de l’affubler d’un ASMR 5 pour son utilisation prolongée, ce qui en langage clair signifie « absence de progrès thérapeutique ». Rappelons que si la HAS engage pour chaque nouvelle molécule une double évaluation (médicale + médico-économique) c’est au Comité économique des produits de santé (CEPS) que revient ensuite la fixation du prix du médicament_: il initie alors une négociation entre l’Etat, la SS et le laboratoire selon plusieurs critères, dont le fameux ASMR, l’amélioration du service médical rendu. Et ASMR 5, cela revient à annoncer que le prix de ce médicament très innovant serait bas, comparable à celui des produits ayant la même indication et donc potentiellement non remboursable pour l’indication de longue durée. Nous sommes de très nombreux médecins de terrain à être vraiment marris de cette conclusion. Bien sûr, on sait que ce traitement coûte actuellement 143,82 € par mois et que la durée de prescription est de 3 mois (soit 431,36 €)… que plusieurs séquences de 3 mois (l’AMM Européenne) pourraient ainsi représenter une dépense de 431,36 €, répétée pendant des années en fonction et de l’individualité de la femme et de son âge par rapport à la ménopause. Alors je vous le dis : nos patientes concernées ne sont pas du tout prêtes à admettre le non remboursement de ce traitement prescrit au long terme.
Sachez que le prix des médicaments français se situe généralement dans la fourchette basse des cinq principaux marchés européens. Dans la moitié des cas, il correspond même au prix le plus bas. Parmi les nombreux critères retenus par le CEPS pour fixer un prix, il faut compter les conditions prévisibles d’utilisation et les volumes de vente. Je comprends bien que ce critère doive entrer en ligne de compte bien que, vous en conviendrez, il soit totalement inaudible à l’échelon individuel par les malades concerné(e)s.
Il est vrai que les obligations de rentabilité économique des laboratoires les engagent à réclamer des prix de plus en plus élevés : le médicament est généralement issu d’un processus long et fort coûteux. Les coûts augmentent parce que les exigences des Autorités de Santé sont de plus en plus importantes (à juste titre), que le médicament est contrôlé tout au long de sa vie, que les coûts de Recherche et Développement s’étalent en moyenne sur 11 ans (il faut deux fois plus de temps pour mettre au point un nouveau médicament qu’un Airbus !). Enfin que les risques sont élevés : de très nombreuses molécules étudiées ne seront jamais commercialisées, ou la commercialisation est arrêtée prématurément (Ex Protelos®), des procès sont intentés « Class Action » (Ex Distilbéne®)…
Fixer le prix d’un médicament c’est vouloir résoudre une équation quasi impossible : que tous les malades concernés puissent y avoir accès, que son prix reflète sa juste valeur, que son financement soit soutenable par la Société, que l’industrie pharmaceutique puisse réaliser ses bénéfices et financer sa recherche…
L’auteur déclare ne pas avoir pas de liens d’intérêts avec les produits cités.
*Le prix du médicament est aussi dépendant de la CEESP, la Commission d’Évaluation Économique et de la Santé Publique : un ratio différentiel coût/résultat (RDCR = le prix d’une année de vie gagnée en bonne santé) est alors calculé pour contribuer à la négociation du CEPS avec l’industriel. Ce ratio joue aussi un rôle majeur dans la négociation du prix par le CEPS.
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