Radiologue à l’enthousiasme communicatif, le Dr Pierre-Alain Goumot est spécialiste de l’imagerie du sein depuis 45 ans. Responsable d’un cabinet de radiologie équipé d’appareils de dernière génération, il milite depuis toujours pour l’examen clinique au-delà de l’imagerie et de ses progrès considérables. Entretien.
Pouvez-vous, pour commencer, nous résumer votre parcours ?
Docteur en médecine et radiologue de formation, je suis, sans jeu de mots, « tombé » dans le sein en 1971. J’étais interne à Lariboisière quand j’ai été remarqué par le Pr André Willemin, qui était le patron de la mammographie à Paris dans les années 60-70. Je n’avais pas encore terminé ma spécialité et, du coup, j’ai intégré son cabinet en ne faisant alors plus que de la sénologie. Dans les années 70, le rôle de la mammographie était triple : confirmer un diagnostic clinique, évident ou probable, révéler une seconde lésion, ou mettre en évidence des calcifications. J’ai appris le sein avec le Pr Willemin : alors qu’à l’hôpital, on faisait 6 mammographies dans la matinée, on en faisait 30 dans son cabinet, dans de bonnes conditions, avec du matériel parfait. Après avoir été son élève, puis son associé, je lui ai succédé il y a 25 ans.
De quand date la première imagerie du sein ? Et quels sont les évènements marquants et les progrès décisifs ?
Albert Salomon a été le premier à utiliser des rayons X, en 1913 à Berlin. Raul Leborgne, en 1944 en Amérique du Sud, a ensuite utilisé un appareil à bas voltage et développé une technique de compression du sein. Charles-Marie Gros, en 1965 à Strasbourg, a de son côté utilisé une anode au molybdène avec un filtre aluminium permettant, grâce à un spectre monochromatique, une analyse optimisée des tissus mous aux rayons X (la graisse, le tissu conjonctif et la glande pouvant ainsi être distingués) et la mise en évidence des calcifications. On utilisait à l’époque des films argentiques industriels de très haute résolution. Ces films ont été remplacés dans un premier temps par la xérographie puis, dans les années 2000-2002, par des capteurs plans numériques avec des cassettes à la place des films. Les capteurs plans numériques directs sont apparus durant la décennie 2010. Les algorithmes de traitement CAD (pour Computer Assisted Diagnosis) ont apporté une aide supplémentaire dans la mammographie numérique, en permettant la détection de structures que l’œil peut ne pas avoir détecté. La tomosynthèse est apparue il y a 4 ou 5 ans, et l’imagerie tridimensionnelle, avec lunettes 3D, depuis 2014. Ces nouvelles technologies permettent d’entrer et de se déplacer dans l’image. La tomosynthèse permet de créer des images tridimensionnelles en effectuant pour chaque cliché 30 à 90 coupes millimétriques selon la densité, avec des résolutions de 50 à 100 μm. La réalisation de ces coupes se fait en 3 secondes, l’irra-diation étant de 0,9 à 1,2 par rapport à un cliché standard. Cet appareillage exige évidemment plus de temps pour la lecture des clichés en raison du nombre de coupes. Mais la qualité est au rendez-vous. Pourtant, on se pose encore en France la question de l’intérêt de la tomosynthèse, alors qu’elle est devenue obligatoire au Canada et aux Etats-Unis.
Qu’est-ce qui détermine la qualité d’une image du sein ?
Le principe reste le même quelle que soit la technologie. Un mammographe est la combinaison d’un générateur de rayons X, d’un tube émetteur et d’un exposeur, c’est-à-dire une plaque et des capteurs permettant de mesurer la dose et l’intensité du rayonnement. Tous ces éléments techniques contribuent à la formation d’une image et à sa qualité. Une image mammographique de qualité est ainsi le résultat d’un ensemble de paramètres ayant parfaite-ment fonctionné les uns par rapport aux autres et dont aucun ne s’est dégradé ou a dévié des normes initiales. Les appareils sont contrôlés deux fois par an. La mammographie est un examen particulier qui nécessite un appareillage spécialisé pour trois raisons : la faible densité du tissu mammaire (entre 0,9 et 1,1), la très petite taille des structures recherchées (de 0,05 à 0,3 mm, soit de 50 à 300 μm) et la détection des ruptures architecturales ou des opacités. La forme anatomique et la position du sein ont également leur importance. Cela nécessite une bonne compression, celle-ci étant devenue moindre depuis qu’on réalise des coupes scanners. Chaque élément de la chaine de l’image (taille du foyer, filtres, distance foyer-filtre, grille antidiffusante…) influence le contraste, la définition et le bruit de fond de l’image obtenue. Les radiologues disposent aujourd’hui d’un appareillage fiable, de qualité (on détecte des signaux de moins de 50 μm) et peu irradiant. Dans la décennie 80, les doses classiques de mammographie ont été réduites d’un facteur 100.
Quels sont encore les progrès à attendre en matière d’imagerie du sein ?
L’avenir réside dans l’amélioration de la tomosynthèse (les algorithmes de traitement CAD sont en cours actuellement pour cet appareillage), dans le développement de banques de données avec des images automatiquement rapportées à d’autres images dont on a le diagnostic précis, à l’instar de la reconnaissance faciale, et dans l’imagerie 3D faiblement irradiante avec, comme prochaine étape, l’holographie, c’est-à-dire la représentation virtuelle du sein. On y est presque. Dans 5 ou 10 ans ici, les jeunes radiologues qui travaillent avec moi utiliseront certainement des images holographiques rapportées à des images du monde entier pour avoir un 2e ou un 3e avis d’expert.
Mais l’imagerie fait-elle tout ?
Non, certainement pas. La mammographie est devenue pour certains radiologues un outil de dépistage, mais elle reste pour moi un outil de diagnostic. A mes yeux, il restera toujours important qu’un médecin ou un autre professionnel compétent ait pratiqué un examen clinique systématique et sérieux, dans le cadre d’une approche globale, pour connaître précisément le passé de la patiente, savoir si elle a été opérée, si elle a eu des abcès… Le Pr Jacques Reynier estimait qu’« un bon appareil offre une belle image, (mais que) seul un bon clinicien sait l’interpréter ». Le Pr Willemin, de son côté, nous a appris à ne jamais lire une image mammographique sans avoir personnellement interrogé et examiné la patiente. Cet examen clinique associe l’interrogatoire, l’inspection et la palpation, remplacée depuis 20 ans par des sondes d’écho-graphie de haute fréquence. On ne peut dissocier la lecture d’un cliché d’un bon examen clinique. Le diagnostic ne peut être fait sur une image, mais avec un microscope après prélèvement, la mammographie ne servant qu’à envoyer des signaux.
Que pensez-vous des campagnes de dépistage ?
Je suis très réservé sur le dépistage organisé. L’examen clinique a été rajouté il y a quelques années dans le dépistage de masse, mais il est selon moi trop souvent vite fait. Le dépistage devrait évoluer vers un diagnostic précoce. Le cancer canalaire du sein double statistiquement de volume en 100 jours. Un signal millimétrique non détecté fera 3 cm à 18 mois, alors que le dépistage n’est organisé que tous les deux ans à partir de 50 ans et que 35 à 40 % des cancers apparaissent avant cet âge. Quel sens a par ailleurs la double lecture si la patiente n’est pas présente à côté du radiologue au moment de cette lecture ?
Les progrès de l’imagerie du sein ont-ils permis de diminuer le surdiagnostic ?
Le surdiagnostic ne devrait pas exister. Je vois 1 à 3 nouveaux cancers du sein par jour, j’ai dû en détecter plus de 10 000 en 25 ans. Je n’ai qu’un seul but, ne pas rater un cancer du sein. L’évaluation d’un cliché est très difficile. Dans mon cabinet, la manipulatrice qui a réalisé les clichés les voit avec moi, les agrandit sur des écrans haute résolution et les imprime, puis les interprète, tandis que le CAD effectue une 3e lecture de contrôle. De son côté, la secrétaire qui saisit les comptes rendus a sous les yeux les images qu’elle sait lire. J’ai la chance d’avoir, parmi mon équipe, 4 collaboratrices qui travaillent avec moi depuis plus de 30 ans, et qui connaissent le sein aussi bien que moi. C’est un plaisir de travailler avec une équipe comme la mienne. Il faut un peu de passion et d’enthousiasme. « C’est un signe de médiocrité que d’être incapable d’enthousiasme » disait encore le Pr Reynier.
Le Dr Pierre-Alain Goumot déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en relation avec cet article.
Propos recueillis par Dominique Magnien
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