Gynécologue psychosomaticienne, le Dr Michèle Lachowsky a placé la relation médecin-patient au centre de sa réflexion et de sa pratique, et prône une médecine qui s’intéresse autant à la femme – et à ses saisons – qu’à la maladie. Entretien.
Pouvez-vous nous rappeler les étapes-clés de votre carrière ?
Bien que littéraire, j’ai toujours eu le sentiment que je serais médecin comme mon père. Quand mes parents ont quitté Paris, au moment de l’exode, mon père avait emporté un livre de médecine, « Les 400 maladies de l’enfant » que j’ai beaucoup « étudié » pendant mon enfance à l’école primaire dans le Gers. Un
des plus beaux jours de ma vie a été la première fois où je suis allée à la faculté et à l’hôpital, à Paris. Ce fut une période très belle pour moi. L’hôpital a été le bonheur absolu, avec des patients
qui m’encourageaient ! Et puis, il a fallu prendre des décisions. Je ne souhaitais pas être généraliste comme mon mari. Vers quelle spécialité me tourner ? J’ai pensé à la pédiatrie, à la stomatologie, à la psychiatrie… Et puis, il y eut un tournant, je ne sais plus à quel moment, mais il est devenu évident pour moi – comme faire médecine avait été une évidence – que ce serait la gynécologie (mais pas l’obstétrique). J’ai alors notamment rencontré Patrick Madelenat, qui m’a permis d’exercer et d’enseigner comme je le souhaitais. Je me suis prise d’affection pour le travail en équipe et j’ai pu tout au long de ma carrière travailler en cabinet et à l’hôpital.
Comment êtes-vous devenue gynécologue psychosomaticienne ?
En voyant comment certains de mes futurs collègues traitaient les femmes alors que, dans la vie courante, ils étaient parfaitement bien élevés et corrects. Les moyens dont bénéficie la médecine semblaient les avoir dispensés de s’intéresser à la personne. J’ai toujours été choquée par le mandarinat, mais c’est le souvenir particulièrement cuisant du comportement d’un collègue chirurgien pendant sa consultation qui a tout changé dans ma façon de voir la médecine et m’a fait me tourner vers la gynécologie psychosomatique, le Balint, la relation médecin-patient. Cette scène, ma
scène primitive, m’a d’une part incitée à ne pas exercer ainsi et d’autre part donné envie d’enseigner aux médecins comment envisager la relation entre eux et leurs patients.
En quoi consiste le Balint ?
Cette approche s’appuie sur les travaux d’un psychanalyste juif hongrois, émigré au R-UNI, le Dr Balint, qui a écrit des ouvrages extraordinaires et a créé en Angleterre, à la fin des années 20, des groupes de réflexion, d’abord pour les travailleurs sociaux, puis pour les médecins. Il estimait que les médecins qui commençaient à ne plus être heureux dans leur travail devaient pouvoir en parler. Le principe est toujours le même, qu’on les appelle groupes Balint ou groupes de parole… Chaque médecin raconte au groupe un cas qui lui a posé problème, par exemple sur la façon dont il a ressenti le patient, et il va tenter de comprendre et de s’expliquer les raisons de son comportement ou de celui de son patient. Les cas peuvent aussi être mis en scène et joués par les membres du groupe, dans le cadre du Psychodrame Balint. Mais il s’agit bien là d’une psychanalyse de la relation, pas du médecin.
Qu’en retirent les médecins qui participent à ces groupes ?
Cette approche aide les médecins dans leur pratique comme elle m’a aidée moi-même. Ils se connaissent mieux, comprennent mieux leurs réactions face à leurs patientes, se sentent plus en phase avec elles. Lorsque j’animais des psychodrames Balint à l’hôpital pour les étudiants en dernière année de médecine générale, ce travail en groupe était ce qu’ils citaient comme un acquis capital au cours de leurs études.
Quel est l’apport de la gynécologie psychosomatique dans votre spécialité ?
Elle en fait partie intégrante. Je ne fais pas de séparation entre la maladie physique et la difficulté qu’a la femme à la supporter ou à m’en parler. Il ne s’agit pas de dolorisme ou de paternalisme,
ni de mansuétude, mais de considérer que l’un ne va pas sans l’autre. C’est une question d’ensemble. On m’adresse des patientes pour cette raison. Çà n’a l’air de rien, mais le fait de prendre la personne malade et sa maladie dans sa globalité change beaucoup la relation. Mais en aucun cas, on ne doit se prendre pour un gourou ou pour un analyste qui assénerait à une patiente des
vérités qu’elle ne veut pas forcément entendre. Si vous avez l’impression qu’une patiente vient pour une psychanalyse, il faut l’orienter peu à peu vers cela.
Ce qui est important pour vous, c’est l’écoute…
Exactement. Même les silences sont instructifs. Mais on a trop l’habitude d’interrompre le malade. Il faut savoir se donner le temps. Une écoute volontaire peut prendre cinq minutes de plus. Il faut parfois envisager une consultation différente pour aborder des questions autres que le symptôme qui peut avoir servi de motif de consultation. Je lance quelques perches, ma patiente peut revenir… ou pas. Il faut savoir aussi accepter, entendre, cet enchevêtrement psychosomatique, se poser la question sur ce que le corps dit. Les femmes abordent parfois cet angle de questionnement d’elles-mêmes.
Vous avez développé le concept de « saisons de la femme ». Des marqueurs du temps des femmes, quel est celui qui, de votre point de vue, a le plus évolué au fil des années ?
Les règles d’abord. Elles ne sont plus liées de manière indispensable à la féminité. Certes, les femmes sont des êtres rythmés, contrairement aux hommes. Le sang est toujours le fil rouge de la
vie des femmes, mais cela n’a plus la même signification, sauf pour les premières règles. Les femmes estiment maintenant que les règles sont gênantes, qu’elles tachent et se demandent pourquoi
elles ne s’en passeraient pas. Avec la contraception et une pilule tous les 3 mois, la femme peut décider d’avoir ou de ne pas avoir de règles. Je fais partie d’une génération totalement
privilégiée de gynécologues qui avions l’âge de nos patientes et avons vécu les débuts de la contraception. J’ai été témoin et ai accompagné tous ces changements. Les femmes ont exigé et imposé la contraception. Et cela a changé leur vision du sang. Elles demandent maintenant la même chose pour les règles. La ménopause ensuite, devenu le mi-temps de la vie des femmes. Elle a à la fois perdu et gagné en visibilité. Autrefois, il n’était pas bienséant d’en parler, car elle s’accompagnait de drames visibles qui transformaient la femme. On en a ensuite peut-être parlé trop. On a considéré qu’il n’y avait certes rien de pathologique dans la ménopause, mais que cela méritait de se préoccuper des phénomènes physiologiques et des symptômes comme les bouffées de chaleur afin de les réduire. On est d’abord tombé dans un premier excès : hors le traitement, point de salut. Puis dans l’excès inverse : le traitement est dangereux et peut provoquer – entre autres ! – un cancer du sein… Désormais, on a trouvé le juste milieu. Aujourd’hui, la femme sait qu’elle n’est plus obligée de souffrir et qu’elle peut traiter les symptômes de la ménopause, mais elle sait également qu’elle « survivra » si on ne les traite pas. Par contre, l’âge est associé à la ménopause et on n’admet pas qu’on ne puisse pas lutter contre les méfaits de l’âge, les transformations du corps, de la silhouette, du visage. La sexualité enfin. Il n’y a pas de consultation de gynécologie où cette question n’est pas abordée. Les femmes ont du mal à en parler mais elles me semblent plus à l’aise, sauf peut-être certaines femmes plus âgées ou en butte avec leur ménopause. Il faut savoir entendre les moments où elles voudraient ou pourraient en parler…
Vous publiez régulièrement un Billet d’humeur dans Genesis. Qu’est-ce qui, aujourd’hui, vous fait particulièrement réagir ?
Je peux toujours, à n’importe quel moment du jour et de la nuit, enfourcher mes « dadas » habituels sur la relation entre êtres humains, entre médecins et patients, entre gynécologues et patientes, et sur l’importance de ne pas se laisser noyer par la science. J’ai peur de l’homme connecté et augmenté qu’on nous prépare. Ces méthodes censées nous rapprocher nous éloignent en fait les uns des autres, chacun pouvant travailler isolément. Mais on ne peut pas vivre dans la peur non plus… Je suis bien trop optimiste pour cela !
Le Dr Michèle Lachowsky déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en relation avec cet article.
Propos recueillis par Dominique Magnien
Article paru dans le Genesis N°190 (juin/juillet 2016)
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