La contraception orale avec aménorrhée répond à la demande des femmes notamment en termes de qualité de vie. Sa tolérance physique et métabolique est bonne, ses inconvénients se limitant aux spottings.
«Le concept de contraception était si novateur dans les années 50 que j’ai préféré, dans un premier temps, mimer le cycle menstruel pour optimiser l’acceptabilité des femmes, mais qu’une fois que cette contraception serait définitivement entrée dans les moeurs, il faudrait expérimenter des périodes d’aménorrhée plus longues».
Ainsi parlait Gregory Pincus, quelques mois avant sa mort en 1967 (propos privés rapportés par RV. Short). Gregory Pincus et John Rock décidèrent effectivement de «mimer la nature seulement pour paraître plus naturel et donc être mieux accepté par les femmes et, surtout, pour ne pas se mettre à dos l’Église».
Les médecins ont depuis longtemps intégré les règles du jeu d’un EP : le progestatif (molécules de 1, 2, 3, ou 4e génération) est l’élément inhibiteur d’ovulation tandis que l’estrogène (ethinyl estradiol dans l’immense majorité des cas) est l’élément régulateur du cycle.
L’arrêt de l’EP déclenche les règles, baptisées «hémorragies de privation».
Un peu de physiopathologie basique
Du premier jour des règles à l’ovulation, l’estradiol favorise la croissance et la vascularisation de l’endomètre par des artères rectilignes dilatées.
L’ovulation initie la sécrétion de progestérone qui transforme alors ces artères : de rectilignes, elles deviennent spiralées et se fragilisent. En fin de cycle, en l’absence de grossesse, la chute de la progestérone entraine une contraction de ces artères spiralées. La contraction des artères spiralées fragilisées entraine une anoxie endométriale : l’endomètre se nécrose alors et commence à s’éliminer, ce sont les règles, desquamation endométriale entrainant un saignement (incoagulable).
De même, les «pseudo règles» induites par les contraceptifs EP sont provoquées par la chute du progestatif qui est induite par chaque période d’arrêt.
Une évolution irrésistible
La tentation de ne plus respecter un cycle immuable de 28 jours chez des femmes souhaitant programmer leurs saignements au jour près (examen, vacances, sexualité…) nous a tous conduits, depuis les années 70, à proposer à nos patientes des «cycles sur mesure» en modulant la date d’arrêt de leur EP selon les dates choisies. Nous le faisions, le plus souvent cependant de façon ponctuelle, conscients d’être hors AMM mais aussi en raison de la réticence même de nos patientes à pérenniser ces cycles «hors nature».
En 1999, Elsimar Coutinho (Brésil) et Sheldon Sega (USA) font paraître un livre provocateur : «Is menstruation obsolete ?» Comment la suppression des règles peut aider les femmes endométriosiques, souffrant de SPM ou d’anémie ferriprive.
Et il est vrai que cette idée de supprimer les règles (ou comme on dit maintenant d’obtenir des «cycles étendus») commençait doucement à faire recette :
– Dès 1988 en Australie, 83 % des patientes (et 60 % des médecins) croient nécessaire pour la santé de saigner chaque mois MAIS 46 % des patientes (et 55 % des médecins) choisiraient l’option de saigner tous les 3 mois plutôt que tous les mois (1). Nous-mêmes, en 1995 avec Jean Cohen, à la question : «Seriez-vous favorable à ce que votre médecin vous prescrive une pilule de façon à ce que vos règles ne soient pas au rendez-vous tous les 28 jours, mais seulement tous les 2 ou 3 mois, voire moins souvent ?», (n = 1646), avions obtenu 52 % de réponses favorables (19 % très favorables, 33 % plutôt favorables) versus 48 % de défavorables (plutôt 31 %, très 17 %) (2).
– En Italie, en 2006 (n = 152), 27,8 % des femmes préféraient des règles «moins fréquentes» tandis que 28,5 % les souhaitaient «absentes ». (3)
– Actuellement en France, si 45 % des femmes souhaitent encore leurs règles tous les mois, 30 % les souhaiteraient tous les 2/3 mois et 17 % jamais. (4)
C’est donc la fin du mythe : il aura fallu 50 ans pour que la pilule de Gregory Pincus ose suggérer que l’aménorrhée médicalement induite n’est pas une proposition «surnaturelle».
Les avantages de «l’aménorrhée médicalement induite»
Ils sont en fait très nombreux : pas d’éventuelles migraines cataméniales pendant l’arrêt des comprimés ; diminution de la fréquence des symptômes prémenstruels ou contemporains des règles : mastodynies, dysménorrhées, céphalées, ménorragies ; diminution de la fréquence des anémies lorsqu’il y avait des ménorragies ; augmentation de l’observance (les oublis ont souvent lieu à la reprise de la plaquette) ; augmentation de la qualité de vie : diminution de la fatigue, pas de diminution de la productivité ; sexualité : tous les jours sont possibles ; endométriose, kystes fonctionnels ; examens ; vacances…
Les inconvénients potentiels
– L’obtention de l’aménorrhée suppose un nombre de comprimés plus important (de 4 à 7 de plus par cycle).
– La tolérance (poids, TA, coagulation, lipides, endomètre, sein…) ne semble pas significativement altérée à la lecture de l’ensemble des études consacrées à ce sujet.
– Les spottings et métrorragies représentent en fait le véritable prix à payer pour l’obtention de ces cycles prolongés. Cet effet secondaire dépend beaucoup et de la durée du cycle prolongé instituée et des produits utilisés, comme nous allons le voir.
Comment obtenir une aménorrhée sous estroprogestatif ?
Bien sûr, nous le savons depuis longtemps, il est possible de ne pas observer l’arrêt traditionnel et d’enchaîner une ou plusieurs nouvelles plaquettes en choisissant une pilule monophasique. La période d’aménorrhée peut être choisie en fonction des desiderata de la patiente. Pour que la contraception soit assurée, il faut toujours induire une prise minimum de 21 jours. Les règles surviennent à l’arrêt du contraceptif. Les spottings et métrorragies surviennent souvent – mais pas toujours – après 3 mois de prise, selon les femmes et selon les EP utilisés. Une autre façon de faire est de demander à la patiente de prendre les comprimés en continu jusqu’à l’apparition des spottings et alors d’arrêter 4 ou 7 jours puis de recommencer (régimes flexibles).
On peut, par ailleurs, suggérer aux patientes désireuses d’obtenir une aménorrhée sous EP, comme le préconise Christian Jamin, d’utiliser l’anneau vaginal Nuvaring® en «non-stop» : la pharmacodynamie de cet EP montre que son effet inhibiteur dépasse largement les 21 jours (5). Ainsi l’anneau peut être mis en place pour 1 mois, à changer par exemple tous les 1er de chaque mois.
En bref et en faveur de l’anneau : le taux d’aménorrhée et le contrôle du cycle sont meilleurs qu’avec les formes orales ; il y a moins de spottings sur les schémas trimestriels, les taux d’EE sont faibles et très stables (6, 7, 8).
On peut aussi s’adresser aux spécialités conçues et ayant obtenu l’AMM dans le but d’obtenir une aménorrhée.
• Aux USA :
Lybrel®/Anya® (9, 10, 11)
– 365 comprimés contenant 20μg d’EE/90μG de LNG, monophasique (Figure 1) :
– Prise continue pendant 1 an
– Moins de 30 % des femmes ont une aménorrhée totale au bout de 3 plaquettes, 40 % à la 7e plaquette, environ 59 % à la fin de la 13e plaquette
– Diminution du nombre de jours de saignement avec le temps
– Efficace, bien tolérée.
Seasonale® et Seasonique® (Figure 1)
– 30μg d’EE/150 μg de LNG, 84 comprimés actifs + 7 cp à 10 μg pour Seasonique® et 7 comprimés de placebo pour Seasonale®.
• En France :
Seasonique® est une spécialité commercialisée depuis l’automne 2015, monophasique (Figure 1) :
– 30μg d’EE/150 μg de LNG, 84 comprimés actifs + 7 cp avec 10μg d’EE
– Hémorragie de privation 4 fois/an : «une par saison»
Bon contrôle du cycle (Figure 2) : le taux de spottings/métrorragies d’environ 10-15 % (11, 12, 13)
– La supplémentation des 7 jours entre chaque plaquette avec des comprimés à faible dose d’éthinyl estradiol (10 mcg d’EE) supprime ou diminue l’activité ovarienne et le développement folliculaire (14, 15) ce qui expliquerait que cette diminution du taux des hormones ovariennes pourrait améliorer le contrôle du cycle versus une pilule de scénario et de composition identiques mais ne comprenant pas cette supplémentation (Seasonale®).
– C’est la première spécialité de «régime continu» disposant d’une AMM dans notre pays : une sécurité médico-légale non négligeable pour le prescripteur.
En conclusion
Les femmes demandent de plus en plus à leurs médecins l’obtention d’une aménorrhée médicalement induite. La période souhaitée va de 3 mois à « toujours ». Les médecins sont de plus en plus souvent enclins à les satisfaire. La tolérance physique et métabolique est bonne tandis que la qualité de vie est améliorée. Les moyens de parvenir à l’aménorrhée sont multiples et à adapter selon l’individualité de chacune. L’inconvénient de cette stratégie : les spottings et les saignements. Une nouvelle spécialité, Seasonique®, vient d’enrichir nos moyens thérapeutiques.
L’auteur déclare le lien d’intérêt suivant : Teva.
David Elia – Gynécologue, Paris
RÉFÉRENCES
1. Rutter W et al. Med J Aust. 1988
2. Cohen J, Elia D. Gyn Obs 1995(1nov);358
3 . Ferrero S et al. Contraception. 2006
4. Szarewski A et al. Eur J Contracept Reprod Health Care. 2012;17:270-283
5. Mulders, Human Reprod 2002,17 ;2594 :99
6 . Barreiros et al . Contraception 2010
7. Guazzelli et al.Contraception 2009
8. Miller et al. Obstet Gynecol 2005
9. Miller et Hughes. Obstet Gynecol 2003
10 . Archeretal. Contraception. 2006
11. This P. Gynecol Obstet Fertil. 2013
12. Anderson et Hait. Contraception. 2003,
13. Anderson et al. Am J Obstet Gynecol. 2006
14 . Vandever MA, et al. Contraception. 2008;77:162-170.
15. Kaunitz AM, et al . Contraception . 2009;79(5):350-355
Article paru dans le Genesis N°187 (novembre/décembre 2015)
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