Le vin : seulement de l’alcool ?!!
Les députés ont tranché et Marisol Touraine est toute furieuse : «…ne sont pas considérés comme une publicité ou une propagande [en faveur des boissons alcooliques] les contenus, images, représentations, descriptions, commentaires, ou références relatifs à une région de production, à une toponymie, à une référence ou à une indication géographique, à un terroir, à un itinéraire, à une zone de production, au savoir-faire, à l’histoire ou au patrimoine culturel, gastronomique ou paysager liés à une boisson alcoolique disposant d’une identification de la qualité ou de l’origine, ou protégée…» Les lobbys ont gagné. Et bien sûr on pense d’abord au vin, une très vieille histoire d’amour bien française. Car le vin c’est de l’alcool bien sûr mais c’est aussi bien plus que de l’alcool, on en conviendra : le vin est un savoir-faire traditionnel, c’est plus de 2000 ans d’histoire, un des symboles forts de notre art de vivre, un bien patrimonial ; le vin contribue à la fois à la vitalité économique et au rayonnement de la France, c’est aussi notre deuxième activité à l’exportation générant 7,8 milliards d’euros, grâce à 500000 hommes et femmes !
On est passé en 50 ans de l’univers du «vin de table» à celui du «festif et du loisir» : nous dégustons de plus en plus des vins de qualité au détriment du «gros rouge» du travailleur de force. Germinal de Zola, c’est fini ! Le Français, de consommateur inculte est devenu un «amateur». Bref, si on veut se «bourrer la gueule» aujourd’hui… on se tournera plutôt vers des alcools plus forts et rapidement efficaces à déclencher l’ivresse.
Et ici, oui, on regrette que la loi ne distingue pas le vin des autres alcools : l’alcoolisme est bien un fléau à combattre car il est indéniable que l’alcool tue beaucoup de nos concitoyens. Mais que dire d’une consommation raisonnable, festive, occasionnelle de vins de qualité ? Je comprends et trouve donc légitime cette inflexion de l’interdiction de publicité pour le vin. Mais je regrette aussi que les autres alcools, en particulier «forts», profitent de cette libéralisation car la défense de la vigne est un cache-sexe évident : la logique de terroir va permettre de communiquer sur le «whisky écossais et ses lacs», sur la «vodka russe des steppes», les bières belges et leurs brasseries…
Plusieurs épidémiologistes, spécialistes de santé publique et alcoologues ont toujours refusé de faire une distinction entre les boissons alcooliques. Ils ont eu tort, à mon humble avis. Le fanatisme hygiéniste peut se révéler aussi impitoyable que le fanatisme religieux. Car «érigé en dogme, l’hygiénisme engendre lui aussi ses ayatollahs» (Dominique Wolton*).
Ce n’est pas en censurant la consommation modérée qu’on barre la route à la consommation excessive : l’alcoolisme a ses causes, comme toutes les autres toxicomanies, et les chercher, les dénoncer, s’impliquer socialement, éduquer… est beaucoup plus difficile et ambitieux que de taxer, interdire…
* Directeur de recherche au CNRS et président du Conseil de l’éthique publicitaire
Article paru dans le Genesis N°187 (novembre/décembre 2015)
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