Dans cette deuxième partie (partie (1) ici), nous abordons les dysfonctionnements périnéaux liés à une augmentation chronique de la pression abdominale, ceux secondaires à des pathologies neurologiques et ceux associés à diverses affections.
La physiopathologie des dysfonctionnements périnéaux est complexe et multifactorielle, résultant des interactions entre des facteurs constitutionnels et des facteurs acquis. Il existe d’autres facteurs que l’on connaît moins car mis en évidence plus récemment et qui pourraient expliquer en grande partie les causes observées plus chez les femmes jeunes.
Parmi ces causes, on retrouve les pathologies dues à une augmentation chronique de la pression abdominale, certaines pathologies neurologiques dues à une atteinte centrale ou périphérique, enfin des pathologies diverses associées.
Facteurs d’hyperpression abdominale
Surcharge pondérale.
Le surpoids peut être à l’origine d’affections urogénitales (complications de la grossesse, prolapsus, incontinence urinaire et anale). L’exposition au risque d’incontinence est directement corrélée à l’IMC et les femmes qui ont un IMC > à 30 sont plus exposées que celles qui ne sont pas en surpoids. Plus spécifiquement, il faut savoir qu’en cas d’obésité très importante (IMC > à 40) le risque d’incontinence est multiplié par 6 (1). Il en résulte une modification du positionnement du pelvis et des viscères pelvi-périnéaux et de possibles lésions des nerfs des systèmes nerveux végétatif et somatique par mécanisme d’étirement (2).
Une étude récente chez des adolescentes obèses de 12 à 17 ans a montré que plus de 10 % d’entre elles avaient des fuites urinaires contre 0 % dans une population non obèse du même âge (3).
Tabagisme chronique.
Le tabagisme chronique est un facteur de risque connu de tumeur de vessie. A côté de cela, les études épidémiologiques les plus récentes ont également permis d’établir que le tabagisme était également un facteur de risque d’incontinence urinaire. Le tabac intervient dans l’apparition d’une incontinence urinaire par l’intermédiaire de deux mécanismes : la toux chronique qu’il finit par déclencher avec pression périnéale et interférence avec la synthèse de collagène, avec altération du tissu périnéal. Les symptômes d’IU sont 2 à 3 fois plus fréquents chez les femmes qui fument.
L’hyperactivité vésicale est aggravée par la nicotine qui exerce un effet stimulant sur le détrusor et en augmente la contractilité (4). Les patientes fumeuses ont des efforts de toux de plus forte amplitude que les patientes non fumeuses.
Maladies respiratoires chroniques.
Les toux chroniques (asthme depuis l’enfance) et les bronchites majorent l’IU et le prolapsus. Ainsi, la prévalence de l’incontinence urinaire chez la femme est de 30 à 69 % dans la mucoviscidose, 45 % lors de bronchectasies et 34 % au cours de la coqueluche. Dans les pneumopathies interstitielles diffuses, la toux chronique pourrait également favoriser la survenue d’une incontinence urinaire, mais sa prévalence et son impact ne sont pas bien encore connus (5).
Constipation.
La plus fréquente est la constipation terminale liée à un mauvais fonctionnement de la dernière partie du côlon, du rectum et de l’anus. Dans ce cas, il faut alors produire d’énormes efforts de poussée parfois très importants. Les efforts d’exonération répétés constituent un facteur de risque essentiel dans les troubles de la statique pelvienne. La prévalence de la constipation et l’association avec des symptômes de prolapsus varie entre 20 et 53 % (6). Enfin, il arrive que l’état des toilettes de certaines collectivités (absence de papier, mauvais entretien, isolement difficile) favorise l’apparition de constipation chez des jeunes femmes au travail qui préfèrent se retenir pendant la journée.
Pathologies neurologiques
Spina bifida
Le spina bifida myéloméningocèle est la forme viable la plus grave de spina bifida (ouverture de l’arc vertébral postérieur). Il en résulte une paralysie de gravité variable, des troubles sensitifs graves du membre inférieur, une incontinence urinaire et fécale, et des anomalies des vertèbres lombaires (7). Le «spina-bifida occulta», est la forme rencontrée le plus fréquemment.
Certaines personnes ne s’en aperçoivent que lors d’une radiographie, ou lorsqu’elles éprouvent soudainement des problèmes d’incontinence urinaire ou qu’apparaissent des changements dans les muscles des jambes. Sa prévalence est de 17 à 25 % mais il n’est responsable de troubles vésico-sphinctériens que dans 2 % des cas (7), essentiellement à type d’incontinence urinaire (8).
Sclérose en plaques (SEP)
Elle atteint surtout les adultes jeunes et les femmes dans 60 % des cas. Elle apparaît après l’adolescence, l’âge moyen de début de la maladie se situe entre 20 et 40 ans. Les troubles vésicosphinctériens sont d’une extrême fréquence au cours de la SEP (révélateurs de la maladie dans 5 à 10 % des cas) (9).
La majorité des patients présentant une SEP (70 %) ont une hyperactivité vésicale et la survenue de rétention affecte 18 % des sujets, il existe également une difficulté à vider la vessie (10). Les complications urologiques graves (pyélonéphrite, reflux vésico-rénal, hydronéphrose) ne surviennent que dans 10 à 15 % des cas (11).
Accidents vasculaires cérébraux (AVC)
L’AVC peut affecter la partie du cerveau qui commande la miction, entraînant la perte de la maîtrise «volontaire» de cette fonction. Chez la femme jeune (12), des facteurs de risque sont particulièrement fréquents : l’hypertension artérielle, le diabète, la migraine et la prise de contraceptifs oraux, mais ils ne confèrent qu’un risque absolu faible cependant potentialisé par les autres facteurs de risque vasculaires, notamment le tabac et une forte consommation d’alcool (13). Le post-partum reste une période à risque vasculaire et l’éclampsie demeure la première cause d’accidents vasculaires cérébraux durant la grossesse.
Chez le sujet jeune on retrouve également l’abus de drogue. 20 à 30 % des patientes souffrent encore d’IU, six mois après leur attaque et 16 % présentent une incontinence permanente (14).
Lésions de la moelle épinière
Les accidents, dont on estime le nombre de cas annuels entre 1 000 et 1 500, en sont la première cause. Ce sont donc le plus souvent des sujets jeunes (15-35 ans) qui en sont atteints (15). Après une phase initiale de rétention complète surviennent, si le traitement n’est pas mis rapidement en route, des fuites urinaires et fécales (fuites par regorgement). Environ 50 % des lésions de la moelle épinière ont eu lieu entre les âges de 16 et 30 ans (15). On estime que les femmes sont plus enclines aux tentatives de suicide. Ainsi la défenestration, l’une des causes fréquentes de même que d’autres formes entrainent souvent une lésion de la moelle épinière avec les séquelles au niveau vésico-sphinctérien.
Neuropathies périphériques
Le caractère très progressif d’un trouble mictionnel peut suggérer une neuropathie périphérique (diabète, intoxication alcoolique, médications neurotoxiques). La plus fréquente est la neuropathie diabétique qui peut entraîner une atteinte polyviscérale parmi laquelle l’atteinte du bas appareil urinaire (16).
Les troubles les plus caractéristiques sont une vessie hypo-active, hypo-esthésique et de grande capacité. Comme cette neuropathie progresse, elle aboutit à une vidange vésicale incomplète, voire à une incontinence par regorgement.
Pathologies diverses
Anomalies psychogènes
Les symptômes urinaires d’origine psychogène : pollakiurie, énurésie, dysurie, rétention urinaire, sont rapportés davantage chez la femme (70 %) que chez l’homme (17). Il s’agit le plus souvent d’un trouble névrotique atypique, d’une dépression masquée, d’une personnalité pathologique.
L’apparition brutale d’une dysurie chez une femme jeune doit en priorité faire évoquer en dehors d’une étiologie infectieuse, ou iatrogène médicamenteuse, une étiologie psychogène (abus sexuel, divorce, deuil). Le syndrome dépressif est souvent fréquent chez ces femmes jeunes. Dans de nombreux cas, une pathologie colitique, gastrique ou ovarienne y est associée. Les patientes présentant une pollakiurie sont souvent agitées, «stressées» et hyperactives. La plupart des jeunes nullipares qui consultent sont des patientes ayant de forts traits de personnalité obsessionnels qui sont toujours tendues, et qui ont un tonus pelvien souvent élevé.
Algies périnéales
Il peut s’agir d’affections touchant la sphère urologique, gynécologique, colo-proctologique, justifiant une analyse compétente des possibles signes et symptômes en rapport avec l’organe atteint (18,19). On ne peut envisager ici le détail du diagnostic d’affections aussi diverses que : fissure, abcès, suppuration, tumeur, maladie hémorroïdaire, rectite, troubles de la statique pelvienne et/ou rectale, coccygodynie, endométriose, pour ne citer que les plus fréquentes. Il existe également les syndromes cliniques en rapport avec une atteinte myofasciale qui se traduit par des contractures musculaires responsables de douleurs locales et référées à distance (syndrome des releveurs, syndrome du piriforme). De récentes recherches ont démontré qu’il est associé avec la coexistence de conditions physiques (endométriose, vulvodynie, fibromyalgie) et psychiatriques (anxiété, dépression) (20).
Facteurs alimentaires
La caféine dérivée, facteur irritant de la vessie, est un excitant du système nerveux central qui atteint ses pics de concentration sanguine 30 à 60 minutes après ingestion. La caféine (grains de café, feuilles de thé, fèves de cacao, sodas, chocolat) a un effet excitant sur la vessie conduisant à l’impériosité mictionnelle et à l’augmentation de la fréquence mictionnelle après ingestion (21). La surconsommation de café peut témoigner d’un mode de vie particulièrement stressant également propice à la survenue d’une hyperactivité vésicale. Différents fluides ont un impact différent sur la vessie et sur les symptômes d’incontinence urinaire.
L’alcool, les édulcorants artificiels (aspartame, saccharine), les aliments très épicés, les jus d’agrumes (citron, orange, pamplemousse) et les produits à base de tomates sont aussi considérés par certains comme ayant des propriétés diurétiques et qui peuvent exciter une vessie déjà hypersensible (22).
Troubles des conduites alimentaires (TCA)
Les TCA touchent généralement les femmes adolescentes ou jeunes adultes des pays occidentaux (23). Deux affections peuvent avoir un retentissement sur la fonction vésico-sphinctérienne : l’anorexie (AR) et la boulimie (BO). L’AR touche 0,7 % des adolescentes alors que la BO touche 1 à 2 % des femmes de 16 à 35 ans. L’AR concerne 9 fois sur 10 une jeune femme entre 14 et 23 ans. Il s’y associe souvent des vomissements provoqués. Dans 1 cas sur 4, il existe aussi une potomanie pouvant conduire à une intoxication par l’eau. Les fréquents vomissements avec augmentation de la pression intra-abdominale (IUE) et la potomanie (urgenturie) expliquent en partie ces troubles chez les femmes jeunes avec TCA. Dans la BO, afin de compenser l’excès de calories ingérées, la personne a recours à un ou plusieurs des actes suivants : provocation du vomissement, utilisation inappropriée de laxatifs et/ou de diurétiques, exercice physique excessif.
Il existe également des troubles urinaires dont les mécanismes sont semblables à ceux de l’anorexie.
Troubles comportementaux et émotionnels
Le tableau le plus évocateur est la survenue d’impériosités avec ou sans fuites associées qui apparaissent brutalement dans des circonstances particulières, stéréotypées. L’audition de l’eau qui coule, le changement de température, le signe de la clef dans la serrure de son domicile, la vue de l’ascenseur sont les plus évocateurs.
La pollakiurie est, dans certains cas, le reflet de mauvaises habitudes mictionnelles, surtout chez la femme qui devance la sensation de besoin par habitude ou par crainte de la survenue de celle-ci à un moment inopportun.
Incontinence au fou rire (giggle incontinence) est une miction involontaire complète lors du fou-rire. Elle est sans cause pathologique organique mais plus en rapport avec une réponse excessive à une stimulation de l’aire limbique (24, 25). Elle peut persister tout au long de l’adolescence mais s’améliore habituellement avec l’âge avec cependant des épisodes à l’âge adulte.
Les mictions rares
Elles sont estimées survenir chez 12 % des femmes entre 20 et 45 ans. Les contraintes professionnelles pèsent aussi sur les comportements, en particulier deux professions sont plus exposées : l’enseignement (teacher’s bladder) et les infirmières (nurse’s bladder) qui ont développé l’habitude de se retenir pendant des périodes prolongées. Pour ces sujets il n’est pas trouvé de dysurie mais plus souvent un résidu sans infection. Les rétentions urinaires psychogènes sont fréquentes (26).
L’abus sexuel semble être la raison la plus fréquente auquel il faut ajouter la dépression, l’hystérie et les nombreux facteurs d’inhibition résultant de l’éducation.
Lire la partie (1) de l’article
Alain Bourcier – Consultant en périnéologie ; Centre Juras d’imagerie médicale
RÉFÉRENCES
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2. Richter HE et al.Urinary and Anal Incontinence in Morbidly Obese Women Considering Weight Loss Surgery Obstetrics & Gynecology. 2005 ; Vol 106. Issue 6:1272-77.
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Article paru dans le Genesis N°186 (septembre/octobre 2015)
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