Responsable des soins intensifs en cardiologie au CHU de Dijon, le Pr Yves Cottin a pu mesurer, à travers notamment l’Observatoire des infarctus de Côte d’Or, l’évolution des risques et accidents vasculaires chez les femmes par rapport aux hommes. Il nous livre ici son analyse sur leur prise en charge.
De votre point de vue de cardiologue, les situations cliniques cardiovasculaires sont-elles significativement différentes entre les femmes et les hommes ?
Oui. Il existe aujourd’hui de très nombreux travaux sur cette thématique et de plus en plus d’équipes montrent des différences significatives entre les hommes et les femmes. Les registres mettent en évidence depuis une quinzaine d’années deux profils de femmes pour l’infarctus du myocarde et l’accident vasculaire cérébral : les femmes jeunes (moins de 55 ans) d’une part avec deux facteurs de risque, l’obésité et le tabagisme ; les femmes plus âgées d’autre part qui, outre l’âge bien sûr, sont exposées à un sur-risque d’athérosclérose lié au diabète et l’hypertension.
«Les femmes ayant un infarctus du myocarde restent encore prises en charge plus tardivement, elles sont moins reperfusées et bénéficient moins de rééducation que les hommes.»
Quelle est la prévalence des maladies cardiovasculaires chez l’homme et chez la femme ?
L’infarctus du myocarde touche 70 % d’hommes contre 30 % de femmes mais, surtout, il existe d’importantes variations dans la typologie des patients. De plus en plus de femmes jeunes font des infarctus du myocarde, avec des caractéristiques angiographiques très particulières qu’il faut connaître, comme les dissections coronaires spontanées, les hématomes coronaires.
Les femmes sont-elles bien représentées dans les grands essais cliniques et épidémiologiques cardiovasculaires ?
Oui, c’est le cas maintenant. En raison justement de cette augmentation de l’incidence des événements cardiovasculaires chez les femmes, une attention toute particulière leur est portée. Tous les débats qui ont eu lieu en France ces dernières années, sur la pilule par exemple, ont fait prendre conscience du risque cardiovasculaire chez la femme et donc de l’intérêt d’une évaluation spécifique.
Ce qui est préconisé pour les hommes faisant un accident cardiovasculaire est-il extrapolable à la femme ?
Il faut déjà se demander s’il s’agit de la même maladie. Les recherches montrent que les hommes et les femmes ne souffrent probablement pas des mêmes lésions coronaires et vasculaires. Les recommandations ne préconisent pas aujourd’hui de différences de prise en charge entre les hommes et les femmes sur le plan cardiovasculaire. Le bilan lipidique par exemple est identique chez l’homme et la femme en dehors de niveau de HDL-CS. Mais il existe des pathologies très spécifiques, comme les spasmes coronaires par exemple, qu’on sait plus fréquents chez la femme, justifiant ainsi des différences de prise en charge.
Qu’en est-il justement de cette prise en charge chez la femme ?
Il existe toujours un gradient homme-femme certain, qui régresse d’année en année, mais qui persiste, tant au niveau national qu’international, y compris pour les traitements standards. Les femmes ayant présenté un infarctus du myocarde restent en effet encore avec une prise en charge plus tardive, elles sont moins reperfusées et bénéficient moins de rééducation que les hommes.
Un exemple concret : les registres récents montrent qu’aujourd’hui, moins de 12 % des hommes ne sont pas pris en charge et reperfusés en phase aiguë, mais cette proportion monte à 18 % chez les femmes. Il y a cependant une amélioration : la proportion de femmes non reperfusées était, il y a 10 ans encore, de 25 %.
Le concept de la protection artérielle des femmes par leurs œstrogènes ovariens jusqu’à leur ménopause est-il encore d’actualité ?
Avant d’aborder le problème de la protection, il faut connaitre les nouveaux outils d’évaluation du risque artériel. En effet, nos collègues Anglais du NICE ont, à partir d’une large base de données, développé un calculateur, le QRISK-score, qui inclut bien sûr les facteurs classiques (âge, tabagisme, surpoids, diabète), mais également de nouveaux facteurs : insuffisance rénale, présence d’une polyarthrite rhumatoïde ou d’une fibrillation atriale. Mais bien sûr, comme je viens de le dire, on sait que la maladie artérielle est probablement différente chez l’homme et chez la femme. On sait que les femmes ont une fragilité artérielle que n’ont pas les hommes et l’impact des équilibres œstroprogestatifs est majeur à court mais également long terme. Les femmes «sans facteur de risque» bénéficient certes d’une protection artérielle jusqu’à la ménopause, mais l’augmentation de l’incidence des accidents cardiovasculaires chez les femmes de moins de 55 ans montre que cette protection n’est pas aussi systématique et qu’elle est probablement profondément modifiée par l’évolution des modes de vie des femmes. Ceci est très important à prendre en compte.
Que pensez-vous de la crise «politico-médiatique mais très peu scientifique» de la pilule en 2013 ?
Le message médiatique doit être relativisé. En effet, il est clair qu’il existe un sur-risque veineux avec toutes les pilules, avec bien sûr des différences entre les générations et leurs types. Par contre, pour l’atteinte artérielle, il n’existe pas de sur-risque lié aux pilules de dernière génération, mais lié à la patiente, donc à son risque artériel, d’où l’intérêt du QRISK-score qui évalue le risque d’infarctus mais également d’AVC. Le vrai débat est donc ailleurs : il faut impérativement dépister le risque cardiovasculaire chez la femme et le corriger si possible.
Malgré ce consensus sur le fait qu’il n’y ait pas de sur-risque associé à la pilule, comment se fait-il que les autorités sanitaires françaises en soient arrivées à une telle décision ?
La réponse est difficile. D’ailleurs, les recommandations de l’HAS ont évolué entre 2012 et 2013 et il existe une fiche mémo spécifique pour la contraception chez la femme à risque cardiovasculaire publiée en 2013. Enfin il est important de rester attentif aux données de registres de la vraie vie des Français en particulier. En effet, il est actuellement possible avec les big datas d’avoir un couplage entre les prescriptions et les évènements et donc d’apporter de nouvelles réponses à ces questions.
Pensez-vous que les pilules à l’estradiol (E2) soient une bonne réponse à la préoccupation du praticien d’être le plus neutre possible en terme de coagulation ?
Bonne question mais avec une réponse double. Sur tous les paramètres biologiques, les données sont claires et en faveur de la prescription de l’estradiol.
Par contre, les données sur les évènements cardiovasculaires majeurs ne sont pas disponibles du fait de leur incidence faible qui imposerait des populations d’étude très importantes et surtout des suivis à long terme. D’où l’intérêt des études de vraie vie qui seront une réponse, certes partielle mais indispensable.
Que pensez-vous de l’étude WHI et de ses conclusions concernant le THM et le risque cardiovasculaire ? En particulier, adhérez-vous au concept de la «fenêtre d’intervention» (si le THM est prescrit tôt en postménopause, il diminue le risque CV, mais s’il est prescrit tard, après 65 ans, non seulement il ne diminue pas le risque CV, mais il peut l’augmenter) ?
La WHI est la meilleure étude sur la thématique et a été largement étudiée et commentée. Pour moi, les résultats sont applicables à la population étudiée et aux traitements étudiés. Ainsi, il faut souligner que :
1. le traitement substitutif consistant en une association d’œstrogènes conjugués et d’acétate de médroprogestérone est peu prescrit en France au profit des œstrogènes naturels ;
2. le risque cardiovasculaire de ces femmes était élevé à cause de leur âge (50 à 79 ans, et 63 ans en moyenne à l’entrée dans l’étude) avec 30 % de surcharge pondérale ; et surtout,
3. moins de 30 % des femmes de l’étude ont bénéficié d’un traitement précoce et que, chez ces dernières, aucun sur-risque n’existe. Ces données sont en accord avec tous les registres de la vraie vie.
Propos recueillis par Dominique Magnien
BIOGRAPHIE
➔ Cardiologue.
➔ Professeur universitaire – praticien hospitalier.
➔ Chef de service cardiologie soins intensifs au CHU de Dijon.
➔ Co-directeur de l’Unité Inserm UMR 866 (Laboratoire de physiopathologie et pharmacologie cardiométaboliques, Université de Bourgogne) : «Stress oxydatif et risque cardiovasculaire: interaction fondamentale et clinique».
➔ Activité de recherche centrée notamment sur les registres d’infarctus du myocarde. Recherche en angioplastie pendant 1 an à Washington DC.
➔ 260 publications indexées dans Pubmed à ce jour.
Un observatoire des infarctus unique en France
Mis en place en janvier 2001, l’observatoire RICO (obseRvatoire des Infarctus de Côte d’Or) est à ce jour la plus grande base de données sur l’infarctus du myocarde: environ 900patients inclus par an, pour un total de plus de 13000patients. L’ensemble des données médicales est collecté de façon prospective auprès des 6 unités de soins intensifs du département recevant des urgences cardiologiques.
Article paru dans le Genesis N°186 (septembre/octobre 2015)
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