Spécialiste en médecine interne, endocrinologie et gynécologie médicale, exerçant en libéral et consultant pour l’industrie pharmaceutique, le Dr Christian Jamin appartient également au monde de la Connaissance et de sa diffusion et fait autorité dans son domaine, au même titre que certains hospitaliers. Il retrace pour Genesis son parcours singulier.
Pouvez-vous nous rappeler votre parcours professionnel ?
Comment, d’ancien chef de clinique-assistant des hôpitaux de Paris, se retrouve-t-on en médecine libérale pure ?
Après un internat dans divers hôpitaux et un clinicat à l’hôpital Henri-Mondor à Créteil, les hasards de la vie ont fait que je n’ai pas été nommé à l’hôpital. Très probablement en partie en raison de mon profil atypique et de mes trois spécialités. J’avais en effet au départ une vocation d’endocrinologue, mais je me suis très vite intéressé à l’endocrinologie gynécologique. Et je crois être l’un des premiers médecins non chirurgien à avoir fait en partie mon internat dans un service de gynécologie obstétrique, ce qui n’a pas toujours été simple. A la suite de mon internat et clinicat, j’ai validé ma formation en médecine interne et gynécologie médicale et passé le CES d’endocrinologie.
J’ai été recruté par le laboratoire pharmaceutique Fournier, dont je suis devenu brièvement directeur médical. Car assez rapidement, je me suis rendu compte que je ne ferai pas carrière dans l’industrie et je me suis installé en libéral, au début des années 80, tout en restant conseiller à temps partiel du président du laboratoire. Par la suite, j’ai toujours eu en parallèle une activité libérale et une activité de consultant pour l’industrie pharmaceutique.
Cette collaboration m’est indispensable et j’en suis fier. J’ai d’ailleurs été largement soutenu, ainsi que trois de mes collègues, par les gynécologues et gynécologues-obstétriciens publics et libéraux suite à notre mise en cause par un article du Monde en janvier dernier. Je ne me suis jamais caché de cette bi-appartenance et j’ai toujours déclaré, bien avant que cela ne devienne obligatoire, tous mes liens d’intérêt. Cela m’a maintenu dans les hauts niveaux de la connaissance scientifique. J’ai lu et continue à lire, ou au minimum consulter sommaires et/ou abstracts, toute la littérature médicale internationale, à raison d’au moins 12 revues chaque mois. Ceci fait de moi quelqu’un d’un peu particulier, un libéral très informé, au moins autant que tout autre.
Regrettez-vous de ne pas avoir fait une carrière hospitalière ?
Cela a effectivement été un épisode difficile à passer. Mais je suis toujours resté en contact avec mes anciens collègues hospitaliers comme Patrick Madelenat, Bernard Blanc, Israël Nisand et tant d’autres de toutes générations, qui je pense me considèrent un peu comme un des leurs. Je dois signaler que le monde de la gynécologie a connu une émulation ville/hôpital très bénéfique. Des libéraux comme mon maitre et ami Jean Cohen par exemple ont marqué la médecine et ont été respectés par les hospitaliers.
J’ai pour ma part continué à beaucoup écrire et à publier. Je suis également très sollicité pour faire des EPU et des conférences dans des congrès nationaux et internationaux. J’ai enfin créé une société de formation par internet.
Je revendique cette position, car c’est grâce à elle que j’ai pu être ce que je suis et faire ce que j’ai fait, tout en exerçant en libéral. Je suis ainsi à l’origine de plusieurs idées qui ont été développées par la suite, comme les patchs matriciels, l’association du nomegestrol acétate à l’œstradiol qui a donné naissance à Zoely, ou encore l’utilisation de la caféine topique pour tenter de faire «fondre les graisses» sans jamais, je le regrette, avoir déposé le moindre brevet !
Comment l’ensemble de ces activités interagissent avec votre pratique libérale ?
Tout est lié, chaque pan de mon activité enrichit les autres. Mon expérience clinique me permet de réfléchir à l’amélioration des traitements, mon niveau théorique me permet d’avoir les qualités nécessaires pour exercer au mieux et ma connaissance du monde pharmaceutique me permet de mieux appréhender la thérapeutique.
J’ai aussi une activité très large de vulgarisation auprès de la presse grand public.
«Pour moi, la liberté et la qualité viennent de la pluralité des afférences.»
Quel est, selon vous, l’avenir de l’exercice libéral ?
La médecine est considérée comme une activité sociale» conduisant, au nom de l’accès des soins à tous, au blocage des prix et même des dépassements en ville à des niveaux peu acceptables. Je crains le développement d’une médecine à deux niveaux, à l’anglaise voire à l’américaine, avec d’un côté des soins à bas prix tandis que, lorsqu’une expertise plus grande est demandée, les patients, soit paieront plus chers des médecins «privés» pour être soignés rapidement, soit attendront une consultation hospitalière. Ce ne sera pas un drame sur le plan de la santé publique, mais c’est le confort du patient qui en souffrira.
Concernant la gynécologie, la modification du cursus universitaire conduit par ailleurs à rendre en voie d’extinction ce qui fait le cœur de mon métier, la gynécologie médicale, alors que la gynécologie obstétrique de type hospitalier ne prend pas totalement le relais. Celui-ci commence à être pris par les sages-femmes, pour ce qui ne relève pas du pathologique.
Vous avez justement lancé une formation destinée à tous les professionnels de santé…
J’ai effectivement, avec David Elia, eu l’idée de ne pas opposer entre eux les professionnels de santé et de faire «gynecole.com» qui n’avait pas alors été fait à l’université. Il y a une très forte demande de la part des généralistes et des sages-femmes.
Pour autant, tous les gynécologues ne souhaitent pas jouer le jeu. Je comprends leur ressentiment et à priori je le partageais, mais nous devons nous adapter et faire face à la réalité même si elle nous contrarie.
Il y aura je pense à l’avenir plusieurs niveaux de formation, avec des années communes,seul le titre de médecin permettant la prise en charge de ce qui est pathologique. J’espère simplement que nos titres nous permettront de conserver l’équivalent du secteur 2.
Mais cela dépendra des décisions politiques, pas toujours adéquates.
Avec le recul, quel bilan tirez-vous de l’affaire des pilules de 3e et 4e générations et de la crise du THS ?
Il y a incompatibilité entre l’information médiatique, qui vise le scoop et la simplification, et la recherche médicale, par nature lente et non linéaire – cette non-linéarité permettant justement de faire des progrès. Par définition, un chercheur doute. Ces deux affaires ont bouleversé nos pratiques, mais nous en sortons plutôt grandis à condition de ne pas jeter le «bébé avec l’eau du bain». Le fait de sortir des habitudes, la remise en cause de ce qui paraît évident, peuvent être une bonne chose. La crise du THS issue de l’étude WHI a au final été bénéfique pourvu que la prise en charge des femmes ménopausées se pérennise.
Sur la question du risque de thromboembolie veineuse sous contraceptif estro-progestatif (CEP), il en sortira du bon également, au prix néanmoins du sacrifice de nombreuses femmes.
Sur ce point, les agences sanitaires ont servi de bouclier à la ministre, qui s’est immiscée sur le terrain scientifique pour en tirer une décision politique alors qu’aucune donnée nouvelle ne le justifiait. Cela a déstabilisé totalement les femmes. Depuis, trois publications, dont deux méta-analyses, parues cet été*, vont à l’encontre de la décision de déremboursement des pilules de 3e et 4e générations. D’ailleurs, le comité de pharmacovigilance européen du 11 octobre dernier confirme que le rapport bénéfice risque des contraceptifs estro-progestatifs est positif quel que soit le progestatif utilisé.
Propos recueillis par Dominique Magnien
* Dans Obstet Gynecol et BMJ.
BIOGRAPHIE
➔ Né en 1948 à Versailles.
➔ Ancien interne des hôpitaux (Rouen et Paris), ancien chef de clinique des hôpitaux de Paris.
➔ Auteur de très nombreux articles et communications en français et anglais dans le domaine de l’endocrinologie de la reproduction Une bonne partie d’entre elles dans des revues référencées à fort «impact factor».
➔ Membre du comité de rédaction de plusieurs revues francophones.
➔ Président de l’Association francophone pour l’après cancer du sein (AFACS).
➔ Membre du conseil d’administration de la Société Française de Gynécologie
➔ Membre de la Société Française de Sénologie et de Pathologie Mammaire et du Collège National de Gynécologie Obstétrique Français.
➔ Président-fondateur de Gynecole.com, site de formation des professionnels concernés par la gynécologie.
Article paru dans le Genesis N°177 (février/mars 2014)
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