Le Pr François Haab, chirurgien urologue, chef de service d’urologie à l’hôpital Tenon, fait le point pour Genesis sur la prise en charge de l’hyperactivité vésicale chez la femme. Nouvellement élu conseiller de Paris, il présente également les trois chantiers qu’il impulsera pour réorganiser la médecine de ville dans la capitale.
La prévalence de l’incontinence urinaire chez la femme est de l’ordre de 18-19%, qu’elle soit due à l’effort ou à une hyperactivité vésicale. Toutes les femmes sont-elles suffisamment prises en charge, notamment par les gynécologues et gynécologues obstétriciens ?
L’incontinence urinaire est surtout sous-évaluée par les médecins généralistes, mais de moins en moins chez les gynécologues. Cette sous-estimation peut être le fait des patientes elles-mêmes, qui n’en parlent pas d’emblée, ce qui n’est en revanche pas le cas par exemple chez les femmes en post-partum. Il y a d’abord souvent une incompréhension sur le mot même «incontinence». Les femmes ne se considèrent pas incontinentes car ce mot fait référence, dans l’imaginaire, aux maisons de retraite et aux couches. En raison du handicap que cela entraine, les patientes atteintes d’incontinence se soustraient souvent à certaines activités sociales, comme aller dormir chez leurs enfants, partir en voyage… ou, dans le cas de l’incontinence d’effort, pratiquer une activité sportive ou la danse par exemple. Mais il y a un seuil d’intolérance et, lorsque les fuites reviennent systématiquement, au moment d’une toux, elles ne peuvent plus se contenter de se soustraire à ces activités.
Quelle est la place des différentes options thérapeutiques dans la prise en charge de l’incontinence urinaire ?
Les gynécologues ont tous les outils pour prendre en charge ces patientes en première intention en complément des conseils hygiéno-diététiques, qu’il s’agisse de la prescription d’un médicament pour soulager les urgenturies ou, dans le cas de l’incontinence d’effort, de la rééducation du périnée, ainsi que, chez les femmes ménopausées, la prescription d’un traitement hormonal substitutif au moins local. Beaucoup de femmes, pour une raison ou pour une autre, ont interrompu leur THS et ne l’ont pas forcément substitué par un traitement intravaginal. Ce qui est dommageable car il y a là un facteur d’exacerbation des incontinences.
Le traitement local rend par ailleurs la rééducation périnéale souvent possible et réduit le risque d’infection urinaire, lui-même facteur de risque d’incontinence.
«Beaucoup de femmes ayant interrompu leur THS ne l’ont pas forcément substitué par un traitement intravaginal. Ce qui est dommageable.»
La classe des anticholinergiques constitue l’option thérapeutique de première intention dans le traitement de l’incontinence urinaire par impériosité chez l’adulte. La HAS estime dans son avis que le chlorure de trospium pourrait être utilisé en première intention dans cette indication, en raison d’une possible meilleure tolérance. Est-ce également votre avis ?
Toutes les grandes études internationales mettent sur le même niveau trois molécules disponibles dans la classe des anticholinergiques, dont le chlorure de trospium (Ceris), avec deux prises par jour. Chaque praticien a ses habitudes de prescription et a ainsi le choix.
Dans l’avenir, on attend des médicaments aussi efficaces, mais mieux tolérés. Quels sont ces nouveaux produits ?
On attend effectivement deux nouveaux médicaments.
Le premier, la fésotérodine (Toviaz), mis sur le marché en avril, est un nouvel anticholinergique urinaire dans la prise en charge de l’hyperactivité vésicale.
Le second, en attente d’AMM, est le mirabegron. Il s’agit d’une nouvelle classe thérapeutique puisque cette molécule est un stimulateur des récepteurs beta 3 des parois vésicales. Elle concernera des patientes différentes, non répondantes par exemple aux traitements anticholinergiques. Ses effets indésirables seront également différents. Il est déjà disponible au Japon, aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, mais toujours pas en France. Nous l’espérons prochainement.
Pouvez-vous nous faire le point sur la toxine botulique ou les bandelettes dans le traitement de l’incontinence urinaire ?
On entre là dans les techniques de seconde ligne pour les patients qui ne répondent pas aux traitements médicamenteux.
Différentes solutions la toxine botulique, dont l’AMM est imminente et sur laquelle nous travaillons depuis de nombreuses années ; la neuromodulation qui ouvre un nouveau champ thérapeutique, avec des indications respectives pour l’une ou l’autre forme d’incontinence ; enfin, la bandelette vaginale indiquée dans l’incontinence d’effort. Depuis un ou deux ans, nous disposons de différentes types de bandelettes (TVT, minibandelette…) que nous prescrivons selon le profil de chaque patiente et en fonction de différents paramètres afin d’optimiser les chances de succès et le rapport bénéfice-risque.
Où en est la recherche sur la mise au point d’une thérapie cellulaire pour renforcer le muscle sphinctérien ?
Nous avons mis en place le premier protocole clinique en France (le deuxième en Europe) à la fois chez l’homme, chez qui il s’est révélé très décevant et qui a été arrêté, et chez la femme, chez qui il s’avère encourageant. Mais on est très loin de l’aboutissement de la recherche, il faut compter encore plusieurs années.
Vous êtes l’auteur d’un rapport sur l’incontinence urinaire remis en 2007 au ministère de la Santé. Vous formuliez 10 propositions. Quelles en sont les suites à ce jour ?
Au-delà des propositions elles-mêmes, il est important de souligner la prise de conscience qu’elle a suscité au ministère. Ce qui s’est traduit par des mesures concrètes. La formation initiale et continue des médecins a été améliorée, la problématique de l’incontinence urinaire en tant que question de santé publique étant désormais inscrite dans le programme de l’internat. Elle est devenue une formation prioritaire dans le cadre de la FMC. Beaucoup de formations ont également été mises en place pour spécialiser les infirmières dans l’incontinence urinaire. Enfin, la prise en charge des traitements médicamenteux a été améliorée, puisque les trois molécules de première intention sont dorénavant remboursées. En revanche, si un gros travail de réflexion a été mené sur la prise en charge des protections absorbantes, il n’a finalement pas abouti et le dossier est jusqu’à présent bloqué.
Vous déplorez la désertification médicale à Paris et souhaitez revoir l’organisation de la médecine de ville, dans le cadre de votre engagement politique. Vous êtes notamment conseiller santé de François Bayrou et vous avez été élu aux élections municipales de Paris, en 2ème position sur la liste UMP-UDI-MoDem du 12ème arrondissement. Quelles actions comptez-vous mettre en œuvre ou impulser concrètement ?
Suite aux élections municipales, je deviens effectivement conseiller de Paris. Au moins trois chantiers devront être pris à bras le corps dès le début de la mandature. Face aux déserts médicaux qui s’installent à Paris, nous recenserons secteur par secteur les disciplines – médecine générale, gynécologie, ophtalmologie… – où il manque de praticiens. Et nous ferons tout pour faciliter l’installation dans ces secteurs en agissant sur le foncier : utilisation des rez-de-chaussée des logements sociaux récents, maisons de santé. Ensuite, les médecins de ville sont confrontés à la mise aux normes handicap de leurs cabinets, avec parfois une impossibilité technique ou financière. Nous ouvrirons une réflexion sur le traitement de cette question. Enfin, il faut trouver une réponse ou tout au moins un mode d’organisation à la réduction du temps de séjour à l’hôpital et au suivi post-hospitalisation par les médecins de ville. Il est nécessaire pour ce faire de faciliter le déplacement et le stationnement des médecins au domicile des patients, de mettre en place des outils de télésurveillance à domicile… Faciliter l’hôpital hors les murs passe par une organisation des structures de soins en ville. Cela permettra également de retisser les liens ville-hôpital.
Propos recueillis par Dominique Magnien
À NOTER
La Semaine de la continence urinaire organisée par l’Association française d’urologie (AFU) s’est tenue du 7 au 12 avril 2014, sur le thème «Urgences urinaires : des solutions existent» (www.urofrance.org).
BIOGRAPHIE
➔ Né en 1965, marié, deux enfants.
➔ Chirurgien urologue. Diplômé de la Faculté de Médecine de Paris.
➔ Professeur des Universités à la Faculté de Médecine Pierre et Marie Curie (Paris VI).
➔ Chef de service d’urologie et membre du Comité exécutif des Hôpitaux Universitaires Est Parisien (Tenon, Saint-Antoine, Trousseau et Rothschild).
➔ Auteur du rapport sur le thème de l’incontinence urinaire remis au ministère de la Santé et des solidarités en 2007.
➔ Membre de l’Association française d’urologie (AFU) et de la Société française d’urologie; membre du conseil scientifique de l’European Section of Female Urology…
➔ Conseiller Santé auprès de François Bayrou.
➔ Elu sur la liste UMPUDI-MoDem du 12e arrondissement aux élections municipales de Paris.
Article paru dans le Genesis N°178 (avril 2014)
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